Les cépages : La liste par ordre alphabétique
Le cépage désigne une variété de raisin. 99% du vin produit aujourd’hui provient de variétés de l’espèce vitis vinifera, du genre vitis. On a recensé près de 10 000 espèces mais seul un millier servent réellement à élaborer du vin, et bien moins sont connues des amateurs.
Chaque variété de raisins possède ses propres caractéristiques. Le tannat donne des vins particulièrement tanniques et foncés, le grenache des vins plutôt ronds et riches en alcool. On associe bien souvent des arômes aux différents cépages : le gamay évoque les fruits rouges, le gewürztraminer la rose ou le litchi, la syrah le poivre…. Mais un même cépage s’exprimera très différemment dans des milieux variés : une shiraz (syrah) australienne n’aura pas grand chose à voir avec un saint-joseph et un inconditionnel des chardonnays californiens pourrait être perplexe devant un vin de chablis. L’environnement joue un rôle primordial, tout comme le vigneron qui peut exacerber ou modérer les expressions d’un même cépage par les choix qu’il prend dans sa vigne ou dans son chai.
Qu’est ce qu’un cépage ?
Le mot cépage signifie (généralement, car il est parfois employé d’une manière peu précise) une variété de vigne : le chardonnay ou le cabernet sauvignon, par exemple.
Pour bien comprendre le sens de cela, et sa place dans le monde végétal, il faut comprendre le système de classement propre à la botanique et situer le niveau dans lequel apparaît une variété de vigne.
Le classement botanique traite de l’ensemble du domaine végétal. Il permet une description précise des variétés, afin d’aider à les identifier et à établir des liens de parenté.
L’unité la plus large du classement est l’ordre, puis, en descendant vers le détail, c’est à dire vers la variété, on trouve la famille, le genre, l’espèce et parfois la sous-espèce. Un individu d’une espèce donnée se nomme une variété. Dans le cas de la vigne, on peut aller plus loin dans le détail dans chaque variété en définissant des clones, ayant chacun des caractéristiques spécifiques.
Avec nos deux exemples cités, chardonnay et cabernet-sauvignon, nous sommes au niveau de la variété. L’espèce à laquelle appartiennent ces deux variétés (et la vaste majorité de vignes à vin dans le monde) s’appelle vitis vinifera. Cette espèce est native d’Europe et du Moyen Orient et appartient à son tour au genre Vitis. Ce genre contient bien d’autres espèces, natives des Amériques, comme vitis labrusca, vitis riparia, vitis rupestris, etc, ou d’Asie, comme vitis amurensis par exemple. Certaines variétés de ces espèces produisent du raisin et même du vin, même si elles sont progressivement délaissées au profit de variétés issues de l’espèce vinifera. Et quelques-unes, comme riparia, ont joué et jouent un rôle important dans la lutte contre le phylloxera (un autre sujet que nous aborderons plus tard).
Au-dessus de l’espèce, nous trouvons donc le genre (ou genus, car la classification botanique se fait en latin). Le genus de la vigne s’appelle Vitis. Et au-dessus du genus nous avons la famille Vitaceae (qui comporte 14 genres, dont Vitis : les clématites en font partie, par exemple), et, enfin l’ordre des Rhamnales, avec trois familles dont les Vitaceae.
Petit récapitulatif
- Ordre = Rhamnales
- Famille = Vitaceae
- Genre = Vitis
- Espèce = Vitis Vinifera
- Variété (ou cépage) = cabernet sauvignon (par exemple)
Un cépage peut-il « appartenir » à une région ou à un pays ?
On voit, de temps en temps, des régions, voire des pays, tenter de jouer la carte du protectionnisme avec certaines variétés de vigne pour étouffer toute concurrence. S’il est tout à fait légitime et souhaitable d’avoir une législation claire qui protège une appellation géographique, cela ne peut en aucun cas être justifié pour un cépage.Un cas actuel m’amène à évoquer ce sujet mais j’ai le souvenir qu’il y a quelques années l’Alsace a tenté de mettre main basse sur deux cépages, le Riesling et le Gewurztraminer, en empêchant d’autres régions françaises d’en planter. Etant donné que ces deux variétés sont très plantées dans d’autres pays et sont probablement originaires d’Allemagne, je trouve cette prétention absurde et je comprends mal que l’INAO ait pu l’appuyer, obligeant même un très bon vigneron installé au dessus de Limoux à arracher ses parcelles de ces deux variétés. Il en existe d’autres exemples comme le montre ce décret du 04/05/2013 réglementant la catégorie des Vins de France, censée être la plus libre de toutes : « l’étiquetage d’un vin ne bénéficiant pas d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée peut être complété par un ou plusieurs noms de cépages, à l’exception des noms de cépage suivants : Aligoté, Altesse, Clairette, Gewurztraminer, Gringet, Jacquère, Mondeuse, Persan, Poulsard, Riesling, Savagnin, Sylvaner et Trousseau »
Une polémique a vu le jour entre la Slovénie et la Croatie autour d’un cépage rouge, le Teran, ou Terrano. Cette variété est connue en Istrie (Croatie) depuis le XIV ème siècle mais se trouve aussi en Slovénie et en Italie. Comme toute variété ancienne, elle possède nombre de synonymes : Cagnina (en Frioul et Emilie-Romagne), Rabiosa Nera (Breganza), Refosco des Carso, Refosk ou Refosco d’Istria (Slovénie et Croatie). Mais il s’agit bien d’une variété distincte du Refosco dal Pedoncolo Rosso, avec lequel elle a longtemps été confondue.
Nous savons que les frontières politiques ne sont pas constantes dans le temps (et l’ex-Yougoslavie en est un bon exemple), et qu’elles n’ont de signification que pour nous les hommes : les plantes y sont rarement sensibles… Et même si on voulait qu’elles le soient, on aurait bien du mal à certifier le lieu de naissance précis d’un cépage, qui peut être différent du lieu de sa première identification. Bref, il est absurde de laisser un pays ou une région s’accaparer une variété. C’est pourtant ce que la Slovénie a entrepris de faire en interdisant aux vignerons croates d’Istrie d’utiliser le nom Terran pour leur vins qui en sont pourtant issus !
Même si on ne recense que quelques 400 hectares plantés de Teran en Croatie aujourd’hui, cette variété couvrait jusqu’à 35 000 hectares au début du XIX ème siècle en Istrie. La balle est dans le camp du législateur européen et on espère qu’il en fera bon usage. En tout cas, en ce qui me concerne, tous les cépages, comme les techniques d’ailleurs, peuvent être à tout le monde car ils font partie du patrimoine de l’humanité. Seule une désignation régionale peut et doit être protégée.
Quels sont les cépages les plus communs ?
Cépages blancs les plus répandus
- Chardonnay
- Sauvignon blanc
- Sémillon
- Chenin blanc
- Riesling
- Gewurztraminer
- Pinot blanc
- Pinot gris
- Viognier
- Muscat blanc
- Sylvaner
- Malvasia (Malvoisie)
- Trebbiano (Ugni blanc)
Cépages rouges les plus répandus
- Cabernet-Sauvignon
- Pinot noir
- Merlot
- Syrah (Shiraz)
- Cabernet franc
- Gamay
- Grenache (Garnacha)
- Cinsault
- Carignan
- Barbera
- Sangiovese
- Zinfandel
- Tempranillo
L’albariño ou alvarinho
Si on est au Portugal on appellera ce cépage alvarinho. On le trouve dans la région de Vinho Verde, au Nord du pays, mais aussi dans le Douro, le Beira, le Ribatejo, et aux Açores. Si on se situe de l’autre côté de la frontière avec l’Espagne, en Galice, il porte le nom d’albariño.
C’est une variété blanche, assez aromatique, à peau épaisse, ce qui lui permet de résister au climat humide de ces régions. Les vins peuvent produire pas mal d’alcool, bien que ce ne soit pas toujours le cas, par exemple avec le Vinho Verde, simplement parce que la pratique locale la plus courante est de conduire le cépage en pergola, et donc très peu taillé, avec à la clé des rendements très élevés.
L’albariño est particulièrement à la mode en ce moment en Espagne, qui globalement manque de beaux vins blancs, et l’appellation Rias Baixas (qui utilise très majoritairement l’albariño), en Galice, est devenue en quelques années une appellation très cotée. On le vinifie la plupart de temps en cuve inox pour lui conserver ses arômes très agréables, proche de ceux de la pêche ou de l’abricot. Il est aussi capable de vieillir, seul ou assemblé avec des variétés comme le loureiro ou le treixadura.
En dehors de la péninsule ibérique, on le trouve en Californie, en Oregon et en Australie même s’il existe un doute important sur la véritable identité d’une partie de l’albariño actuellement planté en Australie.
L’altesse
Pensant à tous nos lecteurs qui vont partir skier dans les Alpes, j’ai décidé de vous parler de certaines variétés largement plantées en Savoie et Haute-Savoie.Après le Jacquère (blanc) et le Gamay (rouge), l’Altesse doit être la troisième variété la plus plantée dans cette région de montagnes et donc de climat frais.
L’Altesse possède plusieurs synonymes, comme en témoigne l’appellation régionale « Roussette de Savoie », qui autorise uniquement le cépage altesse. On la trouve aussi dans des assemblages, par exemple dans des pétillants d’Ayze ou dans les vins tranquilles de Seyssel ou ceux de Marestel, issus des communes de Jongieux et de Lucey derrière le lac du Bourget.
Comme bien souvent, pas mal de légendes entourent ses origines mais toutes sont infirmées par la recherche génétique. On a longtemps dit que l’Altesse avait des origines chypriotes, byzantines ou même hongroises, mais il s’avère qu’elle est en réalité apparentée au bien connu et très local chasselas. Tant pis pour les histoires romantiques !
Il est plausible que le nom Altesse vienne de l’expression « coteau des altesses » c’est à dire des gradins, des vignes étagées où l’on cultivait ce cépage, et il semblerait que les premières mentions de ce cépage blanc remontent au XVI ème siècle, près du lac du Bourget. L’altesse se plaît sur des sols calcaires ou marneux, mais est sensible au gel, au botrytis et au mildiou. Les vins sont généralement secs, relativement aromatiques, avec des saveurs parfois épicées. Capables de bien vieillir, ils possèdent un certain corps et donnent quelques-uns des blancs les plus intéressants de la région.
L’assyrtiko
Il y a quelques semaines, on avait parlé d’une variété rouge grecque, le xinomavro. Cette semaine je vais vous décrire une autre variété grecque, qui s’est également très bien adaptée au climat méditerranéen. Celle-ci est blanche et se nomme assyrtiko.
Son origine
Son origine probable, en tout cas son fief, se trouve sur une île des Cyclades, Santorin, où elle occupe environ 70% de la surface viticole. L’île est bien connue des touristes et elle a joué, bien involontairement, un rôle historique capital il y a 2500 ans lorsque l’irruption de son volcan et le raz de marée qui s’ensuivit mirent fin à la civilisation crétoise.
Sur l’île aujourd’hui, et donc sur un sol volcanique, écrasé de soleil en été et balayé par des vents violents, on produit un magnifique vin blanc issu du cépage assyrtiko, dont l’acidité lui confère un équilibre surprenant entre puissance et fraîcheur. Sa réussite à Santorin et sur d’autres îles des Cyclades a encouragé sa plantation ailleurs en Grèce, en particulier dans la partie Nord-Est du pays autour de Halkidiki, où il est souvent assemblé avec les malagousia, sauvignon blanc ou sémillon, mais aussi autour d’Athènes. Autour de 1 500 hectares d’assyrtiko sont plantés aujourd’hui en Grèce.
Les vins à base de assyrtiko
On produit une large majorité de vins secs, mais l’assyrtiko se prête aussi à la production de vins liquoreux, après séchage des grappes au soleil, toujours sous l’appellation Santorin. Les vins issus de l’assyrtiko ne sont pas souvent bon marché, mais il s’agit d’un des blancs les plus raffinés de toute la Méditerranée.
Son caractère, en vin sec, peut être très salin et acide (on aime bien employer le terme « minéral » dans ce cas), ses arômes peuvent rappeler les agrumes, la cire ou la pierre, avec souvent une texture un peu grasse malgré sa vivacité. C’est souvent original et très bon et les meilleurs sont importés en France.
Le barbera
Le barbera est une des variétés rouges les plus plantées d’Italie, même si les surfaces qui lui sont consacrées ont fortement diminué depuis une vingtaine d’années.Pourquoi cette baisse ? Comme souvent en pareil cas, cela est dû à la fois à des phénomènes de mode et au fait que cette variété a longtemps été utilisée, dans beaucoup de régions d’Italie, comme une sorte de « bonne à tout faire », plantée un peu n’importe où et produisant entre 100 et 150 hectolitres par hectare. Il est évident qu’aucun cépage rouge ne peut montrer sa valeur dans de telles conditions, car il n’arrive pas à pleine maturité et sa matière est diluée.
Sa région d’origine est discutable : entre le Piémont (province qui possède aujourd’hui les plus importante surface de barbera) et la Lombardie, particulièrement la zone d’Oltrepo Pavese. En tout cas on peut trouver des traces écrites de « bonis vitibus barbexinis » datant du XIII ème siècle dans les registres de la cathédrale de Casale Monferrato, dans la région d’Asti (Piémont). Aujourd’hui il a donné son nom à plusieurs appellations, comme Barbera d’Alba, Barbera d’Asti, suivant l’intelligente pratique italienne consistant à associer le nom d’un cépage à celui d’un nom de lieu.
Le barbera mûrit généralement plus tôt que le nebbiolo, mais plus tardivement que le dolcetto, le troisième cépage rouge du Piémont. Il conserve une belle acidité, même sous des climats chauds, ce qui explique probablement pourquoi il a largement accompagné les vagues d’émigrants italiens vers d’autres pays : Californie, Argentine, Australie, Afrique du Sud, etc. Cette forte acidité a récemment poussé certains producteurs piémontais à retarder les vendanges en le récoltant après le nebbiolo, donnant des vins plus puissants et riches. Du coup, il a un peu changé de statut au cours des 20 dernières années. Autrefois considéré comme un vin « populaire », pas cher mais fiable, le barbera est de plus en plus traité comme un grand vin, avec des prix en conséquence. Il est bien plus coloré que le nebbiolo, et on sait à quel point, malheureusement, l’intensité de couleur est considérée par beaucoup comme un indice de qualité ! En résumé, il est, comme nous tous, très sensible à la manière dont il est traité. Si on exige trop de lui (en rendements), sa qualité diminue et si on le plante au mauvais endroit, il boude !
Ailleurs en Italie, il est très présent en Lombardie, en Emilie-Romagne, en Sardaigne et un peu en Campanie, notamment dans l’appellation Taurasi, où il est souvent utilisé en assemblage pour sa couleur et son acidité. En dehors de la péninsule italienne, j’ai déjà mentionné certains pays du Nouveau Monde, mais on peut aussi le trouver en Slovénie.
Le cabernet franc
Les origines de cet ancien cépage rouge se trouvent très probablement dans le Sud-Ouest, peut-être autour de Bordeaux.Nous savons qu’il est, par ailleurs, un des parents du cabernet sauvignon (avec le sauvignon blanc) et qu’il a migré vers le Val de Loire, peut-être avant le XVI ème siècle, car François Rabelais en fait mention dans Gargantua : « ce bon vin breton, qui poinct ne croist en Bretagne, mas en ce bon pays de Véron » (le pays de Véron se trouve entre la Loire et la Vienne et le nom de breton s’explique par le fait que le cépage a été probablement importé de Gironde par la mer à Nantes, alors considérée comme port breton). Notons qu’on l’appelle encore souvent « breton » en Val de Loire. D’autres ont évoqué le rôle de l’Abbé Breton, régisseur des terres de Richelieu, au XVII ème siècle, mais cette homonymie tient sans doute du hasard.
Quels que soient son parcours exact et les dates de ses migrations, le cabernet franc reste, hors de son Val de Loire d’adoption (où il existe, en solitaire ou en très forte majorité, dans les appellations comme Chinon, Bourgueil, Saint-Nicolas de Bourgueil, Saumur Champigny, Saumur et Anjou/Anjou Villages), essentiellement un cépage d’appoint dans les assemblages. Parfois il peut friser la moitié ou se trouve en légère majorité dans quelques domaines de la rive droite de Bordeaux, parfois sous le nom de bouchet. Le plus célèbre exemple est le Château Cheval Blanc. Mais, ailleurs à Bordeaux, il reste minoritaire par rapport aux deux principaux cépages rouges que sont le merlot et le cabernet sauvignon. On le trouve également dans presque toutes les appellations du Sud-Ouest, mais toujours en minorité et en option. En France, il couvre environ 35 000 hectares plantés.
Ailleurs, il a essentiellement joué ce rôle de cépage d’appoint, sauf dans certaines zones d’Italie du Nord-Est, car les cabernets francs purs sont assez rares partout (sauf, je le redis, en Val de Loire). A titre d’exception, j’en ai goûté quelques très bons en Afrique du Sud, notamment ceux faits par Raats Family et par Raka. J’ai aussi goûté de bons cabernets francs en Californie. En revanche il figure dans presque tous les vins qui utilisent les assemblages bordelais, de la Californie à la Nouvelle-Zélande. Difficile de calculer sa superficie hors de France car on n’arrête pas de découvrir qu’on a parfois pris le carménère (même famille) pour le cabernet franc !
