Beaumes de Venise : le beau et le bon
Un joli nom, des paysages marquants, des vins vivants, dont une vieille spécialité locale, le muscat, autant de bonnes raisons de partir à l’assaut du vignoble de Beaumes de Venise, juché au pied des Dentelles de Montmirail, dans le Vaucluse.
L’élégance des vins rouges
La route a quitté la plaine et grimpe doucement vers Beaumes, village de 2500 amês, de pierre claire, bloti au pied d’un massif imposant percé de grottes, « baumo » en provençal. A la sortie, la route serpente plus franchement à l’assaut du relief qui s’accentue à l’approche des Dentelles de Montmirail, pics calcaires hirsutes et crantés qui dominent la plaine du Comtat Venaissin. On entre dans les hauteurs du vignoble de Beaumes, autour des villages de Lafare, de La Roque-Alric, accroché à un piton, et de Suzette, commune pleine de charme perchée au sommet de l’appellation. On comprend la flatteuse réputation des paysages méditerranéens locaux. La vigne groupée en petites parcelles, aux orientations changeantes, alterne avec des haies, des bosquets de chêne blanc, de pins d’alep, quelques oliviers, amandiers et abricotiers, créant une formidable variation de tons, d’inclinaisons, de reliefs et de couleurs, comme on en voit rarement ailleurs dans le Vaucluse. Jean-Paul Anrès, président du syndicat, explique que l’appellation a eu la bonne idée de geler le paysage et de préserver cette saine et belle diversité. « Les vignerons ont bien compris que les paysages faisaient aussi partie du fond de commerce » renchérit Claude Chabran, président de la coopérative (Balma Venitia). Et pour ne rien gâcher, la commune de Beaume a choisi d’endiguer le développement anarchique des zones pavillonnaires. Du bas jusqu’en haut (500 m d’altitude), le vignoble de Beaumes de Venise couvre 1000 ha. Les pieds plantés dans la terre ocre du Trias (300 millions d’années !), Georges Truc, ancien universitaire, nous conte l’histoire tourmentée et passionnante de la géologie locale qui se lie dans le paysage à livre grand ouvert : celle d’une compression gigantesque (la faille de Nîmes) qui a fait remonter du fond des âges géologiques les vieilles formations sous-jacentes (le Trias) et surelévé les plaques de calcaire qui forment aujourd’hui les Dentelles. Il en ressort une vraie originalité et zonalité des terroirs : terres jaunes du Trias, terres grises du Jurassique, terres blanches du Crétacé. A l’initiative de la cave Balma Venitia, qui en a été à l’origine dès 1996, une partie des producteurs jouent cette carte et vinifient des cuvées par terroir. Passé cru en 2002 pour ses vins rouges, Beaumes-de-Venise récite la partition habituelle du sud de la vallée du Rhône : une dominante de grenache noir, complétée par une proportion variable de syrah (et quelques autres cépages d’appoint) mais avec une dimension de d’élégance et de fraîcheur que n’ont pas forcément les appellations de plaines, plus basses et plus chaudes. Exposées au sud et protégées du mistral par les Dentelles, les vignes ne manquent pas de soleil mais l’altitude modèrent les chaleurs estivales et permet de conserver l’équilibre des raisins. Relativement peu de bois, des vinifications qui privilégient le fruit, Beaumes cultive un type de vins souples, accessibles, friands, abordable tant en prix qu’en style. Sur cette base, les sensibilités s’expriment à loisir et offrent une palette de rouge séduisante comme l’a prouvé une dégustation d’une trentaine de cuvées.
