A la (re)découverte de l’Anjou blanc
Il y a près d’un an, j’ai assisté à Paris à une dégustation de vins blancs secs d’Anjou dont la qualité générale m’avait fortement impressionnée. Ces vins avaient clairement de l’intensité, de la séduction, de la rigueur et, du coup, la capacité à très bien se conserver et à gagner en complexité avec le temps. C’est pourquoi j’ai répondu très vite à l’invitation à venir voir sur place et à déguster une sélection plus large de ces vins, issus de différents millésimes.
Luc Delhumeau, au Domaine de Brizé, auteur d’un sompteux 2011 (credit David Cobbold)
La région au sud d’Angers, sur la rive gauche de la Loire, est surtout réputée pour ses vins moelleux issus du cépage chenin blanc dans les appellations Aubance, Layon, Chaume et Bonnezeaux. Mais pour faire un grand vin doux qui provient, en partie ou en totalité, de raisins botrytisés, il faut des conditions météorologiques qui ne se commandent pas. L’exemple des deux dernières récoltes le démontre : quand les conditions ne sont pas remplies, on ne peut guère en produire, à moins de tricher. Et beaucoup ne veulent pas tricher. Comment faire alors, car il faut bien vivre ?
La première solution consiste à convertir une part significative de son vignoble à la production de vins rosés ou rouges. Beaucoup de vignerons s’y sont résolus et la part des rosés atteint désormais 50% de la production locale. Mais l’image (et le prix qui va avec) des rosés d’Anjou n’est guère valorisante, et des producteurs font preuve d’une autre ambition : rester fidèle à la tradition locale du chenin en tablant sur la production de blancs secs de haut niveau. C’est cette idée qui préside à la volonté d’un groupe significatif de bons producteurs de la région de créer une appellation haut de gamme pour les vins blancs secs. L’objectif : stimuler leur production et les faire connaître au-delà du cercle des initiés. Tirer une appellation vers le haut implique nécessairement d’imposer quelques contraintes sur les méthodes de production. J’ai comparé les cahiers de charges pour l’appellation blanc sec existante et celle dite « haut de gamme », et les différences me semblent couler de source. Je résume : chenin blanc à 100% (l’appellation de base autorise un part de chardonnay et/ou de sauvignon blanc), densité de plantation supérieure de 10%, taille plus rigoureuse, charge maximale réduite de 20%, enherbement ou travail des sols obligatoire, vendanges manuelles, rendement réduit de 10%, richesse en sucres plus élevée et pas d’enrichissement artificiel, élevage des vins plus longs et sans morceaux de bois….. rien de très dramatique, juste du bon sens, il me semble.
La dégustation
J’ai dégusté, au Musée du Vin de Saint Lambert-du-Lattay (excellent endroit pour une dégustation, calme et avec une équipe aussi sympathique qu’enthousiaste) 49 vins issus essentiellement des millésimes 2012, 2011 et 2010, avec quelques vins plus anciens pour juger de l’aspect « vin de garde » inhérent au concept : 2009, 2008, 2005, 2003 et 1996. Mon impression globale a été très bonne. Je vais vous paraître trivialement mercantile (je sais, c’est la nature d’un peuple marchand, mais c’est aussi ce qui fait vivre un vigneron !) et vous parler d’abord de prix avant de vous livrer mes préférences et autres remarques. Le prix moyen (prix public) des vins dégustés se situe autour de 10 euros avec un écart assez important entre le moins cher (4,90) et le plus cher (un peu plus de 20 euros). Vu leur niveau qualitatif moyen, je dirai que ces vins valent mieux sur le marché, surtout quand on les compare aux blancs de Bourgogne. Un prix moyen de 15 euros me semblerait largement justifié.
Mon critère de tri pour cette sélection étant une note d’au moins 14,5/20 pour chaque vin, quel que soit le millésime. Selon ce critère subjectif, on constate un taux de réussite d’un peu plus de 60%. Je dois dire que je ne trouve que très rarement ce genre de taux dans une série de vins d’une même appellation, et surtout à ce niveau de prix. Ce score confirme mes premières impressions. Quelques vins (2 ou 3) ont été rejetés parce que je trouvais leur dosage en soufre excessif. Deux autres parce que, manifestement, on avait négligé de sulfiter à bon escient et ces jeunes vins montraient une oxydation prématurée avec une perte d’arômes et de netteté. Quelques autres me plaisaient un peu moins parce qu’une présence de botrytis donnait un nez de cire qui dominait tout le reste. Mais, dans l’ensemble, que du plaisir avec ces vins qui associent, dans des proportions forcément variables, vivacité, saveurs riches, structure et persistance. Autrement dit, les bons Anjou blanc secs sont des vins de caractère avec une capacité de garde affirmée. Je ne rentrerai pas ici dans le débat sur la nature des sols qui semblent être majoritairement schisteux . Je laisse cela aux spécialistes et je vous renvoie aux écrits forts intéressants de Patrick Baudouin, excellent vigneron qui préside avec intelligence l’appellation Anjou blanc : http://www.patrick-baudouin.com/IMG/pdf/CHENIN_SUR_SCHISTES_EN_ANJOU_REVIVAL12mai2014.pdf
Mes vins préférés (listés par ordre de dégustation, pas de préférence).
Millésime 2012 (sur 18 vins) : Domaine de la Bergerie, Domaine de Juchepie, Domaine des Trottières, Domaine Bablut Petit Princé, Pithon-Paille L’Ecart, Domaine Richou Les Rogeries, Domaine des Forges Expression d’Automne, Domaine Pierre Chauvin
Millésime 2011 (sur 11 vins) : Domaine des Iris Fûts de chêne, Domaine Richou Les Rogeries, Domaine de Brézé Loire Renaissance, Château de Fesles La Chapelle, Domaine Pierre Chavin La Fontaine des Bois, Domaine Patrick Baudouin Le Cornillard, Château Pierre Bise Les Roannières
Millésime 2010 (sur 8 vins) : Domaine Patrick Baudouin Le Cornillard, Domaine Richou Les Rogeries, Château de Passavant Montchenin
Millésime 2009 (sur 6 vins) : Château Pierre Bise Le Haut de Garde, Domaine de Juchepie, Domaine de Bablut Ordovicien, Domaine Richou Les Rogeries, Domaine Leblanc, Domaine Patrick Baudouin Le Cornillard
Millésime 2008 (sur 3 vins) : Domaine Richou Les Rogeries, Domaine Patrick Baudouin Le Cornillard, Domaine Cady Cheninsolite
Millésime 2005 (1 vin) : Domaine Patrick Baudouin Le Cornillard
Millésime 2003 (1 vin) : Domaine des Iris Fûts de chêne
Millésime 1996 (1 vin) : Domaine Ogereau
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