Ce cépage produit beaucoup de couleur et de tannins. Ces tannins peuvent, s’ils ne sont pas parfaitement mûrs et bien gérés à la vinification, paraître austères et même verts dans leur jeunesse. C’est souvent le problème avec une bonne partie des vins de Loire mentionnés, sauf dans les bonnes années et chez les meilleurs viticulteurs. Le cabernet franc possède en plus une acidité assez présente, ce qui peut avoir l’effet de durcir encore plus ces mêmes tannins. Mais il est capable aussi, à son meilleur, de démontrer une expression de fruit magnifique et il peut, pour les raisons précitées, vieillir d’une manière remarquable. Il produit aussi relativement peu d’alcool, ce qui l’empêche d’être mis à la mode par certains dégustateurs américains pour qui tout ce qui ne titre pas 15% n’apparaît même pas sur leur écran radar ! Tant mieux pour nous, car cela limite certains prix. Et cela va probablement lui donner un beau rôle dans l’avenir car on cherche de plus en plus à lutter contre cette montée des degrés alcooliques dans les vins.
A titre d’exemple de sa capacité à très bien vieillir, j’ai bu, pendant l’été 2009, ma dernière bouteille du Clos de la Dioterie 1985 de Charles Joguet (âgée donc de 24 ans, et capable d’aller bien plus loin) : une merveille. Chapeau bas !
Le cabernet sauvignon
J’ai choisi cette variété noire (ou rouge, si vous préférez, mais la couleur de sa peau est très foncée) pour commencer cette série parce que le cabernet sauvignon est très connu dans le monde entier. Il est assez identifiable par le goût des vins qu’il donne, qu’il s’agisse de très grands vins ou de vins plus simples. Il montre aussi un aspect intéressant de l’évolution des variétés de vigne : je veux parler de leur instabilité génétique, car il est issu d’un croisement, probablement spontané et relativement récent.Le cabernet sauvignon a émergé dans la région bordelaise au cours du XVIII ème siècle. Appelé au début du XVIII ème siècle « vidure » (du gascon « bidure », car son bois est effectivement très dur), la première mention certifiée du nom « cabernet sauvignon » date de 1783, à Pauillac. Sa parenté a été clairement établie grâce à l’analyse de son ADN par deux chercheurs américains, Meredith et Bowers, de l’Université de Davis en Californie, en 1997. Il a un « père » noir, le cabernet franc, et une « mère » blanche, le sauvignon blanc (ou l’inverse). Effectivement on trouve mention du cabernet franc bien avant les premières mentions du cabernet sauvignon. Il faut savoir que les vignobles d’autrefois, avant l’arrivée du phylloxera en tout cas, étaient presque toujours complantés avec plusieurs variétés de vignes, et que des croisements devaient se produire régulièrement. On trouve trace de cela de nos jours dans certains pays. Je connais un producteur dans la vallée du Douro, au Portugal, qui a identifié 40 variétés différentes dans une seule parcelle d’une dizaine d’hectares de vieilles vignes !
Le cabernet sauvignon a acquis ses lettres de noblesse à Bordeaux, grâce à un caractère reconnaissable et une capacité à produire, généralement assemblé à d’autres cépages comme le merlot, le malbec, le cabernet franc ou le petit verdot, des vins rouges qui se bonifient très bien avec le temps. Son terrain de prédilection en terre bordelaise est la rive gauche de la Garonne et de l’estuaire de la Gironde, autrement dit, les régions des Graves et du Médoc. Il est très majoritaire (70% ou plus dans les assemblages) dans beaucoup des grands crus classés de ces régions et constitue au moins 50% dans tous. C’est essentiellement cela qui explique l’extension de ses plantations au-delà de la région bordelaise, puis dans la quasi-totalité des pays producteurs du monde, car la renommé des grands vins de cette région a servi d’exemple sur le plan mondial.
Aujourd’hui la région de Bordeaux produit environ 60 % du cabernet sauvignon de France. Ailleurs, on le trouve planté dans le reste du Sud-Ouest, en Languedoc, en Val de Loire et en Provence. Dans le cas des vins d’appellations contrôlées, il est généralement assemblé à d’autres cépages, plus ou moins locaux, mais on le trouve pur dans de nombreux vins de pays.
En Italie il fut introduit dès 1820 dans le Piémont et, plus récemment, il a été fortement médiatisé en étant à l’origine de certains très grands vins, notamment le Sassicaia, provenant souvent de Toscane. On le trouve aujourd’hui un peu partout en Italie. En Espagne, son introduction dans la région de la Ribera del Duero date aussi du XIX ème siècle, mais il est surtout utilisé comme cépage d’appoint. Le producteur Torres, en Catalogne, produit un splendide Cabernet Sauvignon pur, mais ce cépage n’a pas eu autant d’impact en Espagne qu’en Italie. Il est très largement planté ailleurs en Europe, mais également en Chine. Dans presque tous les pays du Nouveau Monde, il a longtemps été le cépage rouge le plus planté. Ses seuls rivaux sérieux ont été la syrah (shiraz) en Australie, puis le merlot aux Etats-Unis.
Mais les plus grands vins qui utilisent le cabernet sauvignon, seul ou en majorité dans un assemblage, outre ceux du bordelais, se trouvent presque toujours dans les régions suivantes : Napa, Sonoma ou Santa Cruz (pour la Californie), l’état de Washington (aussi aux USA), Bolgheri (Toscane, Italie), Maipo et Colchagua (Chili), Coonawarra et Margaret River (Australie), Mendoza (Argentine), Stellenbosch (Afrique du Sud), c’est-à-dire là où les meso-climats sont les plus propices à une bonne maturation.
Pour finir, quelques mots sur les caractéristiques physiques qui permettent d’identifier une plante de cabernet sauvignon, mais aussi sur le goût des vins qui proviennent de ce très grand cépage. Les jeunes feuilles sont duveteuses et les bords ont une teinte rougeâtre. La feuille adulte est de taille moyenne, brillante, avec des lobes très prononcés et des dents ogivales. A l’automne les feuilles rougissent progressivement. La grappe est petite à moyenne, de forme plutôt conique, avec des petites baies sphériques et noires, à la pruine prononcée (reflets gris-bleu, comme une sorte de brume sur la peau). Cette peau est dure et épaisse, et la chair est ferme et croquante. C’est un cépage dit de « deuxième époque » sur le plan de la maturation, c’est à dire qu’il n’est pas très précoce et il lui faut un peu de chaleur pour bien mûrir. C’est un cépage vigoureux et, pour produire de grands vins, il faut limiter son rendement et utiliser des porte-greffes faibles, comme le riparia. Avec leurs peaux épaisses, les baies possèdent une forte concentration phénolique, produisant des vins tanniques, voire très tanniques. Ceci explique en grande partie la longévité des vins issus du cabernet sauvignon. C’est cette structure qui est la caractéristique la plus identifiable des vins de ce cépage. On peut aussi avancer que ses arômes évoquent souvent le cassis, voire, quand les raisins sont moins mûrs, le poivron vert. Mais c’est sa structure, tannique mais fine, qui le situe à part et qui le destine clairement à la production de vins fins, capables d’une longue garde.
Le carignan
Le carignan est encore le plus planté des cépages du Languedoc, même si des milliers d’hectares ont été arrachés depuis 1980.A partir de la fin du XIX ème siècle et jusque dans les années 1960, sa capacité à produire de gros rendements (200 hectolitres par hectare et au-delà) l’a rendu très populaire auprès des vignerons languedociens. Il faut se rappeler la situation à ces deux époques. Au début du XX ème siècle on sortait du phylloxera et la France manquait de vin. Dans les années 1960 il fallait produire beaucoup de vin de base pour remplacer les vins d’Algérie (rappelons que, dans les années 1950, l’Algérie exportait plus de vin que la France et comptait 140 000 hectares de carignan !). De façon plus surprenante, le carignan a continué à progresser bien au-delà de cette époque, et ça n’est qu’au tournant du XX ème siècle qu’il a été doublé par le merlot.
Il est vrai que le carignan est parfois capable de produire de très bons vins, mais cela semble être le cas uniquement sur des sites aux sols pauvres avec des vieilles vignes bien tenues et dont on limite le rendement. On en trouve des exemples en Roussillon, en Languedoc et dans la région de Priorat en Espagne. Mais ces exceptions ne suffisent pas à faire de moi un grand amoureux de cette variété, car ses défauts sont assez nombreux.
Il peut être extrêmement rustique en goût, avec des tannins sévères, une texture rêche, une acidité forte et une tendance à la réduction qui se traduit par des arômes de type animal. Et, curieusement, cela ne s’arrange pas vraiment avec le temps, car le fauve en lui a tendance à se développer ! Donc si vous voulez trouver un bon carignan, cherchez-en un fait à partir de vieilles vignes et par un vigneron méticuleux, puis buvez-le quand il est relativement jeune (entre 3 et 6 ans, ce qui est une fourchette assez étroite !). Sur le plan agricole, il est sensible aux maladies et mûrit tardivement. On peut, bien sûr, gommer une partie de ses défauts en l’assemblant, ce que l’on fait dans beaucoup d’appellations du Sud : avec du grenache, du cinsault (dont je vous parlerai la semaine prochaine) ou de la syrah, entre autres.
Ce cépage vient très probablement d’Espagne, et peut-être de la région d’Aragon. On l’appelle carinena là-bas (et carignano en Italie, et plus spécifiquement en Sardaigne) mais il a régressé beaucoup plus rapidement dans son pays d’origine qu’en France.
Le carménère
Voici un cépage bordelais, probablement originaire (comme d’autres) des Pyrénées, mais qui a failli disparaître, comme le petit verdot dont j’ai parlé très récemment. Egalement membre de la famille descarmenets, ce cépage n’existe plus qu’à l’état (très) résiduel en Gironde.Pendant longtemps, il fut bien plus largement planté et, associé au cabernet franc et au malbec, il a fait beaucoup pour l’émergence des premiers châteaux du Médoc au XVIII ème siècle. La variété est vigoureuse et capable de produire de très bons vins, mais elle est sensible à la coulure et sous le climat humide de Bordeaux, ses rendements pouvaient être très irréguliers. L’abandon d’une variété est ainsi souvent dû à un « défaut » aux conséquences économiques directes pour les producteurs.
Mélangé avec d’autres variétés bordelaises, il a été largement vendu à des propriétaires et pépiniéristes en Amérique du Sud (et ailleurs) au cours du XIX ème siècle, car Bordeaux constituait une sorte de modèle pour tous ceux qui voulaient produire de grands vins rouges de garde. Mais son identification était parfois hasardeuse (ou les pépiniéristes peu scrupuleux) et il a souvent aussi été vendu pour du cabernet franc ou du merlot : deux variétés qui avaient, semble-t-il, meilleure réputation à l’époque.
C’est ainsi qu’au Chili on a estimé, vers le début de ce siècle, que la moitié du « merlot » était en réalité du carménère. Cette découverte s’est faite un peu par hasard lors d’un voyage d’étude d’un professeur d’ampélographie de l’Université de Montpellier, le Professeur Boursicot, en 1994. Puis, dans le Nord-Est de l’Italie, 4 000 hectares de ce qu’on pensait être du cabernet franc est maintenant reconnu comme étant du carménère. De sorte qu’avec toutes ces confusions, il est presque impossible de dire combien d’hectares de carménère sont réellement plantés aujourd’hui ! D’ailleurs la variété avait même disparu des listes de cépages reconnus en France et en Europe, ce qui a posé un problème aux Chiliens lorsqu’ils ont voulu exporter des vins étiquetés « carménère » vers l’Europe. Car un cépage non reconnu ne peut pas être importé ! Et les Chiliens possèdent certainement, et de loin, la plus grande surface plantée de carménère au monde (au moins 6 000 hectares), ce qui leur donne un élément de différenciation appréciable. Les choses sont rentrées dans l’ordre depuis, heureusement pour eux.
Pourquoi le carménère marche-t-il mieux au Chili qu’à Bordeaux ? Voilà la vraie question. Essentiellement à cause de deux de ses caractéristiques : sa sensibilité à la coulure n’est pas un problème dans un climat chaud et sec, et sa maturation tardive (deux semaines après le merlot) non plus. En dehors de cela, il donne de bons vins si on limite son rendement, dans un style qui combinerait le cabernet franc et le merlot, entre structure et fruit. Si on ne limite pas son rendement il peut devenir herbacé, ce que l’on trouve avec certains chiliens d’entrée de gamme.
Le chardonnay
Après avoir traité de deux cépages rouges, le cabernet-sauvignon et le merlot, je vais parler de deux variétés blanches. Le premier est certainement le plus connu des cépages blancs au monde : le chardonnay.Ce cépage est vraisemblablement originaire de Bourgogne. Un village dans le Mâconnais porte son nom même si on ne peut pas forcément établir de lien entre les deux. Il a, comme la plupart des variétés un peu anciennes, beaucoup de synonymes, particulièrement dans l’Est de la France. Leur énumération prend une demi-colonne dans certains livres de référence, alors je ne vais pas tous les nommer, d’autant plus qu’ils ne sont presque jamais utilisés de nos jours, sauf le terme « morillon », que l’on trouve encore sur quelques chardonnays autrichiens.
Quant à son origine, si on est incapable de déterminer la date de son émergence, l’analyse de son ADN a permis d’identifier ses deux parents probables : le pinot noir et le gouais blanc (une vieille variété blanche très productive qui a quasiment disparu mais qui était très plantée au Moyen-Age). Ces deux-là ont d’ailleurs eu bien d’autres descendants.
La carrière mondiale du chardonnay a été exceptionnelle, car il est largement planté dans presque tous les pays viticoles. Seul le Portugal semble résister un peu ! Ce succès est dû essentiellement à deux facteurs :
- d’abord sa capacité à produire aussi bien des grands vins blancs de garde que des vins de séduction immédiate ; l’inspiration est clairement venue de la Bourgogne, où tous les grands vins blancs, et la vaste majorité des blancs tout court, sont issus du chardonnay ; c’est ce qui lui a valu son extension mondiale, d’abord en Californie, puis partout ailleurs. D’ailleurs le seul état de Californie possède aujourd’hui plus de surface (40 000 hectares) plantée en chardonnay que la France (25 000 hectares), faisant souvent de ce cépage une sorte de synonyme de vin blanc aux USA. On estime la surface totale consacrée au chardonnay dans le monde à 180 000 hectares (en gros, l’équivalant de Bordeaux + Bourgogne + Champagne !) ;
- l’autre facteur de son succès est sa grande capacité d’adaptation à des milieux naturels très différents, comme à des techniques de vinification diverses : pensez à l’écart entre le climat très frais de Chablis et ses sols très calcaires, et celui très chaud du Languedoc où le cépage a été massivement planté, ou entre un style acidulé, léger et croquant et un autre style épicé, boisé et riche (pour décrire deux pôles possibles).
Alors tenter de décrire les caractéristiques gustatives du chardonnay « en général » est mission impossible, tant les variations entre les styles peuvent être importantes.
Le chasselas
Le chasselas est probablement plus connu comme cépage de table (pensez au Chasselas de Moissac, par exemple) que comme cépage de cuve, comme on dit d’une variété utilisée pour faire du vin. Mais on le trouve dans quelques endroits, en Suisse, en France, en Italie et même plus loin, y compris pour un usage vinicole.Ses origines, comme souvent, sont anciennes mais très disputées. Il y a trois ou quatre versions. D’abord deux versions « moyen-orientales », qui existent aussi pour d’autres cépages et qui ne sont, après tout, qu’une manière de rendre hommage au fait que le vin puise ses origines dans cette partie du monde. Dans le cas du chasselas, on raconte qu’il serait venu de Turquie ou d’Egypte. Parce qu’il existe, dans le Mâconnais, un village nommé Chasselas (comme il en existe un autre nommé Chardonnay), certains pensent que ses origines seraient bourguignonnes. Enfin les Suisses qui possèdent le plus grand nombre d’hectares plantés de chasselas (appelé Fendant dans le Valais) ne peuvent pas accepter une autre origine que Suisse. En réalité on ne sait pas, on sait seulement que les premières mentions claires de son existence remontent au moins au XVI ème siècle. Quant aux variantes et synonymes, il y en a beaucoup, ce qui tendrait à prouver son ancienneté.
En France, le chasselas n’est pas très bien vu. Il a beaucoup régressé en Alsace, où il n’apparaît que rarement sur les étiquettes, servant plutôt, assemblé ou non, à l’élaboration de vins d’entrée de gamme, appelés Edelzwicker ou Gentil. Dans la Loire, on le trouve à Pouilly-sur-Loire, petite appellation qui survit dans l’ombre de sa voisine, Pouilly Fumé, dédiée au sauvignon blanc. En France, c’est la Savoie qui lui consacre le plus de place : Marignan, Marin, Ripaille et Crépy sont ses principaux lieux d’implantation.