Variations autour du muscat
Mais si Beaume s’est fait un nom auprès des amateurs, c’est grâce à sa spécialité, le muscat. L’appellation entretient avec le cépage une vieille complicité qui semble remonter à la présence des papes en Avignon au XIV è siècle, propriétaires à Beaume de « muscadières ». La région a très longtemps capitalisé sur ce vin blanc aussi doux qu’aromatique, unique dans la vallée du Rhône, et très en vogue en Angleterre dans les années 1980. Sur les 1000 ha du vignoble, 350 sont consacrés au muscat à petit grain. Certes, les temps ont changé et le monde qui n’a jamais mangé aussi sucré s’est mis à bouder les vins doux. « A Beaumes, on a une petite production, presque un marché de niche » tempère Claude Chabran et si les producteurs concèdent qu’il faut déployer un peu plus d’énergie pour les vendre, le muscat local conserve heureusement ses afficionados. Les muscats sont plantés dans les parties basses de l’appellation, principalement autour de Beaumes dans les sols sableux (les safres) où il mûrit facilement en se gorgeant de sucre. Muté à l’alcool en cours de fermentation, il donne un vin blanc doux intense et puissant qui, dans ses bonnes versions, offrent tous les parfums du cépage (raisin sec, fleur d’oranger, fleur blanche, miel, fruit jaune et exotique) et une rondeur qui ne doit pas peser. Parmi les meilleurs interprètes figurent la famille Hall du Domaine des Bernardins qui produit un muscat onctueux et profond, à la robe plus ambrée qu’à l’accoutumée. Le secret maison réside peut-être dans la part de muscat rouge, une variation génétique du cépage. « Il représente presque un pied sur quatre, complanté dans notre vignoble » indique Romain Hall, sixième génération de la famille, qui précise que « si les arômes du muscat rouge sont très proches, il permet de mieux supporter le mutage et favorise le bel équilibre du vin ». Quelques producteurs jouent sur cette déclinaison du cépage pour produire des rosés ainsi que de rares mais très convaincants muscats rouges (100% muscat rouge). D’autres essayent au muscat sec, produit en vin de pays, en attendant la possible naissance d’une AOC Beaumes-de-Venise blanc sec qui ferait naturellement la part belle au cépage emblématique de la région.
Carnet d’adresses
Beaumes de Venise rouge
On a eu l’occasion de déguster une série de vins rouges issus des derniers millésimes dont 2013 et 2014, deux années particulièrement capricieuses dans la région. Parmi les coups de cœur, le domaine de Saint-Amant, un domaine conduit en bio perché sur les hauteurs de l’appellation : on a aimé le Grangeneuve 2013, intense, ferme et vibrant, qui tire parti de ses 40% de syrah. Le domaine de la Boussière est le dernier à vendanger. Cela se sent dans son Beaumes 2012, suave et mûr qui rappelle les grenaches puissants du bas de la vallée. Plus classique, bien dans le fil de l’appellation, le beaumes 2014 des Bernardins respire le fruit, la fraîcheur et les épices avec une fermeté de structure qui présage d’un joli vieillissement. A Suzette, le domaine des Garances, autre bio, a fait mouche avec sa cuvée Les Faysses 2013, marquée par le fût mais dont on aime la vitalité et l’arrondi de la bouche. Durban signe deux belles cuvées, les Vieilles Vignes 2014, juteuse et ferme, et une Cuvée Prestige, moderne, charnue et boisée. Mention aussi pour le domaine de Coyeux, ancienne gloire de l’appellation qui renaît de ses cendres : le 2012 vaut le détour par son côté friand et énergique. Goûté à part, le Domaine de la Ferme Saint-Martin, l’un des ténors de l’appellation, justifie sa réputation. A Beaume, les Jullien possèdent 15 ha de vignes travaillées en agriculture biologique depuis 1998. Texture suave et fraîche, tanins affinés, magnifique expression du fruit, tous les vins de leur gamme sont au diapason.
Muscat de Beaume de Venise
Valeur étalon, le domaine des Bernardins nous régale d’un muscat 2014 sompteux, doré de robe, complexe, intense, miellé, suave et long. Celui de La Pigeade (2013), est gorgé de toute la pureté aromatique du cépage : fleur d’oranger, orange amère, raisin frais. Le 2012 du domaine de Durban en donne une version plus capiteuse mais parfumée à souhait. On a aimé la finesse de la cuvée Amour du domaine Saint-Roch, délicate et florale, joliment équilibrée, et le muscat très pur et intense du domaine de Fenouillet. Le domaine Alain Ignace signe une magnifique cuvée de muscat rouge, à la robe rubis (le Péché d’Emilie), intensément fruitée (fruit rouge et épice) et parfaitement digeste tout comme Balma Venitia et son rouge Exclusif (voir encadré).
Credit photo : Eloïse Beaumes de Venise
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