Ode aux vins grecs

Ode aux vins grecs

Imaginaire, caractère, sensation, émotion, voilà tous les voyages auxquels m’a convié une formidable dégustation de vins grecs organisée par Mavromatis* qui avait pour l’occasion rassemblé une vingtaine de producteurs parmi les plus en vue du pays.

 

Rouges vivants, blancs vibrants

Les vénérables Anciens ne nous ont pas légué qu’Homère, Hérodote ou Hésiode, ils nous ont aussi transmis l’amour du vin  à une époque où nous autres celtes barbotions allègrement dans la cervoise.  Les crus de Pramnios ou d’Ismaros qui égayent  le périple d’Ulysse sont parmi les plus vieux crus répertoriés du monde. C’était il y quelques 2800 ans… Certes de l’eau a coulé sur les ponts et les grecs se sont longtemps noyés, comme d‘autres, dans des flots de vins sans grâce mais dans ce pays, que la crise rend encore plus attachant, les grands vins de l’Antiquité sont de retour. Mavromaphné, Xynomavro, Assyrtico, Nemea, Céphalonia, Attica… rien que les consonances des cépages et des appellations nous ramènent vers un imaginaire chargé de récits, de mythes, d’histoires édifiantes.

Mais si émotion il y a, c’est parce que les meilleurs vins grecs stimulent autant les papilles que l’esprit. Il y a quelque chose de vivant dans l’équilibre des meilleurs vins rouges grecs et de vibrant dans celui des blancs qui font parler la lumière, la pierre, la mer, le sel. La Grèce c’est un vignoble de 107 000 ha situé à des latitudes bien sudistes mais les vins locaux n’ont rien de solaire, de mou, de cuit, bien au contraire. Les blancs sont étonnants de vitalité et de fraîcheur aromatiques, les rouges sont souvent vibrants, vivants, bien structurés, entre tanins et acidité. La faute à la physiologie des cépages locaux (75% du vignoble), à l’omniprésence de la mer, des vents, de la montagne, de l’altitude qui modèrent les morsures du soleil, et au talent de ses meilleurs producteurs dont voici un aperçu.

 

 

Retsina

Si vous êtes fâché avec la Retsina, et il peut y avoir de bonnes raisons, faites un détour par le domaine Kechris (Macédoine) qui en a fait sa spécialité. Pour produire un vin « résiné », on laisse macérer dans le moût en fermentation de la résine de pin d’Alep qui apporte ses arômes très typés. C’est l’avatar moderne d’une technique antique consistant à étanchéifier les contenants (outres, amphores) avec de la résine qui donnait au passage aux vins un goût « poissé ». Aujourd’hui on peut s’en servir pour masquer la médiocrité des vins de base, ou donner, comme ici, un supplément d’âme à des vins excellents. La Kechribari (10 €), issue du cépage roditis, est splendide à ce prix : à la fois tendre et frais, soyeux de texture, aux notes délicates de résine, d’estragon et de végétal frais. Les Larmes du Pin (22 €), issue de l’assyrtico, y ajoute une vinification en barrique, et c’est magnifique.  Et s’il fallait se réconcilier avec les retsina de l’Attique, le bastion de la production, et son cépage vedette, le savatiano, on goutera à celle de Papagiannakos (10 €).

 

Santorin

La plus belle île des Cyclades dit-on, en tous cas la plus connue de l’œnophile. Anonyme il y a 20 ans, le vignoble de Santorin est devenu un standard grec, grâce à son cépage vedette, l’assyrtico, capable de donner une large palette de vins qui ont comme fondamentaux une forte acidité et des saveurs franchement minérales. Le domaine Argyros en livre toute les nuances : l’assytico 2016 (23 €) est une expression directe du cépage : intense, vif, aux saveurs subtiles, salines, précises. Ktima 2016 (27 €) est plus enveloppé, charnu et moderne. En version vinsanto (vin doux issu de raisins passerillés) il faut goûter le 12 ans (68 € hélas), oxydatif et langoureux. Haridimos Hatzidakis, disparu en 2017, était le vigneron emblématique et vedette de l’île. 2016 aura été son dernier millésime vinifié. La cuvée Skitali possède beaucoup de tout : d’acidité, de gras, d’alcool, un fond légèrement tannique et des arômes complexes, lumineux, salés. Impressionnant mais trop cher (46 €).

 

Céphalonie

C’est la plus grande des îles ioniennes et le fief du domaine Gentilini. L’île est volcanique, les sols rocailleux et le vignoble s’étage sur des coteaux qui tutoient les 800 m d’altitude. Le robola est une spécialité locale, déclinée en deux cuvées très réussies : Le Robola 2017 (17 €) est un blanc parfaitement rafraîchissant, vivace, parfumé (fruit vert, pomme verte), salin et vivifiant. Le Wild Paths 2016 (20 €) provient de vieilles vignes avec un élevage partiel en barriques : citron vert, tilleul, notes vanillées, de la rondeur et une finale cristalline et iodée.

 

Macédoine

Naoussa est une des appellations vedette du pays. Située dans la Macédoine Centrale, elle met à l’honneur, entre plaine et coteaux, le xinomavro (« acide et noir ») un cépage qui, planté en altitude, donne des rouges pas si noirs que ça mais solides, tanniques, acides, de garde, parfois rustiques. Il faut savoir le dompter, ce que fait très bien le domaine Diamantikos : une robe pâle, un nez complexe (floral, cuir, épice, boisé), une bouche solide, fraîche, ferme, vibrante pour le Naoussa 2015 (23 €) qui vieillira bien (magnifique 2012).

Goumenissa est situé au nord-ouest de Naoussa. Au domaine Aidarinis, le xinomavro est épaulé par un cépage local, le negoska. Cela donne la cuvée Single Vineyard « Î » 2013 : profond, aromatique (cuir, laurier), tannique, au goût de rafle et à la finale mentholée (20 €).

Amyndeon, à deux pas de la frontière albanaise, a comme figure de proue le domaine Kir Yianni : le Kali Roza 2016 (17 €) est un xinomavro solide et fringuant. Le caractère du cépage ne se dilue par dans son rosé : l’Akakies 2017 (13 €) est un vrai rosé, coloré (48 h de macération), vineux, savoureux et suffisamment frais. On ne quitte pas Kir Yianni sans s’essayer à son blanc Paranga 2017 (12 €) : une base de roditis et 20% de malagousia, qui l’emporte en bouche avec ses arômes exubérants. Le cépage est une des nouvelles coqueluches grecques, bien au goût du jour : entre le muscat et le viognier par ses arômes, mais sans le gras et avec la fraîcheur en plus. A l’origine de son renouveau, il y a le domaine Gerovassiliou, dont le vignoble jouxte l’Egée au sud de Thessalonique. Son Malagousia (2016 ou 2017 ?) est parfait sauf le prix (20 €) : vif, croquant, parfumé, net, désaltérant. Son rouge Avaton (32 €), issu de cépages locaux, est une formidable illustration du tempérament grec : charnu, voluptueux et tannique à souhait.

 

* Tous les vins sont importés par Mavromatis, les tarifs sont ceux indiqués par l’importateur.

Mavromatis : www.mavrommatis.com. Restaurants (Mavromatis et Délices d’Aphrodite) et caviste (49, rue Censier 75005 Paris)

 

 

L’auteur de l’article :
Sébastien Durand-Viel est dégustateur, auteur, journaliste spécialisé, il a signé ou cosigné une trentaine de livres sur le vin et collabore à des revues. Il est cofondateur de l’Académie du Vin de Paris (www.academievin.fr).

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