C’est de l’autre côté du lac Léman, dans le canton de Vaud en Suisse, que le chasselas atteint une forme de gloire locale. Le Dézalay (dans le Lavaux) par exemple, qui héberge les vignobles les plus escarpés que je connais, est planté de chasselas. Ici il atteint un niveau de concentration qu’on ne trouve pas ailleurs et les vins peuvent vieillir de manière surprenante. Car il faut dire que la majorité des vins produits à partir du chasselas sont assez neutres, parfois plaisants mais souvent un peu mous.
Ailleurs on le trouve un peu en Allemagne, en Autriche et en Italie sous d’autres noms : Weisser Gutedel, Wälscher et Marzemina Bianca, respectivement. Il existe aussi en Roumanie, au Chili et en Nouvelle-Zélande, mais d’une manière très marginale.
Le chenin blanc
Le chenin ne fait pas exactement partie des variétés mondialement connues, mais il a une certaine importance dans au moins deux pays : la France et l’Afrique du Sud.Ce cépage est le plus planté en Afrique du Sud, où la surface qui lui est consacrée (environ 20 000 hectares) est le double de celle de la France. On l’appelle parfois chenin blanc pour le distinguer du chenin noir, surtout connu sous le nom de pineau d’aunis. Mais Galet, l’autorité française sur les cépages, considère qu’il y a peu de choses en commun entre chenin blanc et chenin noir.
Il est probablement très anciennement établi en Val de Loire, et il est mentionné par Rabelais dans la région de Chinon, à la fois sous le nom chenin et sous celui de pineau. Les dernières recherches sur l’ADN du (bien plus connu) sauvignon blanc suggèrent que le chenin blanc en est un des parents. Il a en commun une forte acidité, et aussi une capacité à mûrir longuement sans perdre cette acidité, donnant des grands vins liquoreux. A l’autre extrême, il est aussi beaucoup utilisé pour faire des vins pétillants, ce qui nécessite des vendanges précoces. Ainsi, en Val de Loire, le chenin est le plus versatile de toutes les variétés, produisant vins pétillants, vins secs, demi-secs, doux et liquoreux (mais il a tout de même du mal à faire du rouge !). Son cœur bat aujourd’hui dans les régions d’Anjou, de Saumur et de Touraine, où il est capable de produire de grands vins secs ou moelleux sous des appellations comme Saumur, Anjou, Savennières, Vouvray ou Montlouis, mais aussi sous des appellations spécialisées dans les moelleux comme les Coteaux de l’Aubance, Coteaux du Layon, Quarts de Chaume et Bonnezeaux. Dans la plupart de ces appellations, le chenin constitue l’unique cépage.
Quand il est produit à partir de rendements faibles (et sur sols pauvres) il est capable de donner quelques-uns des plus grands vins blancs de France, comparables en bien des points aux grands rieslings, notamment pour leur acidité vibrante et intense. Cela lui donne aussi la capacité de vieillir très longuement surtout dans les versions moelleuse ou liquoreuse (car le sucre conserve aussi !).
En France, le chenin est rarement planté ailleurs qu’en Loire, mais il a été utilisé dans bien des pays du Nouveau Monde comme cépage de base, capable de produire de gros volumes en conservant de l’acidité y compris sous des climats très chauds. J’ai cité l’Afrique du Sud, mais la Californie et l’Australie l’ont également employé dans ce sens. Il est évident que ce type de vin n’a pas beaucoup d’intérêt.
Depuis quelques années, un petit groupe de producteurs Sud-Africains se sont mis à tenter d’adopter l’approche des meilleurs producteurs de Loire, en choisissant les meilleurs sites et en limitant les rendements. Les vins de producteurs comme De Trafford, Ken Forrester, Teddy Hall (Rudera), Morgenstern ou Raats leur donnent raison. Le chenin peut être un grand cépage !
Le cinsault
Cette variété rouge est très courante, et depuis assez longtemps, dans le Languedoc, comme dans la vallée du Rhône, la Provence et la Corse.La plupart du temps le cinsault est utilisé en assemblage avec toute une gamme de variétés comme le carignan, le grenache, la syrah et le mourvèdre, pour nommer ses associés les plus courants. Comme le grenache et le carignan, le cinsault est susceptible de produire de très gros rendements et de devenir très ordinaire si on ne le limite pas. Aussi comme le grenache, le style du vin issu du cinsault est souvent assez tendre et souple. C’est en partie pour cela qu’il sert souvent à produire des vins rosés. Il peut aussi être assez aromatique, et devient donc très utile pour certains vins, rouges ou rosés, destinés à une consommation rapide.
Comme pour le carignan, on a beaucoup planté de cinsault en Languedoc dans les années 1970 comme cépage améliorateur, pour remplacer l’Alicante Bouschet et l’Aramon, qui étaient largement responsables de la production du « gros rouge qui tache » du Midi. Aujourd’hui, avec la recherche de qualité, ainsi que la volonté d’élaborer des vins issus de cépages qui sont connus sur les marchés à l’export, le cinsault recule à son tour au profit des syrah, merlot, cabernet, etc. Aujourd’hui les plantations de cinsault en France ont chuté sous les 40 000 hectares, à comparer au 80 000 hectares plantés à la fin des années 1970.
On le trouve aussi ailleurs, essentiellement autour de la Méditerranée, dans les pays du Maghreb. L’Algérie en possédait 60 000 hectares avant l’indépendance et le cinsault reste le plus planté des cépages au Maroc. On en trouve aussi au Liban où il entre notamment dans l’assemblage du parfois très grand Château Musar.
Plus loin, on le trouve en Afrique du Sud, venu du Sud de la France au cours du XIX ème siècle. On l’a d’abord appelé, d’une manière erronée, « Hermitage », ce qui laisse entendre qu’il serait venu de la partie nord du Rhône (où se trouve Hermitage) alors qu’il n’y a pas de trace de cinsault dans ce secteur. C’est donc par une erreur d’indentification que la variété métisse sud-africaine, appelée Pinotage (et arrivée en 1925 dans ce pays), prend la deuxième partie de son nom du mot Hermitage, le première partie venant, correctement, du Pinot Noir. Car il s’agit en réalité d’un croisement entre Pinot Noir et Cinsault.
La clairette
Il faut, comme souvent, se méfier un peu des noms et amalgames avec ce cépage du Sud, car la clairette est parfois confondue ou amalgamée avec d’autres variétés comme le bourboulenc, la malvoisie ou l’ugni blanc. Nous parlons ici de la clairette blanche, pour être plus précis.Ce n’est pas une variété très prestigieuse, ni très répandue. On ne la retrouve donc que très rarement sur une étiquette, sauf pour trois appellations : Clairette de Die (pétillant), Clairette de Bellegarde (dans le Gard) et Clairette du Languedoc. Ce dernier vin, devenu très rare, se décline en sec, en doux et même en rancio (car la clairette peut facilement s’oxyder).
En revanche, la clairette entre souvent dans les assemblages des vins blancs des vignobles du Sud : Provence, Rhône Sud, Languedoc et Roussillon. Ses partenaires habituels s’appellent grenache blanc, rolle, terret ou picpoul, voire sauvignon blanc en Provence. C’est une variété qui résiste bien au soleil, à la sécheresse et aux terrains pauvres, car les raisins sont petits et à peau épaisse. Comme il a tendance à produire pas mal d’alcool quand il est à pleine maturité, on peut décider de le ramasser tôt pour exalter les arômes et l’acidité.
Il a été largement planté à l’étranger vers la fin du XIX ème et le début du XX ème siècle, par exemple en Algérie, Afrique du Sud et Australie, mais il a presque entièrement disparu de ces pays aujourd’hui. On le trouve également en Sardaigne, en Toscane, en Israël et en Roumanie.
Le colombard
Cette variété blanche est assez répandue dans l’Ouest de la France, surtout dans les régions charentaise et gasconne.Cette variété est peut-être issue d’un croisement entre le chenin blanc et le gouais, ce dernier étant une très ancienne variété qui est aussi un des parents du chardonnay et d’autres cépages. Vue son implantation, elle a souvent (et surtout) été utilisée pour la distillation des eaux-de-vie de Cognac et d’Armagnac. Mais aujourd’hui, dans la région de Cognac, elle perd du terrain face à l’ugni blanc, considéré comme plus adapté à cet usage car produisant plus d’acidité et moins d’alcool que le colombard. En revanche, ces inconvénients deviennent des atouts dès qu’il s’agit de produire des vins blancs, et en Gascogne le colombard a retrouvé les faveurs des producteurs produisant des blancs dans la catégorie Vin de Pays. A mesure que la production d’Armagnac régressait, celle des Vins de Pays augmentait de manière significative, et la région offre aujourd’hui des vins d’un excellent rapport qualité/prix, faisant assez largement appel au cépage colombard.
Le colombard a eu une carrière assez brillante, sur le plan des volumes du moins, dans quelques pays du Nouveau Monde. Aux Etats Unis, par exemple, où il est utilisé (sous le nom de French Colombard) surtout pour produire des vins blancs de base, on recense quelques 13 000 hectares plantés, ce qui est plus qu’en France. En Afrique du Sud, elle est la deuxième variété blanche la plus plantée du pays, après le chenin blanc et nettement devant le chardonnay. On en trouve aussi un peu en Australie (3 000 hectares) mais on ne lira que rarement son nom sur les étiquettes de bouteille car, dans tous ces pays, le colombard est souvent distillé.
Alors quelles sont les caractéristiques de ce cépage de l’ombre ? Il ne faut pas s’attendre à le voir produire de grands vins mais ce cépage donne des saveurs très fruitées avec beaucoup de vivacité, mais sans acidité excessive. Tout cela dans un registre simple et désaltérant, facile à boire et finalement très agréable. Ce type de vin a bénéficié pleinement de la modernisation du matériel de vinification ces 20 dernières années, car le contrôle des températures de fermentation et les avantages des cuves en inox pour vinifier de grands volumes ont été très bénéfiques à ce style de vin qui a fait la réussite d’entreprises comme Tariquet, ou la Cave de Plaimont, ainsi que toute une série d’autres producteurs du Gers et des Landes.
La Feteasca Neagra
La Feteasca Neagra est un cépage roumain. On ne le sait que peu, mais la viticulture est très ancienne dans ce pays bordant la Mer Noire. Elle est attestée dès la présence romaine mais pourrait être plus ancienne, diffusée par des populations venues du Caucase, de l’autre côté de la Mer Noire.Les Roumains ont donné à toute une série de leurs cépages le joli préfixe de Feteasca, qui signifie jeune fille, accolé à une couleur, dont la blanche, la noire, etc. La Neagra désigne la noire, bien entendu. On la trouve dans différentes régions : en Moldova, le long de la frontière avec la Moldavie, à Muntenia et Dealu Mare au Sud de la chaîne des Carpathes. Des zones précises, comme Valea Caligareasca, Urlati, Tohani et Coesti, semblent particulièrement adaptées à cette variété, parfois utilisée seule mais le plus souvent en assemblage avec la Babeasca Neagra, le Cabernet Sauvignon ou le Merlot, par exemple.
Comme pour toutes les vieilles variétés indigènes, celle-ci a bon nombre de synonymes en Roumanie, car la standardisation et la science ampélographique sont des phénomènes récents à l’échelle de l’histoire du vin : Poama fetei Neagra, Coada Rindunicii (queue d’hirondelle), Pasarea Neagra (oiseau noir). La Feteasca Neagra ne représente qu’environ 2,5% des surfaces plantées en raisins rouges dans le pays, mais est considérée comme une des variétés autochtones les plus qualitatives. Le cépage donne des vins colorés, tanniques, assez intenses en saveurs, et souvent aptes à la garde.
Le gamay
nous parlons de l’unique cépage utilisé pour la production de tous les vins rouges du Beaujolais : le gamay.Une autorité mondiale sur les cépages, Pierre Galet, cite une trentaine de variétés de gamay, dont beaucoup n’ont pas de lien de parenté avec l’ancêtre bourguignon. Bizarrement il existe une variété plantée aux Etats-Unis connue sous le nom du Gamay Beaujolais. Cela est probablement un témoignage du fait qu’à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème, certains crus du Beaujolais (Fleurie, Moulin à Vent, etc) se vendaient au prix des crus de Bourgogne et qu’aux Etats-Unis notamment il était d’alors d’usage de s’approprier des noms européens faisant référence. En réalité cette variété n’est pas du gamay mais un cépage du sud-ouest nommé Abouriou (ou peut-être un clone inférieur du pinot noir). Encore un cas d’erreur d’identification, ou bien le fait de pépiniéristes peu scrupuleux.
Revenons au vrai gamay, parfois appelé gamay noir à jus blanc, pour le distinguer de variétés à chair rouge comme le gamay de Bouze que l’on peut encore trouver en Touraine. Le gamay a, comme d’autres variétés anciennes, beaucoup de synonymes, et était, avant le phylloxera, bien plus planté en France qu’actuellement : plus de 150 000 hectares contre moins de 40 000 aujourd’hui. Il est d’origine bourguignonne et a les mêmes parents que le chardonnay, c’est à dire le pinot noir et le gouai blanc (un cépage grossier, très planté jadis et quasiment disparu aujourd’hui mais qui a laissé une très belle descendance). Son lien de parenté avec le pinot noir n’est pas anodin, car les meilleurs vins du Beaujolais évoquent parfois des pinots noirs (on dit traditionnellement qu’ils « pinotent »).
Son cycle végétatif est précoce, ce qui en fait un cépage bien adapté aux climats frais malgré les risques de gelées de printemps. Il a tendance à être généreux en rendement mais, sur des sols peu fertiles comme ceux des coteaux des crus du Beaujolais, il peut donner des résultats remarquables. Si, pour faire un Beaujolais Nouveau, il est vinifié avec un processus court qui utilise une technique de vinification adaptée (la macération carbonique) à la production de vins légers, il peut être très différent quand il est vinifié à la bourguigonne, y compris avec une maturation totale ou partielle en barriques. Il est sensible au site viticole, comme peuvent en témoigner les différences entre un Fleurie et un Chiroubles, par exemple.
Le coeur du gamay se trouve indiscutablement en Beaujolais, où il est l’unique cépage rouge et couvre quelques 22 000 hectares. On le trouve aussi en Bourgogne, dans la Haute Loire et le Centre Loire : Coteaux du Lyonnais, Roannais, Forez, Auvergne, Saint-Pourçain, Châteaumeillant, Giennois, Vendômois, Cheverny, Touraine. Mais aussi dans le Sud-Ouest, à Gaillac par exemple, et en Savoie.
Mais on ne peut pas dire que le Gamay ait connu une grande carrière internationale ! Il en existe un peu en Californie, au Canada, en Italie du Nord, en Croatie et en Serbie, mais c’est probablement en Suisse qu’il est le plus intéressant, souvent assemblé avec du Pinot Noir (dôle) comme c’est le cas pour le Bourgogne Passetoutgrains.
Le gewurztraminer
Ce cépage est une variante d’une très ancienne variété appelée traminer, qui est originaire du Nord de l’Italie (village de Tramin/Termeno en Sud-Tyrol/Alto Adige) et qui, comme nous l’avons vu la semaine dernière, est aussi un des parents du riesling .Le mot « gewürtz » signifie « épices » en allemand, mais dans ce cas fait plutôt référence au caractère très parfumé de ce cépage. Le gewürztraminer est donc le « traminer épicé » ou, plus exactement le « traminer parfumé ». Ce cépage est singulier pour plusieurs raisons : physiologiquement par sa peau rose, mais, pour le consommateur, surtout par son caractère aromatique très prononcé et facile à reconnaître. On apparente souvent ses arômes à ceux de la rose ou du lychee, mais ils peuvent être plus ou moins prononcés ou délicats selon les cas. Grâce à sa richesse naturelle et à la couleur de sa peau, les vins sont souvent assez colorés.
Si le traminer est connu en Alsace depuis le Moyen-Age (il existe aussi dans le Jura sous le nom de savagnin), la variante gewürztraminer a probablement été importée du Palatinat en Allemagne, où on l’appelle plus souvent Roter Traminer.
En Alsace, le gewürztraminer est le deuxième cépage (après le riesling) sur le plan des surfaces plantées avec environ 2 800 hectares, mais il est assez peu planté ailleurs dans le monde. En Allemagne, on en trouve moins de 1000 hectares, car il exige plus de chaleur que le riesling. J’en ai goûté de très bons issus du Pfalz (Palatinat) et de la région de Bade. On en trouve aussi dans plusieurs pays d’Europe Centrale, des Balkans, et des anciennes régions « satellites » de la Russie.
Dans les pays du Nouveau Monde il lui faut un climat ensoleillé mais relativement frais, pour ne pas détruire le peu d’acidité naturelle qu’il possède à maturité. La Nouvelle Zélande est probablement le meilleur candidat pour cela. D’ailleurs c’est dans ce pays et avec ce cépage qu’on a expérimenté, pour une des premières fois dans un pays de l’hémisphère sud, l’idée de faire coïncider climat local et variété de vigne. La région en question se nomme Gisborne et se trouve sur la côte Est de l’île du Nord. Un des producteurs de cette région, Vinoptima, s’est même spécialisé exclusivement dans le gewürztraminer. Pour les mêmes raisons climatiques, le gewürztraminer réussit bien dans l’extrême Nord de la Californie, comme en Oregon et à Washington. Le danger pour le gewürztraminer dans un climat trop chaud est de produire un vin lourd, huileux en texture, peut-être aromatique mais ayant trop d’alcool et pas assez d’acidité. Il est courant de trouver des gewürztraminers à 14° d’alcool, voire plus, y compris en Alsace.
Enfin il faut aussi parler de la capacité de ce cépage, dans des conditions climatiques adaptées, à produire des vins issus de vendanges tardives ou botrytisés.
Retour sur le (gewurz)traminer et ses possibles origines dans le Nord d’Italie
Lors d’un récent voyage dans le Nord de l’Italie, j’étais intrigué de retrouver le village de Termeno (en Italien) ou de Tramin (en allemand), car dans cette région du Alto Adige (Haut-Adige), qui faisait partie de l’Empire austro-hongrois avant la Première Guerre Mondiale, on parle davantage l’allemand que l’italien.Une théorie affirme que le cépage que nous connaissons sous le nom de gewürztraminer pourrait être originaire de cette région, si on se fie aux locaux (toujours à manier avec précaution !) et à la signification des noms. Mais rien ne prouve qu’un cépage soit originaire d’une région simplement parce qu’une localité porte le même nom.
En réalité le cépage original se nomme traminer, connu en français sous le nom de savagnin, présent notamment dans le Jura. Cette famille est très ancienne et compte beaucoup de membres, comme le traminer rose, ou le traminer épicé ou musqué (ce qui donne « gewurztraminer » en allemand). Le traminer est anciennement implanté en Autriche et en Allemagne, d’où son arrivée, plus tardive, en Alsace où il a pris racine dès le XVI ème siècle. La variété aromatique appelée «gewurz » a émergé plus tard, au cours du XIX ème siècle.
Ce que j’aime dans les gewürztraminers dégustés dans le Nord de l’Italie, ce sont leurs parfums délicats mais fragrants, et leur vinification en vin sec. Ils sont totalement exempts de la lourdeur et de la sucrosité que je trouve souvent assez vulgaires dans des versions de plus en plus nombreuses en Alsace. Vive le gewurz sec !
Le grenache
Ce cépage d’origine espagnole fait partie des plus plantés au monde.« Cépage rouge, vigoureux et productif, présent dans les régions méditerranéenne et rhodanienne. Il donne un vin fin, riche en alcool et peu acide. Il se prête bien à l’élaboration de vins de liqueur. Syn. : alicante. »
Voici le type même d’une entrée sous le nom « Grenache » dans certains dictionnaires en ligne sur le vin. C’est évidemment un peu court pour rendre compte d’un cépage aussi important, et je vais essayer de vous donner des informations plus amples.
Le grenache (noir, pour être complet, car il existe aussi des variantes blanche et grise) est un cépage d’origine espagnole (probablement de la région d’Aragon) qui est parmi les plus plantés au monde. A la fin du XX ème siècle il était même le deuxième plus planté au monde, mais il a été doublé depuis par le cabernet sauvignon et le merlot.
Après l’Espagne, où on le trouve dans beaucoup de régions et sous des synonymes divers (garnacha, alicante, aragonez, mencida, lledoner, par exemple), son deuxième pays d’adoption est le Sud de la France où on le trouve un peu partout, à commencer par le Roussillon, mais aussi le Languedoc, le Sud du Rhône et la Provence. Il est aussi assez planté en Sardaigne, sous le nom de Cannonau, et ailleurs en Italie, sous le nom de grenache ou d’alicante. On le trouve dans d’autres régions de la Méditerranée : la Grèce, le Liban, Israël ou le Maghreb. Il est également planté dans des régions chaudes de certains pays du dit « Nouveau Monde », comme la Californie, l’Afrique du Sud et, surtout, l’Australie.
Le grenache est plus souvent utilisé en assemblage avec d’autres cépages que seul, sauf quand il s’agit de vins mutés (Maury, Banyuls, Rasteau, Rivesaltes). Cela est dû à ses caractéristiques : pas très coloré mais richement fruité et souple, avec une acidité basse et des degrés d’alcool souvent élevés. Ses partenaires lui apportent couleur et structure en diminuant le taux moyen d’alcool. Sur le plan de la production, il a trois avantages : il supporte bien la sècheresse, il est relativement résistant aux maladies et peut aussi être très productif. Tout cela explique sa localisation et l’étendue de ses plantations, surtout après le phylloxera. Mais lorsqu’il est planté sur des terrains pauvres et que son rendement est limité, il est capable d’offrir des vins riches, très suaves dont les meilleurs vieillissent remarquablement bien. N’oublions pas qu’il forme la majorité des plantations de Châteauneuf-du-Pape et de Priorat, par exemple, et qu’il est l’unique composant des vins de Château Rayas.
Le lagrein
Les cépages sont un peu comme les humains. D’un côté il y a des célébrités, que l’on voit partout, au point parfois de s’en lasser malgré leurs grandes qualités. Puis les ordinaires, plus banals, sans grands vices ni grandes vertus, mais parfois largement utilisés. Enfin il y a une foule de variétés obscures, rarement sous les feux de la rampe (ou pas encore) et confinées dans leur fief d’origine, malgré d’immenses qualités dans bien des cas.Lors d’un récent voyage dans le Nord de l’Italie, j’ai eu de nouveau l’occasion de goûter quelques vins d’un de ces cépages que je trouve fort intéressants. Il s’agit du lagrein, un cépage rouge cultivé dans la vallée de l’Adige, dans les provinces italiennes du Trentino (Trentin) et d’Alto Adige (Haut Adige). Comme une autre variété locale, le marzemino, le lagrein descend de la variété teroldego (que l’on trouve aussi dans cette région) et se trouve donc lié, familialement, à la syrah, au pinot noir et au dureza (vieux cépage ardéchois). Il a probablement émergé dans une vallée appelée Lagarina, dans la province de Trentino, et on en trouve mention dès le XVII ème siècle dans les registres du monastère bénédictin de Murin près de Bolzano (la capitale de la province de l’Alto Adige).
Autrefois, le lagrein était surtout utilisé pour produire un vin rosé appelé localement kretzer, consommé localement et surtout en été. Un rouge appelé dunkel était aussi produit, souvent en assemblage avec une autre variété locale, le schiava. Le moins que l’on puisse dire est que ces vins-là n’avaient pas grand intérêt mais, depuis quelques années, de bons producteurs, comme Alois Lageder (basé dans le village de Magrein), se sont penchés sur cette variété et en ont tiré de très bons vins, en mono-cépage ou en assemblage. La recette est bien connue : on fait attention à la matière végétale (clone, porte-greffe), on plante judicieusement et on cultive avec soin en limitant les rendements. Le lagrein donne des vins relativement colorés, possédant pas mal d’acidité et des tannins, disons, bien présents. Bien mené et élevé assez longuement, il est capable de produire un vin bien équilibré que je trouve plein de caractère et assez fin dans un style structuré, légèrement austère mais très digeste. Parfait pour accompagner des plats de gibier, par exemple.
Le lagrein est un cépage encore rare, on en compte autour de 500 hectares en production dans les deux provinces que j’ai mentionnées. Les californiens et les australiens en plantent un peu, à titre expérimental, car la fraîcheur des vins peut être un atout dans certains assemblages de ces pays. A suivre.
Le loin de l’oeil
J’aime beaucoup le nom de ce cépage blanc, car il décrit une de ses caractéristiques, tout en restituant un peu de l’accent du Sud-Ouest.Ce terme signifie que la grappe de raisins se situe assez loin du bourgeon (l’œil), cela en raison de son pédoncule allongé. Il fait partie de la famille des folloïdes, originaire du Sud-Ouest. Le loin de l’œil est une variété, à ma connaissance, exclusive au Gaillacois de nos jours. A Gaillac il produit tous les types de vins blancs : perlant, pétillant, sec ou liquoreux. Son grand rival à Gaillac est le mauzac, qui partage cette polyvalence.
Le len de l’el semble être en régression, car il a besoin des meilleurs sites pour éviter les maladies, et le caractère des vins a une tendance à la mollesse, même si la puissance est bien au rendez-vous. Autrefois dominant, il est de plus en plus remplacé par le mauzac et d’autres variétés. Il en reste aujourd’hui autour de 750 hectares à Gaillac.
Le malbec
Ce cépage rouge était autrefois très populaire dans la région bordelaise, mais aujourd’hui il est devenu assez marginal, surtout depuis les replantations qui ont suivi le grand gel de 1956. Le malbec est toujours admis dans presque toutes les appellations rouges bordelaises mais ne subsiste réellement que sur la rive droite, particulièrement dans la région de Bourg et de Blaye. Il reste le cépage le plus important d’une autre appellation du Sud-Ouest, Cahors, où il doit être présent à hauteur de 70% dans tous les vins, et constitue le cépage unique (ou presque) dans toutes les cuvées haut de gamme. Aujourd’hui son véritable pays d’adoption est l’Argentine, où il couvre plus de quatre fois la surface qui lui est consacrée en France (26 000 hectares contre environ 6 000 en France).
Comme bien des variétés anciennes, le malbec a beaucoup de synonymes. On connaît le Côt, en Val de Loire, le Pressac, dans le Libournais, et, très curieusement, l’Auxerrois dans le Lot. Mais il y en a bien d’autres, surtout dans l’Ouest et le Sud-Ouest où il était très répandu avant le phylloxera (on le trouvait dans 30 départements !). Pour prendre un exemple à Bordeaux, avant le phylloxera, le malbec était autant planté que le cabernet sauvignon à Château Latour, par exemple. On ne connaissait pas le merlot à cette époque.
Un des problèmes du malbec dans des climats un peu humides en France est qu’il a un peu les inconvénients du merlot (coulure, susceptibilité au mildiou), sans toujours démontrer la même qualité de fruit, car il peut sembler un peu terreux ou rustique. Mais dans un climat plus sec et plus chaud, cela change. C’est certainement pour cela qu’il fonctionne si bien à Cahors, et surtout en Argentine. Dans ce grand pays viticole (le 5ème au monde en surface), on trouve du malbec dans toutes les régions car il est aujourd’hui la plus plantée des variétés en Argentine. La grande majorité se trouve évidemment à Mendoza où sont situés 75% des vignes du pays. Le climat y est plus chaud et plus sec qu’en France et le malbec a certainement évolué pour s’y adapter au cours des 150 ans de sa présence. La plante y présente d’ailleurs des différences avec la version française. Les vins sont plus riches et le fruit plus mûr qu’en France. Cela rend les vins souvent plus attractifs pour des consommateurs néophytes. Goûtez un cahors à côté d’un malbec argentin, et vous reconnaîtrez le premier par une certaine impression d’austérité qui traduit des tannins plus fermes et une fraîcheur plus importante.
La réussite commerciale du malbec argentin a clairement inspiré d’autres pays, en particulier son voisin chilien mais aussi un peu l’Afrique du Sud. Au Chili, le domaine Viu Manent possède de très vieilles vignes de malbec de plus de 100 ans, non greffées. La qualité du jus de ces pieds de vigne m’a d’ailleurs incité à participer pour la seule fois de ma vie à l’élaboration d’un vin. Sa concentration naturelle était telle que nous l’avons assemblé avec du cabernet sauvignon pour l’alléger un peu !
Un autre résultat intéressant de cette réussite récente du malbec est que Cahors est enfin devenu fier de son cépage très majoritaire et organise, par exemple, et conjointement avec les argentins, des journées mondiales du malbec tous les deux ans. C’est une bonne chose, car non seulement Cahors travaille sur son identité et évoque enfin son cépage (qui fait partie intégrante de l’identité d’un vin) mais s’ouvre aussi au monde. La France peut apprendre du « Nouveau Monde, » et Cahors nous en donne un bel exemple avec le malbec.
La marsanne
La marsanne est une variété blanche très connue dans la vallée du Rhône.La marsanne est souvent associée à la roussanne, notamment dans les vins blancs des appellations du Nord de la vallée : Saint-Péray, Saint-Joseph, Crozes-Hermitage et Hermitage. Si la roussanne est considérée comme plus fine, la marsanne a l’avantage d’être plus productive, ce qui lui a valu d’être privilégiée par un certain nombre de producteurs de la vallée du Rhône. Elle devient aussi assez populaire un peu partout dans le Sud de la France, utilisée en complément dans les assemblages de certains vins blancs, mais elle ne fait pas partie des 5 variétés blanches admises en Châteauneuf-du-Pape. Elle reste assez marginale sur l’ensemble du pays, avec environ 1250 hectares.
La popularité croissante des vins de la vallée du Rhône dans les marchés à l’export a donné à cette variété un début de renommée partout où l’on produit des vins avec les cépages rhodaniens, Californie et Australie en tête. En Australie, la présence de la marsanne est attestée dès le XIX ème siècle, notamment dans l’état de Victoria qui était, à cette époque, le premier état producteur du pays. C’est pourquoi les plus anciens pieds de vigne de marsanne, comme le syrah (ou shiraz), se trouvent en Australie, car elle a survécu sans greffage dans certaines zones. On la trouve aussi dans le Valais, en Suisse (sous le nom d’Ermitage blanc), donnant des blancs secs comme des blancs liquoreux (dit « flétris ») et en Catalogne espagnole (sous le nom de Marsana).
La marsanne est une variété qui peut être séduisante, mais qui a ses défauts, à commencer par une tendance à donner des vins un peu plats. C’est pourquoi on l’assemble souvent avec des cépages comme la roussanne, qui possède plus d’acidité. Les vins sont souvent assez colorés, jaune doré, et ses arômes peuvent être assez riches dans un registre floral de fruit jaune mûr avec des notes caractéristiques d’amande.
Le mavodaphne
Le mavrodaphne est un cépage rouge que l’on trouve en Grèce. Je l’ai choisi parce que j’aime son nom mais évidemment parce qu’il produit des vins parfois passionnants. « Mavro » signifie noir en grec, et « daphne » laurier. Ce cépage rouge est probablement originaire de l’Achaïe, région du Nord du Péloponnèse. A Patras, son actuelle capitale, « Mavrodaphne » est à la fois le nom d’un cépage et celui d’un type spécifique de vin, issu du même cépage. Il est vinifié selon une technique particulière qui commence par un mutage du moût en fermentation (comme avec les vins doux naturels en France) avec un alcool constitué du distillat du même vin issu d’années antérieures. Ce vin doux et fortifié est ensuite vieilli dans des caves souterraines selon un système de solera, ce qui implique l ‘addition progressive de vins jeunes aux récipients contenant des vins plus vieux. Ce très vieux système d’élevage est aussi largement utilisé dans le sud de l’Espagne pour les Xérès, par exemple. Parfois on entrepose les barriques à l’extérieur pour les exposer au soleil. Le résultat est un magnifique vin de dessert rouge, appelé Mavrodaphni (ou Mavrodaphne).
Mais je reviens au cépage qui porte le même nom et que l’on trouve exclusivement en Grèce où il couvre autour de 800 hectares. En dehors du Péloponnèse, on le trouve dans les îles Ioniennes, à Céphalonie, Corfou, Ithaque, etc. Il est donc aussi utilisé pour produire des vins secs, généralement en assemblage avec d’autres variétés. Il est naturellement très coloré et assez tannique.
Une bouteille de Mavrodaphne (le vin doux) vaut entre 6 et 20 euros, selon le producteur et la qualité. Excellent avec des pâtisseries grecques, mais vous aurez votre dose de sucre pour la semaine !
Le merlot
D’après des chercheurs autrichiens, le merlot est un demi-frère du cabernet sauvignon, car ils ont le même père, le cabernet franc. En revanche on n’a pas identifié l’autre parent.A Bordeaux, où il est le cépage dominant, le merlot n’est presque jamais utilisé seul, sauf dans quelques châteaux situés sur la rive droite, particulièrement dans le secteur de Pomerol. Comme il donne des vins plus souples et chaleureux, donc prêts à boire plus tôt, que le cabernet sauvignon, il a gagné du terrain depuis deux décennies au point d’être maintenant le cépage noir le plus planté en France. En dehors de Bordeaux, on le rencontre dans le reste du Sud-Ouest, généralement en cépage minoritaire, et dans le Languedoc sous la bannière « vin de pays ».
Hors de France, il est très planté en Italie, particulièrement dans le Nord-Est, mais aussi en Slovénie, en Bulgarie et en Roumanie. Il a bénéficié récemment de l’engouement des producteurs californiens mais reste moins populaire que le cabernet-sauvignon. Il a du potentiel en Nouvelle-Zélande, est très planté en Afrique du Sud et au Chili, mais est relativement peu répandu en Australie.
Le merlot peut ressembler beaucoup au cabernet-sauvignon mais a tendance à produire plus de sucre (donc plus d’alcool), un peu moins de tannins et d’acidité, et donc apparaître plus souple. Il a aussi l’avantage, pour le producteur, d’avoir un rendement supérieur. Le fait qu’il mûrisse plus tôt que son demi-frère explique pourquoi on le trouve dans des zones plus fraîches. A Bordeaux, par exemple, il domine nettement vers l’intérieur, sur la rive droite et dans la région de l’Entre-Deux-Mers.
Dans la prochaine leçons, nous parlerons du cépage blanc le plus connu, le chardonnay.
Le mourvèdre
Voici notre deuxième cépage rouge d’origine espagnole, après le grenache.Le mourvèdre fait partie des variétés qui possèdent beaucoupde synonymes, ce qui indique à la fois son ancienneté et sa dispersion géographique. En Provence, où il est implanté de longue date, on compte les noms suivants :mourvedon, mourvès, mourvégué etmourvézé ; des variations sur un thème, mais on verra que cela change lorsque l’on va un peu plus loin. Tous ces noms évoquent la couleur sombre de la grappe, comme le font aussi les noms négron, ou negré trinchiera. Trinchiera signifie « estrangle-chien », qui fait référence à ses saveurs rudes et tanniques. Mais on trouve aussi beaucoup de noms locaux ailleurs en France : bénada dans le Var, piémontais dans le Vaucluse, buone vise ou tire-droit dans la Drôme), rossola nera en Corse, balthazar en Gironde ou damas dans le Puy de Dôme. Et il y en a bien d’autres !
En Espagne, son pays d’origine (il existe un village appelé Murviedro près de Valencia), il est dénommémataro en Catalogne (mais aussi aux Etats-Unis et en Australie, deux pays qui ont un peu adopté ce cépage), alicante en Andalousie, morastrell ou monastrell, tino, tinta ou tintilla ailleurs. On dénombre près de 60 000 hectares de monastrell ou mourvèdre plantés en Espagne, contre 10 000 en France (mais il y en avait moins de 1000 à la fin des années 1960). Il est plus facile à cultiver dans les zones chaudes d’Espagne que dans le Sud de la France, où il subit les assauts du mildiou. D’ailleurs il est le cépage dominant dans les DO d’Alicante, Almansa, Jumilla, Valencia et Yecla.
De nos jours il fait partie des variétés recommandées dans tous les départements méditerranéens de France, plus le Vaucluse, l’Ardèche et la Drôme. Il doit constituer la majorité des vins rouges de Bandol auxquels il donne tout son caractère et autorise une longue garde, car c’est une variété tannique qui mûrit tardivement. Ailleurs en France, il est surtout utilisé pour apporter fraîcheur, fruit et structure dans les assemblages, principalement avec du grenache et de la syrah. C’est aussi le cas en Californie et en Australie où cet assemblage de trois cépages est souvent nommé GSM (Grenache, Syrah, Mourvèdre).
Quant il est bien mûr, le mourvèdre produit des vins puissants et tanniques, avec un fruit intense et de la chair. Il est capable de longue garde si on le protège contre l’oxydation. C’est en tout cas l’un des grands cépages de la Méditerranée.
Le muscat
Il faudrait plutôt parler des muscats, car ils constituent toute une famille de cépages, d’ailleurs très ancienne.Pour vous donner une idée de la taille de la famille des muscats, j’ai dénombré plus de 100 membres dans le livre de référence ampélographique de Pierre Galet. En gros, on peut les regrouper en quatre variétés principales, issues des deux couleurs.
Les muscats font partie des rares types de raisins qui ont un goût évident de raisin. Il n’est donc pas très étonnant de les retrouver aussi bien dans la catégorie des raisins de table que dans celle des raisins de cuve. C’est le cas du Muscat de Hambourg (noir) et du Muscat d’Alexandrie (blanc). Le plus fin des muscats est sans doute le Muscat à Petits Grains.
Le muscat était une des premières variétés à être identifiée et exploitée comme telle, probablement à cause de sa capacité à produire des vins reconnaissables et capables de se conserver grâce à leur sucrosité. Les muscats des îles grecques, en particulier de Samos, sont connus depuis l’antiquité. Leur parfum et leur sucre les rendent très attrayant pour les abeilles, et il était connu des romains sous le nom de uva apiana (« raisins d’abeilles »). Avant eux, les anciens grecs les appelaient anathelicon moschaton, en référence à leurs parfums musqués.
Les types et styles de vins produits avec le muscat varient, même si la plupart conservent du sucre résiduel. Il existe des rouges et des blancs, même si les blancs dominent nettement. Les styles oscillent du léger et frais, à faible niveau d’alcool, comme les Moscato d’Asti en Italie ou certains Moscatel d’Espagne, jusqu’aux puissants vins fortifiés du Sud de la France (comme les Muscats de Rivesaltes, de Frontignan, de Lunel, etc…) en passant par des pétillants comme les Asti Spumante, les Muscats d’Alsace qui peuvent être secs ou liquoreux (mais qui sont généralement assez puissants) et les extraordinaires muscats de Samos, de Pantelleria, au large de la Sicile, de Corse ou d’Australie.
Le nebbiolo
Cela peut paraître un peu bizarre de choisir un cépage peu connu (sauf pour les Piémontais) et très peu planté à l’échelle mondiale mais le nebbiolo a des points communs avec le cépage dont j’ai parlé précédemment : le pinot noir. Le nebbiolo est une variété noire, originaire du Piémont (ou peut-être de la Lombardie), en tout cas du Nord de l’Italie.Cela peut paraître un peu bizarre de choisir un cépage peu connu (sauf pour les Piémontais) et très peu planté à l’échelle mondiale mais lenebbiolo a des points communs avec le cépage dont j’ai parlé précédemment : le pinot noir. Le nebbiolo est une variété noire, originaire du Piémont (ou peut-être de la Lombardie), en tout cas du Nord de l’Italie. Il est surtout célèbre pour être à l’origine, en mono-cépage, de certains des plus grands vins rouges de garde italiens, les Barolo et Barbaresco. J’en parle après le pinot noir car les deux variétés ont en commun d’être très difficiles à (bien) cultiver, produisant des vins qui portent autant la marque de leur origine et de leur élaboration que celle du cépage.
La première mention de la variété est plus ancienne encore que celle du pinot noir, puisqu’elle remonte à 1303. Son nom dérive probablement du mot italien nebbia, signifiant brouillard, et qui ferait référence à la tonalité de la pruine des raisins au moment des vendanges, d’une couleur bleu/gris. Localement, son nom peut varier : on l’appelle spanna dans le nord du Piémont, ou chiavennasca dans la région de Valtellina en Lombardie.
Les plantations de nebbiolo sont beaucoup plus limitées que celles du pinot noir car il est encore plus exigeant, et sa reconnaissance internationale est très récente. Bien qu’étant le plus grand cépage du Piémont, il ne couvre que 3% des surfaces de vigne de la province. Il semble préférer des sols de marnes calcaires et exige de bonnes expositions dans des climats pas trop chauds. Son acidité et ses tannins sont particulièrement puissants, et il faut une longue période de mûrissement pour les assouplir. Les grappes sont très grandes et possèdent des sortes de lobes latéraux, appelés « oreilles », qui sont parfois coupés avant les vendanges par les meilleurs producteurs pour concentrer le jus dans le reste de la grappe.
A cause de la célébrité (et des prix de vente) des vins de Barolo et Barbaresco, plusieurs vignerons dans le monde sont en train de mener des expériences avec ce cépage, mais on attend toujours l’émergence d’un grand nebbiolo produit ailleurs que dans sa région d’origine, à la différence du pinot noir. On peut, localement, trouver un peu de nebbiolo dans les états de Washington et d’Oregon, dans le Nord-Ouest des USA, dans certaines zones du Victoria en Australie, ainsi qu’à San Juan en Argentine. Mais, globalement, sa carrière internationale reste à faire.
En revanche, en Italie, il est considéré, avec le sangiovese toscan, comme le plus grand cépage autochtone, car les meilleurs barolos et barbarescos (ceux de Paolo Scavino, Giacosa, La Spinetta, Angelo Gaja,Roberto Voerzio…) vieillissent très longtemps et possèdent un caractère inimitable, avec des arômes proches de la truffe et une intensité fine, d’une très grande longueur, qui vous saisit le palais.
Le païs
j’aimerais parler d’un cépage très important sur le plan historique, encore assez planté (bien qu’en forte diminution), mais presque totalement inconnu des amateurs de vin.Il a probablement été le premier de la famille vitis vinifera à avoir été planté aux Amériques. Certainement importé par des colons et missionnaires espagnols, il fut longtemps le plant le plus diffusé en Argentine, au Chili, au Pérou, au Mexique et dans le Sud-Ouest des futurs Etats-Unis d’Amérique. Il est connu sous différents noms selon le pays concerné : Criolla Chica en Argentine, Païs au Chili, Negra Peruana ou Negra Corriente au Pérou, et Mission aux USA. Ce dernier nom reflète évidemment son implantation dans toute la région au Nord de la frontière mexicaine, en Californie, Arizona et Texas par des missionnaires chrétiens. Ces missions avaient pour noms Santa Fé, Santa Cruz, San Luis Obispo, Santa Inès, San Francisco, etc. Beaucoup d’entre elles sont devenues des régions de production importantes de nos jours, mais là je vous parle des premiers missionnaires venus du Mexique au cours des XVII ème et XVIII ème siècles, bien avant l’arrivée des immigrants de l’Est des Etats-Unis. En Californie, la variété mission est restée très significative jusqu’à l’arrivée du phylloxera dans les années 1880 (car le phylloxera a touché quasiment toutes les vignes de vitis vinifera au monde, et pas seulement celles du vignoble européen). Et malgré le phylloxera et cet autre fléau appelé « prohibition », on en trouvait encore environ 250 hectares au début de ce siècle, essentiellement dans le Sud de la Californie et utilisé principalement pour élaborer des vins doux.
Au Chili, le païs, qui est identique à la mission, a longtemps été la première variété du pays en termes de surface, et reste la deuxième aujourd’hui, après le cabernet sauvignon. On en comptait plus de 15 000 hectares en 2000, essentiellement dans les régions de Maule et BioBio. En Argentine on l’appelle encore par un autre nom, la criolla chica. Il est probablement présent ici depuis le XVI ème siècle, via les conquistadors. Je n’avais encore jamais goûté de vin issu de ce cépage, jusqu’à ce qu’un heureux hasard mette sur ma route un échantillon très réjouissant venu de la vallée de Maule. J’ai beaucoup aimé cette cuvée baptisée Huaso produite par un jeune domaine (le Clos Ouvert) né en 2006 de l’association de trois jeunes vignerons français. Le style m’a évoqué un vin de grenache, ce qui n’est pas trop surprenant vu l’origine espagnole des raisins. Très bon en tout cas.
La petite arvine
Cette variété est quasiment inconnue en dehors de la région du Valais en Suisse. Et même là, on ne compte guère plus de 150 hectares plantés à l’heure actuelle, même si les plantations augmentent progressivement. On en trouve aussi un peu (mais vraiment très peu) dans le Val d’Aoste, au-delà du Mont Blanc, ce qui fait dire à certains que le cépage serait originaire de cette région du Nord de l’Italie, même si aucun lien de parenté n’a été établi avec d’autres variétés.
La petite arvine est difficile à cultiver, ce qui explique probablement son déclin au XX ème siècle, car elle était plus courante au XIX ème siècle. Elle n’aime pas les terres riches, déteste les sols contenant des résidus herbicides, supporte difficilement la sécheresse et ses branches cassent facilement au vent. Son rendement est évidemment faible. Autrement dit, elle n’est pas destinée à une production généreuse.
Mais elle est très intéressante pour des vins blancs, secs ou liquoreux, de haute qualité. Je dirais même qu’elle est, pour moi, la plus intéressante des variétés blanches spécifiques à la Suisse. Les vins secs sont intenses, assez aromatiques, mais construits autour d’une acidité élevée qui donne de la finesse aux arômes et aux saveurs. Les saveurs peuvent même apparaître un peu salées, sensation que certains aiment appeler « minérale ». La petite arvine est sensible au botrytis, ce qui la destine, certaines années et sur certains sites, à l’élaboration de grands vins liquoreux (appelés « flétris » en Suisse). Son acidité lui sert une fois de plus, donnant de la longueur et un contrepoint à la richesse en sucre.
On l’appelle parfois arvine, et parfois petite arvine. Il faut savoir qu’une autre variété existe sous le nom de grosse arvine, mais elle a pratiquement disparu.
Le petit manseng
C’est une variété blanche du Sud-Ouest de la France, qui est une variante plus qualitative du manseng, parfois appelé gros manseng. Effectivement, les deux se distinguent par le volume de leurs baies.Le petit manseng possède des baies très petites, à peau épaisse. S’il donne très peu de jus, il donne de beaux résultats en vendanges tardives car ses raisins n’éclatent pas facilement et restent solidement et longuement accrochés aux rafles. C’est cela, avec son acidité naturellement forte, qui le rend si apte à produire les grands vins liquoreux des appellations de Jurançon et Pacherenc du Vic Bihl où, pour les vins doux, on peut le laisser sur la vigne jusqu’au mois de décembre afin qu’il s’assèche progressivement selon le processus dit de passerillage. Il est aussi utilisé pour faire des vins secs dans ces deux appellations, et commence à être planté ailleurs, en Languedoc et en Californie par exemple. Suite à l’émigration basque et béarnaise, on le trouve également en Uruguay depuis le XIX ème siècle. On compte autour de 1000 hectares de petit manseng en Uruguay, soit bien plus qu’en France (environ 600 hectares).
C’est un cépage de très grande qualité. Son rendement est faible, ce qui explique sa faible diffusion. Personnellement, j’aime beaucoup sa combinaison assez rare entre une acidité intense, une texture dense et suave et une très belle et riche expression aromatique.
Le petit verdot
Voici une des variétés bordelaises les moins connues. Le petit verdot a longtemps survécu dans l’ombre des variétés à succès du Bordelais pour revenir un peu en faveur en ce moment grâce à certaines de ses qualitésspécifiques.Certes, il ne faut pas exagérer ce retour en grâce relatif, car la surface plantée en petit verdot à Bordeaux est de l’ordre de 500 hectares (sur 115 000 ha), soit 0,4% du vignoble, mais cette petite part, qui est surtout concentrée sur la rive gauche, et particulièrement dans le Médoc, est en augmentation lente mais apparemment sûre. Au XVIII ème siècle le petit verdot avait une très belle réputation et a joué un rôle important dans la naissance des grands vins de la rive gauche. Il est resté assez présent jusqu’aux grandes gelées de 1956.
Le petit verdot appartient à la famille des carmenets, peut-être originaire des Pyrénées. Il mûrit encore plus tardivement que le cabernet sauvignon, et apporte surtout vivacité et couleur, mais aussi tannins, car sa peau est épaisse. Son nom évoque d’ailleurs un peu sa nature, baies petites et tendance à paraître « vert », c’est-à-dire végétal et acide au goût, en tout cas quand il n’est pas parfaitement mûr. Les tons foncés étant à la mode pour les vins rouges, et l’acidité étant très utile dans les années chaudes, de plus en plus de châteaux communiquent maintenant autour de leur petit verdot, même s’il ne constitue que 5% (et souvent bien moins) de l’assemblage. Ses saveurs peuvent même sembler un peu épicées. Il est donc utilisé un peu comme du poivre dans un plat. Quelques châteaux lui consacrent un pourcentage important, comme les très bons Château Bellevue (Haut-Médoc avec 20% de petit verdot) et Rollan de By (Médoc avec 16% de petit verdot).
Dans des régions et pays plus chauds, où il parvient plus facilement à maturité, il peut même donner d’excellents résultats seuls. J’ai dégusté de très bons petits verdots purs du Languedoc (Vins de Pays), d’Espagne, de Californie, d’Afrique du Sud et d’Australie, par exemple, mais, comme à Bordeaux, il est essentiellement utilisé en assemblage y compris dans ces pays, mais aussi en Italie et au Chili. Pour vous donner une idée, les plantations de petit verdot en Australie sont quatre fois plus importantes que celles du Bordelais. Si le réchauffement climatique se confirme dans les décennies à venir, il est très possible que le petit verdot retrouve largement les faveurs des producteurs bordelais.
Le pineau d’aunis
Le pineau d’aunis est un cépage rouge, à ne pas confondre avec les pinots, noir et meunier, avec lesquels il n’a aucune ressemblance. C’est un cépage discret mais probablement très ancien, car on parle de lui à propos de vins clairets importés par Henri III d’Angleterre en 1246.Son étendue géographique actuelle se limite à certaines zones du Val de Loire, à proximité de la ville de Tours. Il fait partie, par exemple, des appellations Touraine et Anjou, mais devient parfois dominant dans les appellations Coteaux du Vendômois, Coteaux du Loir et Valençay. On estime qu’il y a environ 500 hectares de Pineau d’Aunis plantés en France mais il est en régression car on en comptait plus de 1500 à la fin des années 1950. Localement on l’appelle parfois chenin noir, car on considère qu’il pourrait être un des ancêtres du chenin blanc. Ceci reste à prouver car les feuilles sont assez différentes.
Ce qui est intéressant avec ce cépage est sa combinaison de vivacité et de longueur en bouche, auxquelles vient s’ajouter un accent souvent poivré qui lui donne beaucoup de caractère. Dans une récente dégustation à l’aveugle faite pour Ecce Vino et qui rassemblait 90 vins rosés, deux Pineau d’Aunis des Coteaux du Vendômois figuraient au palmarès des 10 meilleurs vins, à des prix défiant toute concurrence (autour de 5 euros).
Il peut aussi être assemblé avec d’autres variétés, surtout pour les vins rouges car il produit très peu de couleur. Cela confirme, peut-être, son statut de variété très ancienne car il ne faut pas oublier qu’autrefois, jusqu’au XVIII ème siècle et parfois au XIX ème, les vins clairs, blancs ou clairets (rosés) étaient mieux considérés en France que les rouges.
Le pinotage
Voici un cépage que peu connaissent, sauf ceux qui ont un peu voyagé en Afrique du Sud.Parler du pinotage me permet d’expliquer un peu la différence entre métissage et hybridation dans le domaine de la botanique viticole.
Le pinotage est un cépage métis, issu d’un croisement entre le pinot noir et le cinsault ; il a été obtenu en 1925 à l’Université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, par le viticulteur Perold. Le nom pinotage est une contraction entre pinot noir (logique) et hermitage (apparemment moins logique). Pourquoi hermitage ? Parce qu’à l’époque, le cinsault était couramment appelé « hermitage » en Afrique du Sud, un peu comme la syrah l’était en Australie. Il s’agissait d’une erreur d’identification, car si la syrah est bien plantée à Hermitage, le cinsault ne l’est pas.
Un cépage métis est le résultat d’un croisement entre deux variétés de vitis vinifera (c’est à dire issues de la même espèce) tandis qu’un hybride est le résultat d’un croisement entre deux variétés, chacune issue d’espèces différentes : par exemple vitis vinifera et vitis labrusca (qui est une des nombreuses espèces nord-américaines).
Le pinotage est à peu près exclusif à l’Afrique du Sud, bien que quelques hectares aient été plantés en Californie, au Brésil et en Nouvelle-Zélande. Il a été diversement apprécié par les Sud-Africains eux-mêmes, selon des modes successives, mais, issu de vieilles vignes et de rendements faibles, il est capable de belles choses. Le pinotage offre un fruité souvent exubérant, avec parfois une sensation très volatile, mais, bien élevé, il est capable de donner des vins profonds et riches, relativement souples et bien adaptés à une consommation rapide mais dans un registre de vin « sérieux ». Curieusement son style n’évoque aucun de ses deux parents. Cela arrive aussi avec les enfants !
Le domaine historique de Kanonkop est le plus régulier des bons producteurs de pinotage, dont les vins sont importés en France par South World Wines. On peut aussi citer l’Avenir, qui appartient à Laroche, Simonsig et Beyerskloof.
Le pinot gris
Ce cépage est assez largement planté dans le monde.Cette variété est particulièrement à la mode en ce moment dans le Nord-Est de l’Italie où elle produit de vastes quantités de vin sous le nom de Pinot Grigio, mais beaucoup malheureusement sont sans grand intérêt. (Le Pinot Grigio semble s’adresser à des blondes anglaises qui ont du mal à retenir plus d’un nom à la fois. Comme il s’agit d’un mot double, cela les occupe bien). Pourtant il est capable de belles choses, car il peut donner des parfums assez denses, bien qu’un peu lourds, et ces versions possèdent aussi un poids tactile qui manque à la plupart des vins blancs.
Son origine est probablement bourguignonne, car il vient de la grande famille des pinots et était autrefois très présent dans les blancs (et même dans les rouges) de Bourgogne. Au XIX ème siècle, 70% des vignes plantées sur la commune de Volnay étaient blanches, dont beaucoup de pinot gris. On faisait ainsi un rosé foncé ou un rouge clair, comme dans beaucoup d’autres régions et depuis fort longtemps (comme quoi il faut rire quand les provençaux disent avoir inventé le rosé, ou que l’assemblage est un procédé « déloyal »). Revenons à notre pinot gris. Il en reste un tout petit peu en Bourgogne, souvent sous le nom de pinot beurot, mais il a été évincé par le chardonnay ou le pinot noir. Il se distingue des autres pinots de couleur blanche par la coloration assez soutenue de ses baies, entre le gris/bleu et le rose/brun, mais la plante ressemble beaucoup au pinot noir.
Ailleurs en France on en trouve de très petites quantités en Val de Loire, parfois sous le nom de Malvoisie, comme dans le Valais en Suisse. Mais sa grande région d‘élection en France est l’Alsace, où il a longtemps été curieusement appelé Tokay, bien qu’il n’ait jamais été planté dans cette appellation hongroise ! Il s’agissait d’une erreur historique basée sur un mythe, et cette dénomination a été, très justement, interdite. En Alsace le pinot gris produit des vins riches, parfois secs, parfois demi-secs ou doux. Considéré en Alsace comme cépage « noble » il peut donc produire des vins de grands crus et de vendanges tardives.
L’Allemagne et l’Italie ont planté bien plus de pinot gris que la France. En Allemagne on le connaît sous le nom de Rulander ou de Grauburgunder. Plus à l’Est, on le rencontre en Autriche, Slovénie, Hongrie, Roumanie et Moldavie. Dans le Nouveau Monde il est en croissance, particulièrement en Oregon, sur la côte Ouest des Etats-Unis, où il a récemment dépassé le chardonnay, avec 1 800 hectares plantés. En Californie, il progresse rapidement au point de devancer le sauvignon blanc. Il débute aussi une carrière en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Mais, pour finir, revenons à l’Italie qui est le pays qui a vraiment « démocratisé » ce cépage en le faisant connaître au plus grand nombre. Entre 1990 et 2000, les surfaces consacrées au Pinot Grigio en Italie sont passées de 3 500 à 6 700 hectares pour atteindre près de 9 000 hectares aujourd’hui. L’essentiel se trouve dans le Nord-Est, particulièrement en Vénétie et dans le Frioul, mais les plus fins que j’ai eu l’occasion de déguster provenaient de l’Alto Adige. On le trouve aussi en Lombardie et en Emilie Romagne. Si les moins chers sont souvent d’une banalité affligeante, les meilleurs peuvent être remarquables, et je dois dire que je les préfère souvent aux versions alsaciennes, que je trouve trop lourdes et parfois un peu molles.
Le pinot meunier
Cela peut sembler surprenant, mais ce cépage relativement inconnu fait partie des 12 variétés noires les plus plantées en France. La raison principale est qu’il occupe un bon tiers du vignoble champenois, même s’il n’apparaît presque jamais seul dans les vins de Champagne. Parfois appelé simplement meunier, il s’agit d’une variante plus précoce du pinot noir, et son nom vient de la couleur blanchâtre du dessous de ses feuilles.
Il est très apprécié en Champagne (comme, autrefois, dans des vignobles du Nord de la France dont la plupart ont disparu aujourd’hui) parce qu’il forme ses bourgeons plus tardivement que le pinot noir, évitant ainsi plus facilement les risques de gelées. Il mûrit également plus vite, ce qui est un avantage à l’approche de l‘équinoxe, et plus facilement, y compris dans les sites moins bien exposés. Il est, par exemple, très dominant le long de la vallée de la Marne.
En dépit de son importance en Champagne, on en parle assez peu même si, très récemment, quelques producteurs commencent à sortir des cuvées « pur meunier » en revendiquant clairement ce cépage. C’est un peu comme si la majorité des champenois en avait honte, le considérant comme inférieur aux deux variétés dites « nobles » que sont le pinot noir et le chardonnay. D’ailleurs il n’est pas autorisé dans les 17 villages classés « grand crus » de Champagne. Mais, très curieusement, un des plus prestigieux (et chers) producteurs, Krug, revendique clairement une part non négligeable de meunier dans ses assemblages. Quand on sait que Krug fait vieillir ses vins très longtemps avant de les vendre, on a du mal à bien comprendre l’argument entendu ailleurs, qui consiste à dire qu’on n’utilise pas le meunier parce qu’il évolue trop vite !
En dehors de la Champagne, qui est devenue son fief, on le trouve dans les Côtes de Toul et un peu en Touraine et dans l’Orléanais. En Allemagne il est parfois connu sous les noms de Müllerrebe (ce qui signifie « raisin du meunier ») ou de Schwarzriesling, même s’il n’a rien de commun avec le riesling. On le trouve également en Suisse et en Autriche. Il a également fait une modeste carrière en Australie et en Californie et j’ai dégusté des vins rouges tranquilles issus à 100% du meunier dans chacun de ces pays, ainsi que des « sparklings » qui l’utilisent dans les assemblages, comme en Champagne.
Le pinot noir
Le Pinot Noir fait partie de la grande famille des pinots, avec les pinots blancs, gris et meunier, par exemple, mais aussi le chardonnay. On pense que le mot « pinot » fait référence à la forme de sa grappe, proche du fruit d’un pin.C’est une variété très anciennement établie en Bourgogne puisque des textes du XIV ème siècle y font clairement allusion (on parle à l’époque de « pynos » ou « pineau », l’orthographe actuelle datant du XIX ème siècle). Il est très probable que son implantation soit antérieure et les dernières recherches génétiques montrent qu’il y a un lien entre pinot noir et syrah, ainsi qu’entre pinot noir et gamay. Le pinot n’est pas génétiquement stable, ce qui explique le grand nombre de clones identifiés, le double de ceux du cabernet sauvignon, pourtant bien plus planté.
Tous les grands vins de Bourgogne sont élaborés avec le seul pinot noir, et cela a inspiré bon nombre de vignerons dans bien d’autres pays. Mais le pinot noir est bien plus difficile à cultiver (il attrape des maladies plus facilement, par exemple) et moins adaptable que le cabernet sauvignon. Par conséquent, il réussit à faire des grands vins dans moins d’endroits.
Le Pinot Noir est assez transparent au milieu naturel, donnant des expressions variables selon sa situation et son traitement. Il a donc largement contribué à l’élaboration du concept de « terroir » en Bourgogne. Ce cépage n’aime pas les climats très chauds, et ses meilleurs résultats viennent de climats où il parvient juste à maturité, mais pas en surmaturité. En même temps, ce type de climat « limite » donne des résultats assez inégaux d’une année sur l’autre. Et le pinot noir est très exigeant dans d’autres domaines ; il peut, en particulier, décevoir si le porte-greffe n’est pas parfaitement adapté ou si les méthodes de culture ne sont pas suffisamment soignées. On voit cela en Bourgogne où les vins peuvent être de qualité très variable, selon la situation et le travail du vigneron. Certains vins, même issus d’appellations prestigieuses, sont assez ordinaires, tandis que d’autres font partie des plus grands vins du monde. La recherche de grands vins de pinot noir ressemble à une sorte de quête du Graal, et il faut se préparer à beaucoup de déceptions avant d’atteindre l’état de grâce ! C’est un cépage pour l’homme patient et passionné, un poil masochiste sans doute aussi.
Outre la Bourgogne, on le trouve dans les régions du Nord-Est de la France : en Jura, en Centre-Loire (Sancerre, etc), en Champagne et aussi en Alsace. Plus récemment, il a été planté dans le Sud de la France, mais il n’y a produit des choses intéressantes qu’en altitude, comme à Limoux. Ailleurs en Europe, il est de plus en plus populaire en Allemagne (ou on l’appelle Spätburgunder) ; on le trouve aussi un peu en Suisse, en Autriche et plus loin à l’Est, et, surtout, dans le Nord d’Italie (y compris pour la production de vins effervescents, comme en Champagne).
Il est très à la mode aux USA, surtout depuis la sortie du film Sideways, et la Californie possède bon nombre de sous-régions fraîches, généralement proches du Pacifique, où on obtient de très beaux résultats. On le trouve d’une manière plus systématique en Oregon, dont le climat est généralement plus frais. Le nombre total d’hectares plantés de Pinot Noir aux USA avoisine maintenant les 20 000, contre 30 000 en France. En Afrique du Sud, il est planté avec succès dans la partie la plus méridionale du pays, dans les régions de Walker Bay et Cape Agulhas mais, dans l’hémisphère Sud, les plus belles réussites viennent de la Nouvelle-Zélande où il est maintenant le plus planté des cépages rouges.
Comment décrire les saveurs d’un cépage qui produit des résultats aussi variables ? D’abord il est plus léger en couleur que la syrah ou les cépages bordelais. Son goût est aussi souvent plus fruité, la texture plus immédiatement séduisante, et la structure bien moins tannique. Cela lui donne plus de charme dans sa jeunesse, mais les meilleurs pinots vieillissent aussi très bien (j’en ai goûté qui avaient 120 ans !). Et les meilleurs pinots noirs produisent une sorte de vibration intense et sensuelle sur le palais qui n’a aucun équivalent. Ces vins-là sont capables de m’arracher des larmes comme presque aucun autre vin. Mais ils sont rares.
Le poulsard
Voici une variété ancienne, mais rare et assez obscure.On retrouve le poulsard essentiellement dans le Jura mais aussi un petit peu dans l’Ain (Bugey) et dans le Valais Suisse. La première mention de cette variété (alors dénommée Polozard) remonte à 1386. Il existe sous différents synonymes (Ploussard, par exemple) et dans trois variantes colorées : noire, grise et blanche. La variété noire est la plus courante, couvrant autour de 300 hectares. Elle est surtout utilisée pour produire des vins rouges et rosés dans les appellations jurassiennes Arbois, Etoile et Côtes-de-Jura.
Curieusement, elle paraît relativement mal adaptée à son climat d’adoption, car ce cépage craint les gelées de printemps (son débourrement est précoce), coule par temps froid et pluvieux, et est sensible à la plupart des maladies courantes : oïdium, mildiou et pourriture grise. Sa couleur est si pâle que l’on peut facilement prendre les rouges pour des rosés. Le vin le plus intéressant à base de poulsard que j’ai eu l’occasion de goûter est un demi-sec pétillant rosé du Bugey appelé Cerdan. Sinon, dans le Jura, il est souvent assemblé avec d’autres variétés, comme le Troussard et le Pinot Noir. Pour être très franc, je n’ai pas encore dégusté un poulsard rouge qui m’ait réellement emballé. C’est souvent un peu dur et acide, mais je ne demande qu’à être convaincu qu’il a d’autres arguments à faire valoir !
Le riesling
Indiscutablement un des plus grands cépages blancs du monde, le riesling est une ancienne variété dont un des parents est le gouais blanc, une variété qui serait arrivée en France et en Allemagne (où on l’appelle le Weißer Heunisch) depuis la Croatie, peut-être apportée par les Romains.Rappelons que ce même gouais a eu d’autres enfants illustres, dont la famille des pinots (noir, gris et chardonnay, notamment). Un croisement entre le gouais blanc et le traminer, qui vient d’Italie du Nord, aurait produit le riesling, mais il est très difficile de mettre une date sur son émergence. Les premières sources écrites qui font mention du riesling datent du XV ème siècle, et se trouvent en Allemagne.
En 2006 (dernières statistiques fiables), le riesling était le plus planté des cépages en Allemagne, avec plus de 21 000 hectares. Il est aussi très planté en Alsace, qui est la seule région en France où on le trouve, avec environ 3 300 hectares. Mais il est planté également, d’une manière plus ou moins significative, en Autriche, au Luxembourg, dans l’Italie du Nord, en Australie (où il était la variété blanche la plus plantée avant 1990 !), en Nouvelle Zélande, aux USA, au Canada et en Afrique du Sud. On le rencontre presque toujours dans des régions fraîches de ces pays, car il n’aime pas trop la chaleur. Il n’aime pas davantage l’usage de bois pendant sa vinification et son élevage. Les plus grands rieslings sont vinifiés sans intervention de bois, sauf s’agissant de grands contenants, et jamais avec du bois neuf. C’est peut-être cela, en plus de sa capacité à produire des vins peu alcoolisés, qui a fait que, jusqu’à très récemment, ce cépage n‘était pas très à la mode. Car il faut aimer l’acidité, la légèreté et la finesse pour bien apprécier les meilleurs rieslings !
Il faut parfois se méfier du mot riesling sur une étiquette de vin car ce nom a été aussi donné à une série de cépages de bien moindre qualité, et qui n’ont pas grand chose à voir avec le vrai riesling. C’est le cas, par exemple, dans l’Italie du Nord-Est, en Europe Centrale, et dans certains pays des Balkans, avec des variétés nommées welschriesling, olaz riesling ou riesling italico, par exemple. Le vrai riesling est soit appelé riesling (c’est le plus courant), soit weisser riesling, rhine riesling ou johannisberg riesling.
En plus de son acidité naturellement élevée, le riesling est capable de mûrir lentement et longuement, donnant parfois des vins magnifiques issus de vendanges tardives et/ou de sélections de grains nobles (raisins botrytisés). On les appelle ainsi en Alsace mais en Allemagne ils sont désignés par les termes Beerenauslese ou Trockenbeerenauslese, avec généralement moins d’alcool. S’agissant de raisins non botrytisés mais congelés par le gel, ce sont des eiswein. Mais, dans ces types de vin, le riesling conserve aussi une forte proportion d’acide tartrique, ce qui donne un autre équilibre que les vins du sauternais, par exemple.
Enfin, une des caractéristiques du riesling, qui le rend si intéressant, est sa très grande sensibilité à des variations du site viticole où il est cultivé. On peut autant, sinon plus, explorer les nuances imprimées par différents sites sur un vin de riesling que sur un vin de pinot noir.
La roussanne
Vous vous souvenez peut-être que je vous ai parlé, il y a quelque temps, d’une variété de raisin blanc appelée marsanne. Voici sa voisine (et souvent partenaire) dans la vallée du Rhône, la roussanne.Son nom dérive probablement de la teinte un peu roussâtre de la peau de ses baies. On trouve cette roussanne dans les vins blancs de la partie Nord de la vallée du Rhône : Hermitage, Crozes-Hermitage, Saint-Joseph et Saint-Péray, où elle est presque toujours assemblée avec sa voisine, bien plus hardie et plus productive, la marsanne.
Le grand problème de la roussanne est sa susceptibilité aux maladies et au vent. Mais, comme avec d’autres variétés peu à peu délaissées pour absence de rendement fiable, la roussanne a été sauvée par la baisse globale de la consommation de vin et par son corollaire, une exigence accrue dans la qualité des vins consommés. Car la roussanne est considérée comme étant supérieure à la marsanne en finesse de goût et d’arômes. Ses arômes sont assez singuliers, et parfois proches d’une tisane fraîche, du type verveine. Et son acidité est plus forte que pour la marsanne, ce qui donne aux vins un meilleur équilibre et une plus grande capacité de vieillissement.
En dehors de son fief des Côtes du Rhône septentrionales, on retrouve la roussanne dans le Sud de cette même vallée, à Châteauneuf-du-Pape (qui n’autorise pas la marsanne) par exemple. Le Château de Beaucastel produit un magnifique Châteauneuf blanc issu exclusivement de vieilles vignes de roussanne. On la trouve également en Provence où elle mûrit sans problème, mais aussi en Savoie, sous le nom de Bergeron, où elle peut donner des vins parfois magnifiques (Chignin-Bergeron).
Au-delà de nos frontières, il en existe un peu en Italie (Ligurie, Toscane), en Australie ou en Californie mais l’avenir pourrait être brillant pour cette variété à fort potentiel.
Le sangiovese
Direction l’Italie cette fois, pour évoquer un des très grands cépages rouges de la péninsule. Lesangiovese est une variété très répandue en Italie, et certainement assez ancienne, comme en témoignent ses multiples variantes et synonymes.D’ailleurs, chose curieuse (les français sont parfois ainsi !), Pierre Galet, dans son Dictionnaire Encyclopédique des Cépages, ne fait pas d’entrée pour ce cépage sous le nom « sangiovese », mais renvoie le lecteur à « niellucio », qui est son nom en Corse. Or il y a moins de 1700 hectares de niellucio plantés en Corse (où il est le plus planté des cépages corses), contre environ 100 000 hectares de sangiovese rien qu’en Italie. Et son origine se trouve quand même en Italie. Je suis pour la diversité des langues et des cultures, mais contre le chauvinisme !
La parenté du sangiovese a été déterminée par des chercheurs italiens : un des parents génétiques est toscan et se nomme ciliegiolo mais l’autre est une variété venue de la Campanie et de la Calabre, le calabrese montenuovo. Il n’y a pas beaucoup de signes de l’existence du sangiovese avant 1700, mais la date de ce métissage n’est pas connue.
Où le trouve-t-on ?
Le cœur du sangiovese bat clairement en Toscane, où il est le cépage principal pour les appellations de Chianti, de Vino Nobile de Montepulciano, de Morellino de Scansano, de Carmignano et de bon nombre de ce qu’on appelle parfois les « Super-Toscans » car ils sortent des règles du DOC en incorporant des cépages français. Il est le cépage unique à Brunello di Montalcino et on le trouve aussi un peu partout en Italie centrale : par exemple en Ombrie, en Emilie-Romagne, dans Les Marches et dans le Latium. Il est souvent connu localement en Italie sous des synonymes : Brunello, Prugnolo Gentile ou Morellino. On le trouve même jusqu’en Lombardie, dans le Nord, et en Campanie dans le Sud.
En France, comme on l’a dit, il est un peu chez lui en Corse, probablement importé par les Génois. Dans le reste du monde il a suivi les migrations italiennes et on le trouve en Californie, en Amérique du Sud et même un peu en Australie. En dehors de l’Italie, c’est en Californie que ce cépage bénéficie de la plus grande reconnaissance, grâce à la réussite commerciale des « super-toscans » dans le marché Nord-Américain. Il faut savoir que c’est le journal Wine Spectator qui a trouvé ce terme et que son rédacteur européen vit en Toscane ! Entre 1993 et 2003, la superficie plantée en sangiovese en Californie a été multipliée par 10 et atteint un peu plus de 2 000 hectares. On en trouve à Napa, mais aussi à Sonoma, dans la Sierra Foothills, à San Luis Obispo et à Santa Barbara.
Ses caractéristiques
Sa caractéristique essentielle est son mûrissement lent, qui est exacerbé par les altitudes (et des nuits fraîches) des collines de la Toscane et d’Ombrie. Si l’année est fraîche, cette acidité peut être excessive, et les tannins un peu raides. Même s’il donne des vins relativement colorés, sa peau est mince, ce qui l’expose à certaines maladies. Il faut donc faire attention aux sites où on le plante, évitant des lieux trop frais et exposés à la pluie et aux vents dominants. Quand il atteint une belle maturité, il donne une magnifique qualité de fruit, souvent aidé par des assemblages avec des variétés minoritaires, soit italiennes soit françaises.
Le sauvignon blanc
Après le chardonnay, je vais vous parler de ce qui est le deuxième cépage blanc le plus connu au monde, le sauvignon blanc.Nous savons que le sauvignon blanc est un des parents du cabernet sauvignon (cépage rouge), mais quid de ses propres origines ? Des chercheurs autrichiens pensent qu’un de ses parents est le chenin blanc (grand cépage du Val de Loire) et que l’autre est le savagnin, cépage plus rare et très ancien, que l’on trouve encore dans le Jura et qui est appelé, en Europe Centrale et dans le nord de l’Italie (d’où il est probablement originaire), le Traminer (le traminer étant lié au gewurztraminer).
En France on trouve le sauvignon blanc largement planté dans la partie centrale du Val de Loire. Les appellations Sancerre, Pouilly Fumé, Quincy, Menetou Salon ou Reuilly sont (presque) 100% sauvignon blanc pour leurs vins blancs. On le trouve également en Touraine et beaucoup à Bordeaux, ainsi que dans les appellations voisines du Sud-Ouest (Bergerac, Marmande, Duras) où le sauvignon blanc prend de plus en plus le pas sur une variété plus anciennement et plus largement implantée, le sémillon. Avec ce sémillon, il participe aux assemblages des liquoreux de Bordeaux, presque toujours en minorité. Aujourd’hui on recense plus de 20 000 hectares plantés de sauvignon blanc en France.
Ailleurs, après des débuts timides en Californie dans les années 1970, le nombre d’hectares plantés a véritablement explosé depuis 20 ans, suite à la grande réussite des sauvignons blancs de Nouvelle Zélande (ce cépage compte aujourd’hui pour plus de la moitié des plantations du pays). La région de Marlborough, sur la partie nord de l’île du Sud, a été à l’origine de ce phénomène. Leur succès a entraîné des plantations significatives au Chili, en Afrique du Sud et ailleurs. En Australie, il est souvent, comme à Bordeaux, assemblé avec le sémillon.
En Europe on le trouve également un peu partout, surtout dans les coins relativement frais car il n’aime guère les grandes chaleurs. Le Nord-Est de l’Italie, la Slovénie, la Suisse et l’Autriche, comme l’Allemagne, produisent de très beaux exemples de sauvignon blanc. Il me semble très dommageable, et la faute en incombe aux règlements parfois stupides des AOC, que la plupart des consommateurs des pays hors de France ne sachent pas qu’un Sancerre, par exemple, est issu du sauvignon blanc. Si vous interrogez un anglais, par exemple, sur les régions du monde produisant de bons vins avec ce cépage, la plupart vous citeront la Nouvelle-Zélande, le Chili ou l’Afrique du Sud, et presque personne la France !
Ses caractéristiques ? Vif, frais et tranchant de goût, il peut aussi être assez aromatique, mais avec des intensités et des types d’expression qui varient selon le climat, les méthodes de culture, la vinification et d’autres facteurs comme les clones. Une de ses caractéristiques est sa tendance à exprimer des arômes herbacés, parfois un peu agressifs, parfois plus subtils, et qui est due à des substances appelées pyrazines. Amené à plus de maturité, le sauvignon donne des arômes de fruits tropicaux. Sauf à Bordeaux, il est rarement utilisé pour des vins qui vieillissent longtemps, mais il en est parfois capable, surtout quant il est assemblé.
Le sémillon
Le sujet de la semaine est un cépage blanc un peu (trop) ignoré, parfois paradoxal, mais assez largement planté dans le monde. Il s’agit du sémillon, vieille variété bordelaise, qui est de plus en plus mis dans l’ombre par son voisin, le sauvignon blanc.Pourtant quelques-uns des vins blancs les plus extraordinaires que j’ai jamais dégustés sont faits, uniquement ou essentiellement, avec ce cépage. Il s’agit de certains moelleux ou secs de bordeaux et des environs, et des secs de la Hunter Valley en Australie : nous y reviendrons.
Comme beaucoup de vieilles variétés, le sémillon a beaucoup de synonymes : malaga dans le Lot, chevrier en Dordogne, mancès blanc dans l’Aveyron, colombier en Gironde, dausne en Charente, goulu blanc en Isère (tiens, que fait-il là-bas ?), et bien sûr toute une série de variantes autour du mot sémillon.
Le sémillon est décrit dans « le » Galet (la bible de l’ampélographie) comme étant « vigoureux et productif, peu sensible à la coulure, au mildiou et à l’oïdium, mais craignant beaucoup la pourriture grise ». C’est pour cela qu’il est un très bon client pour des attaques de botrytis cinerea, le champignon qui cause la célèbre pourriture noble (noble rot en anglais). Autrement dit, si on amène le sémillon à maturité dans un climat propice (relativement chaud pour l’arrière-saison et un peu humide), on a un outil formidable pour faire des grands vins liquoreux. Ce n’est pas par hasard si l’immense majorité des grands sauternes, à commencer par Yquem, utilisent ce cépage à 80% ou plus.
Le sémillon est chez lui à Bordeaux et autour (Bergerac par exemple), aussi bien pour des vins secs que pour des liquoreux, et il reste facilement le plus planté des cépages blancs dans ces régions. Mais il est de plus en plus remplacé par le sauvignon blanc, plus aromatique, vif et, je dirais, plus « évident » dans les vins jeunes. Dans le domaine des vins secs, le sémillon domine dans les grands blancs de Pessac-Léognan et de Graves, qui peuvent avoir une richesse miellée et paraître très soyeux au toucher, tout en finissant parfaitement secs. Ils vieillissent admirablement. Cela les situe dans une classe à part et en fait, pour moi, certains des plus grands vins blancs de France.
Ailleurs le sémillon a été très planté, particulièrement en Australie, mais aussi en Amérique du Sud. Il souffre souvent d’une certaine banalité quand ses rendements sont excessifs. Cela a été très utile pour faire des vins de volume, mais n’a pas servi sa réputation sur le plan qualitatif. Il est donc en régression sur le plan mondial, d’autant plus qu’il n’est pas naturellement très aromatique. Il est largement utilisé comme élément « de base » dans des assemblages, laissant au sauvignon un peu le rôle de sel et de poivre, ainsi que celui de la sauce. La région de Margaret River, dans le Sud-Est de l’Australie, s’est fait une spécialité avec des assemblages sémillon-sauvignon. Mais il y a un coin d’Australie qui, depuis très longtemps, en a fait un vin unique, totalement différent des autres blancs de ce pays : la Hunter Valley, pas très loin de Sydney. Ici on trouve des sémillons ayant très peu d’alcool, sans élevage en bois, mais qui ont une très grande longévité. Des vins sans équivalent dans le monde et parfois superbes.
La syrah
La syrah est un des cépages rouges les plus en vogue du moment. Essayons de comprendre pourquoi.On a longtemps fantasmé sur ses origines, en évoquant par exemple des racines perses (ville de Shiraz) ou siciliennes (Syracuse). Tout cela est faux. Les recherches sur son ADN entreprises en 1998 en Californie et à Montpellier ont démontré que la syrah était issue de deux variétés du Sud-Est de la France : le Dureza (vieux cépage de l’Ardèche) et la Mondeuse Blanche (de la région Isère/Savoie). De plus, il semblerait qu’il existe un lien de parenté entre la syrah et le pinot noir.
La syrah doit d’abord son essor aux grands vins de la partie Nord de la vallée du Rhône, en particulier à ceux de l’Hermitage, nom qui a été longtemps donné à cette variété en Australie mais aussi aux autres crus de cette région, comme Côte Rôtie, Cornas, Saint-Joseph et Crozes Hermitage, tous issus de la syrah à 100% (ou presque). Elle s’est ensuite étendue au Sud de la vallée du Rhône, mais en tant qu’ingrédient dans des vins d’assemblage, comme à Châteauneuf-du-Pape, où il apporte couleur, structure et fraîcheur au grenache qui domine. Au XIX ème siècle, la syrah a migré en Australie (shiraz) où elle est devenue le cépage rouge le plus planté. Comme les premières plantations en Australie datent d’avant le phylloxera, et qu’il existe encore quelques régions épargnées par le fléau, on trouve là-bas les plus vieux pieds de syrah au monde, notamment dans certaines zones de Barossa ou de Clare Valley, au dessus d’Adelaïde.
Sur le plan mondial, la syrah est la quatrième ou cinquième variété rouge la plus plantée, avec environ 140 000 hectares (chiffre en croissance assez rapide).
Ce sont la puissance et la longévité des vins rouges d’Hermitage qui ont assis la renommée de ce cépage. Cela était suffisamment connu au XVIII ème siècle pour que certains vins de Bordeaux, dans les années qui manquaient de soleil, soient renforcés par l’addition de vin d’Hermitage. On parlait à l’époque « d’hermitager » les vins car, bien avant l’avènement des lois sur les appellations contrôlées, une telle pratique n’était pas considérée comme scandaleuse.
La syrah est aujourd’hui largement présente dans toutes les régions du Sud de la France, et même dans quelques parties du Sud-Ouest, comme Gaillac. A l’étranger elle gagne rapidement du terrain, suivant ou précédant en cela la vogue pour d’autres variétés rhodaniennes et méditerranéennes (grenache et mourvèdre surtout). Après l’Australie, qui a un leadership historique dans ce domaine, on peut citer les Etats-Unis (la Californie et l’Etat de Washington), l‘Afrique du Sud et le Chili parmi les pays du Nouveau Monde. On la trouve aussi en Italie et, d’une manière peut-être plus surprenante, en Suisse où, sur les pentes escarpées face au Sud du Valais (on est toujours dans la vallée du Rhône !) elle donne d’excellents résultats.
Sous des climats plus frais pour sa maturation, ce cépage est souvent reconnaissable par des arômes proches du poivre. Mais dans des zones plus chaudes (Barossa, par exemple), il offre des arômes assez exubérants de fruits noirs et rouges très mûrs. Comme on le voit par ces deux exemples, toute cette histoire d’arômes est très variable selon les conditions et techniques de production. Dans le domaine des vins fins, la syrah est en tout cas largement capable de figurer parmi les grands cépages du monde.
Le tannat
Le tannat est un cépage rouge dont les origines se trouvent très probablement, comme les cabernets et les autres cotoïdes (le malbec, le fer, le prunelard, etc) dans le bassin de l’Adour ou les Pyrénées. Cette région semble d’ailleurs être un des principaux berceaux des cépages en France.Le tannat tient son nom de l’occitan « tan » qui fait référence probablement davantage à la couleur « tannée », ou violacée, de ses baies qu’à sa texture tannique. Mais le tannat est à la fois coloré, tannique, acide et alcoolique. Il produit donc un peu de tout, et même beaucoup si on le laisse aller car il est également d’une nature très productive (le mot politiquement correct est « généreux »).
Il est bien connu en France pour être la variété principale des vins rouges de Madiran, de Saint Mont, d’Irouleguy, de Tursan et du Béarn. Il est souvent assemblé dans ces cas avec les cabernets ou le fer servadou. Sa réputation était de produire des vins tellement durs qu’il fallait les laisser vieillir au moins dix ans avant de les boire. Les techniques modernes de travail de la vigne, de vinification et d’élevage les ont assouplis et les vins issus du tannat peuvent maintenant être très agréables jeunes. Leur fraîcheur est certainement un de leurs atouts majeurs dans un contexte où les niveaux d’alcool ont tendance à grimper un peu partout.
Il existe peut-être 3000 hectares de tannat en France, uniquement dans le Sud-Ouest. En dehors des appellations déjà citées, on le trouve aussi, mais en forte minorité, dans les Côtes de Brulhois et à Cahors. Mais il a trouvé refuge au-delà de l’Atlantique en Uruguay (quelques milliers d’hectares), amené par des émigrants basques au XIX ème siècle (il a longtemps été dénommé Harriague, du nom de celui qui l’aurait introduit dans les années 1870). On en trouve aussi au-delà de la frontière en Argentine, et un peu en Californie.
Le tempranillo
On peut considérer le tempranillo comme l’équivalent espagnol du sangiovese, le grand cépage italien dont j’ai parlé lors de la dernière leçon, car on le trouve dans beaucoup de régions d’Espagne, soit seul, soit assemblé avec d’autres cépages, espagnols ou français.Le tempranillo, sous ses divers synonymes, donne de l’étoffe et du style à bon nombre des meilleurs rouges du pays. Il peut, au contraire, assemblé avec des variétés plus tanniques comme le monastell (mourvèdre), assouplir l’assemblage. Avec plus de 185 000 hectares, il est aujourd’hui le plus planté des cépages espagnols.
Le mot temprano en espagnol signifie précoce. Nous voici fixés sur sa capacité à mûrir tôt, ce qui est assez utile sur les hauts plateaux des régions comme la Castille y Leon (appellations Ribera del Duero et Toro), où l’hiver se prolonge, même s’il fait chaud en été. On le trouve dans diverses parties de l’Espagne sous des noms différents : Ull de Llebre en Catalogne, Cencibel à Valdepeñas, Tinto Fino à Ribera del Duero, Tinta de Toro (à Toro !), Tempranillo dans la Rioja, ou Aragonès en Navarre. Il a bien d’autres synonymes encore ! Il est souvent le cépage dominant, voire exclusif dans ces régions. Quand on l’assemble, c’est soit avec du grenache, soit avec du carignan, du graciano ou du monastrell (mourvèdre). Mais, dans certaines régions comme la Ribera del Duero (à Vega Sicilia en particulier), on le trouve associé à des cépages bordelais.
Au Portugal, on le trouve sous le nom de Tinta Roriz, et il est le deuxième cépage le plus planté dans la vallée du Douro. On le trouve également à Dao et, sous le nom d’Aragonez, dans la région d’Alentejo.
Il a été importé en Argentine (5 000 hectares) et en France (1 500 hectares dans l’Aude). Aux Etats-Unis, il y en a un peu en Californie et en Oregon. Aujourd’hui, avec la volonté qui existe chez beaucoup de bons producteurs de diversifier leur encépagement pour éviter de saturer le marché avec des cabernets ou des merlots, il gagne un peu de terrain dans d’autres pays, comme l’Australie, mais reste encore marginal.
Il est difficile de décrire un goût spécifique pour le tempranillo, tant les situations climatiques de sa culture sont variées. On peut lui trouver des arômes proches de la fraise, mais aussi des épices, du cuir et du tabac, mais honnêtement, tout cela dépend largement des méthodes de culture et de vinification adoptées.
Le touriga franca
Après le touriga nacional, voici une autre variété portugaise, également très utilisée dans la vallée du Douro.Jusqu’à récemment, ce cépage rouge était dénommé touriga francesa, en raison d’une origine supposée française. Cela semble bien difficile à prouver mais son implantation au Portugal semble être assez récente. A la différence du touriga nacional, il est très largement planté dans le Douro, aussi bien pour la production des portos que des vins secs, et il couvre environ 20% de ce magnifique vignoble. Le vin produit n’a pas la concentration des vins issus du touriga nacional, et ses parfums sont plus délicats et floraux, mais il s’agit d’un cépage de qualité qui demande de bonnes expositions (face au Sud) pour donner le meilleur de lui-même. Sa réussite actuelle est aussi liée à ses rendements bien plus réguliers que ceux du touriga nacional.
Son succès dépasse largement les frontières du Douro et des régions comme l’Estremadura et le Ribatejo l’ont adopté pour la production de vins secs. Quatrième cépage le plus planté du pays, il reste très peu présent ailleurs. Seules l’Australie, l’Afrique du Sud et la Californie l’exploitent modestement pour la production de vins mutés.
Le touriga nacional
Cette variété portugaise, initialement connue pour ses plantations dans la région de Dão (au sud du Douro), et aussi dans vallée du Douro, fait de plus en plus d’adeptes au Portugal et ailleurs pour sa capacité à produire des vins sombres, concentrés et tanniques.Si Dão ne produit que des vins secs, le Douro est devenu célèbre d’abord pour ses vins mutés, connus sous l’appellation Porto, mais maintenant, de plus en plus, pour ses rouges secs sous l’appellation Douro. Le Touriga Nacional est généralement utilisé en assemblage avec d’autres variétés dans le Douro (une mine pour la biodiversité !), beaucoup plus rarement seul. Il constitue souvent la colonne vertébrale des plus grands portos, les Vintages, qui sont capables de vieillir pendant de nombreuses décennies.
Il était, jusqu’à la mode récente pour des vins concentrés, un peu sur le reculoir en termes de surfaces plantées car peu productif (assujetti à la coulure au moment de la floraison). Un travail sur les sélections clonales a amélioré sa résistance et la reconnaissance de ses qualités naturelles a fait le reste. Ses baies sont petites et très colorées et il peut apporter beaucoup d’intensité de saveurs dans les vins. Avec moins de 3% des plantations dans le Douro et 20% à Dão, il est loin d’être dominant mais sa réputation en fait probablement un cépage d’avenir. On le trouve aussi, et de plus en plus, dans d’autres parties du Portugal, comme l’Estremadura, le Ribatejo et l’Alentejo. L’Espagne, l’Australie et l’Afrique du Sud l’ont également adopté.
L’ugni blanc
Ce cépage est paradoxal : il est très largement planté, mais très peu connu. En Italie, sous le nom de trebbiano, il est le cépage blanc le plus planté mais ne produit pas beaucoup de vins intéressants.On le trouve dans environ 80 appellations de la péninsule, où il est connu depuis très longtemps. Mais, pour rendre les choses moins simples, tous les cépages portant le mot trebbiano en Italie ne sont pas nécessairement du trebbiano ! C’est le cas du Trebbiano di Soave, et du Trebbiano du Lugana, qui sont en réalité du verdicchio, tandis que le Trebbiano d’Abruzzo est en réalité du bombino bianco.
D’Italie, le trebbiano est arrivé en France vers le XIV ème siècle, probablement lorsque les papes se sont installés à Avignon. Aujourd’hui cette variété, dénommée ugni blanc, est la plus plantée (des cépages blancs) en France mais on ne la voit que très rarement sur une étiquette car l’essentiel des vins qu’elle produit sont destinés à être distillés pour produire du Cognac ou de l’Armagnac. Neutre en saveurs, léger en alcool et possédant une forte acidité, le trebbiano n’est guère taillé pour donner des vins secs de qualité mais ce sont justement ces caractéristiques qui le rendent si désirable pour la distillation. On en tire donc des rendements conséquents : de l’ordre de 150 hectolitres par hectare. Il doit y avoir autour de 80 000 hectares d’ugni blanc en France.
Ailleurs on en trouve un peu au Portugal, sous le nom de thalia, et aussi en Bulgarie, Grèce et Russie. C’est donc une variété qui s’adapte à toutes sortes de climats. En Amérique du Sud, il est planté en Argentine, en Uruguay et au Brésil. Il y en a un peu en Afrique du Sud, qui a pourtant préféré le colombard, autre variété acide et neutre (certes moins neutre), pour ses brandies.
Le viognier
L’histoire de ce cépage blanc, dont l’extension géographique est très liée à la vallée du Rhône, est celle d’un sauvetage in extremis, mais commençons, si on peut, par ses origines.A vrai dire, ses origines restent un peu mystérieuses ! Une théorie indique qu’il viendrait de la région de Dalmatie et qu’il était déjà présent dans la partie Nord du Rhône, autour de la ville de Vienne, sous l’Empire Romain. En 2004, l’University de Davis, en Californie, a établi son profil génétique qui montre des liens avec deux variétés piémontaises (les deux étant noires) : le Freisa et le Nebbiolo. Cela paraît plus réaliste comme chemin, mais on ne sait ni quand ni comment il est arrivé dans la vallée du Rhône.
Quoiqu’il en soit, on sait qu’il est fort ancien et qu’il a failli disparaître il n’y a pas si longtemps ! Lors d’un recensement en 1968 on ne dénombrait plus que 14 hectares de viognier répartis entre trois appellations : Condrieu, Château Grillet (cépage exclusif pour chacun) et Côte Rôtie où il peut être assemblé à la syrah, dans la proportion de 20% maximum. Le sauvetage opéré depuis est largement dû à des viticulteurs tenaces comme Georges Vernay à Condrieu, mais aussi à la popularité croissante des vins de la vallée du Rhône auprès d’amateurs anglais et américains, à partir des années 1970.
Dans les années 1990 et 2000, le viognier était redevenu assez populaire, soit comme cépage unique, soit comme variété d’assemblage, et cela dans pas mal de pays du monde. En France on en trouve quelques 2 500 hectares aujourd’hui, dans toute la vallée du Rhône et dans le Languedoc. Condrieu reste petit mais s’étend désormais sur plus de 120 hectares, plus les 3,5 hectares de Château Grillet. Le reste est en vins de pays (souvent seul), mais aussi dans beaucoup d’appellations du sud du Rhône et du Languedoc, presque toujours en assemblage. Il est devenu assez populaire aux Etats-Unis (1000 hectares environ) et en Australie, parfois assemblé avec de la syrah comme à Côte-Rôtie, et il progresse au Chili. On le trouve aussi, marginalement, en Italie, Grèce et Suisse, par exemple.
Le viognier produit peu de raisins et peut être difficile à cultiver, ce qui explique en grande partie sa quasi-disparition à une période où la rentabilité primait sur tout le reste. Les raisins sont assez sucrés, parfumés et très jaunes en couleur, donnant des vins également assez colorés. Le niveau d’alcool du vin tend à être élevé, donnant de la texture et du grain aux vins, et les parfums bien épanouis évoquent souvent l’abricot, la pêche ou la fleur blanche. L’acidité est relativement faible, faisant du Condrieu, par exemple, un des grands vins blancs qu’il vaut mieux boire jeune.
Le xinomavro
Je suis souvent fasciné (ou amusé) par le sens des noms des cépages, qui peut faire allusion à une supposée origine géographique, ou bien à des caractéristiques gustatives. C’est le cas, par exemple, du malbec (qui signifie « celui qui fait mal au bec »), variété originaire du Sud-Ouest français. Mais c’est aussi le cas de beaucoup d’autres variétés dans différents pays, comme le xinomavro grec. Son nom signifie « noir et acide », ce qui nous donne une idée assez précise de certaines de ses caractéristiques, car il arrive très tardivement à maturité, même dans ce pays chaud.
On rencontre du xinomavro un peu partout dans le Nord de la Grèce, notamment en Macédoine, dans des appellations comme Goumenissa ou Naoussa. On en trouve également dans d’autres régions de Grèce, autour du Mont Olympe par exemple, en Thessalie, où il est assemblé avec d’autres variétés pour produire un vin appelé Rapsani.
En altitude, son acidité atteint un tel niveau qu’il est aussi employé pour élaborer des vins pétillants, mais aussi des rouges légers et des rosés, comme à Amyntaio (Macédoine). C’est donc un excellent exemple de la capacité d’adaptation de la vigne aux climats chauds. Et sa versatilité est telle qu’il est, dans certaines situations, aussi capable de produire des rouges colorés et très tanniques, capables d’un long vieillissement. C’est le cas notamment des vins de Naoussa qui comptent parmi les plus intéressants du pays.
Le zinfandel
orsque je prononce le mot zinfandel, la plupart des gens me demandent de le répéter. C’est dire si ce cépage n’est pas du tout familier en France. D’ailleurs il n’est pas français.Il est d’origine Croate mais il est connu là-bas sous un autre nom, alors ce n’est pas la peine d’aller dans votre restaurant préféré de Dubrovnik ou de Split et demander un zinfandel ! Son parcours est assez singulier, et on ne sait pas pourquoi il a acquis le nom de zinfandel de l’autre côté de l’Atlantique.
Commençons par ses probables origines géographiques, parce que des analyses génétiques ont permis de les confirmer. Des recherches menées conjointement par des chercheurs croates et californiens (car c’est surtout en Californie qu’on trouve le zinfandel) ont découvert que le zinfandel est identique à une variété presque éteinte mais qui subsiste sur l’île de Kastela sur la côte croate Craitie, dénommée Crljenak Kaštelanski, ce qui signifie simplement « raisin de Kastela ».
Cette variété devait faire partie de la pépinière impériale de Vienne vers le début du XIX ème siècle et a ensuite été importée aux Etats-Unis, probablement en 1829, par un dénommé George Gibbs. Elle était cultivée dans la région de Boston dès les années 1830, essentiellement comme raisin de table, et a acquis parfois le nom de zinfandel, mais parfois de « Black St. Peter’s ».
Dès la ruée vers l’or de 1849 en Californie, le zinfandel a suivi les migrants et a été planté à Napa et à Sonoma au cours des années 1850. Il a dû donner des vins très décents pour l‘époque car un vigneron français présent en Californie en 1862 les a comparés à de bons « clarets » français (i.e. bordeaux).
Parce que le zinfandel n’avait pas d’origines françaises, il a peu intéressé les chercheurs de Montpellier. D’ailleurs, il n’est toujours pas sur la liste des variétés autorisées en vin de pays en France mais il existe au moins un zinfandel produit en France : la cuvée Z du domaine de l’Arjolle, dans l’Hérault, en vin de table.
Dans les années 1990 on a découvert que la variété nommée primitivo, dans le sud de l’Italie (les Pouilles), désignait le même cépage. Dans ce cas il a probablement été importé de Californie après le phylloxera, pour régénérer les vignobles détruits. N’oublions pas la forte connexion entre les USA et l’Italie !
Mais revenons aux Etats-Unis car c’est en Californie qu’il a acquis ses lettres de noblesse. Longtemps utilisé comme « bonne à tout faire » en produisant des blancs, des rosés, des rouges légers et même des pétillants, un petit groupe de producteurs de qualité a commencé, à partir des années 1960/1970, surtout dans la région de Sonoma, à en tirer de grands vins rouges : Ridge, Roccioli, Ravenswood, Seghesio et quelques autres. On trouve du zinfandel un peu partout en Californie car il résiste très bien à des conditions arides. Il s’est tellement bien adapté qu’il s’est diversifié localement et j’ai visité une ferme expérimentale à Napa, appartenant au California Wine Institute, qui mène des expériences avec des dizaines de variantes du zinfandel, prises par sélection massale dans de vieux vignobles. J’ai aussi vu à Sonoma des pieds âgés de près de 100 ans.
Loin derrière les 20 000 hectares plantés en Californie, on trouve de toutes petites quantités de Zinfandel en Australie et en Afrique du Sud.
Les cépages et leurs autoisations
Dans ma série en cours sur les outils de la vigne et du vin, j’aurais dû certainement commencer par la vigne, même si le pied de vigne relève évidemment du monde végétal et n’est donc pas entièrement un artefact de l’homme. Néanmoins l’homme sélectionne, greffe, clone, plante, taille et soigne la vigne, et on peut dire qu’aucun pied de vigne laissé à l‘état naturel ne produirait de vin buvable. Il est donc légitime de considérer la vigne comme un outil.Il faut savoir qu’en France les variétés de vignes sont sélectionnées et agréées selon une procédure d’autorisation qui varie selon les cas. Dans le cas des AOP (ex AOC) seul un nombre assez restreint de variétés de vignes, et qui doivent toutes être de la famille vitis vinifera, est autorisé. Variables selon chaque cas (région, appellation et type de vin), les variétés autorisées sont en théorie adaptées aux conditions naturelles de chaque région mais il faut y ajouter les pratiques et habitudes ancestrales locales, qu’elles soient rationnelles ou non. Le phénomène du réchauffement climatique devrait probablement remettre en cause ces habitudes qui sont gravées dans le marbre des décrets d’appellations.
Dans le cas des IGP (ex vins de pays), les choix en matière de cépages sont bien plus vastes que pour les AOP. Ils peuvent appartenir à la famille vitis vinfera ou être issus d’hybrides entre des vinifera et d’autres familles de vitis. Aujourd’hui, on recense plus de 240 variétés autorisées toutes régions françaises confondues, chacune se réservant le droit d’en exclure dans ses décrets. Et ce chiffre est en augmentation : parmi les dernières entrées au catalogue, il faut noter la petite arvine, cépage Suisse du Valais, le verdelho qui vient du Portugal (verdello en Espagne) et le parellada, cépage blanc très implanté en Catalogne. Des agréments sont en cours pour le primitivo (Italie), le zinfandel (Californie), le feteasca neagra roumain, parmi d’autres.
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