Mas Bécha, des vins d’auteur
Le vignoble du Roussillon est exploité par un large éventail de domaines, dont certains ont porté haut la réputation d’une région avec le mérite de montrer la richesse et la variété de ses ressources. Aujourd’hui, si ces grands noms s’attachent à maintenir l’excellence de sa production, des vignerons singuliers dévoilent de nouvelles facettes en découvrant un potentiel inédit, voire insoupçonné. Parmi ces derniers, on remarque évidemment les adeptes des vins dits « naturels », ici particulièrement actifs, cependant, il est des vignerons hors de cette mouvance, ni jusque-au-boutiste ni conventionnels dans leur approche du vin. Charles Pérez est de ceux-là, un acteur à part entière, un franc-tireur en quelque sorte, dont les œuvres ne laissent pas indifférent par une constitution dont l’équilibre et les saveurs enchantent et confondent sur leur origine, celle d’une terre qui rime assurément avec grand soleil.
La conception de ses vins reflète une part de pragmatisme, un esprit de créativité et un sens du défi. Cette démarche plurielle se traduit par des expressions échelonnées suivant leur vocation et leur ambition, tout en affirmant leur propre personnalité par un jeu inspiré par les nuances du terroir, les cépages et les modes d’élaboration. Elle caractérise l’âme épicurienne du Mas Bécha.
Renaissance d’un domaine, naissance d’un style
Doté d’une formation élémentaire en viticulture et œnologie, Charles Pérez va concrétiser son savoir à Bordeaux ainsi qu’aux Etats-Unis, des expériences enrichissantes puisqu’elles inspireront les parti-pris techniques qui façonnent sa philosophie du vin. Ses premiers pas, il les fait en gérant un très vaste domaine familial voué à une production traditionnelle de vrac et de Vin Doux Naturel. Après quelques années à ce rythme, il y opère une mutation intégrale en isolant seulement 25 ha de vignes sur les 110 qu’il comptait initialement. L’espace ainsi libéré le sera au profit d’un environnement d’amandiers, d’oliviers, de chênes lièges et de plantes fourragères. Ainsi naît Mas Bécha en 2008 avec une volonté de faire renaître une biodiversité sur ce terroir des Aspres, lieu des premiers contreforts du Mont Canigou depuis Perpignan. La certification en bio, obtenue en 2011, satisfait logiquement cette démarche.
Résultant d’un remaniement drastique où seules les vignes plantées par son père ont été conservées, le vignoble a été implanté sur les terrains les plus propices, certaines parcelles ayant même vu leur sol entièrement reconstitué et intelligemment configuré pour répondre au réchauffement climatique. Pendant à ce chantier inhabituel et conséquent, une cave d’architecture traditionnelle a été spécialement aménagé pour mettre en œuvre un processus d’élaboration pour le moins déconcertant eu égard aux pratiques généralement admises pour des vins de haute expression. Ainsi, des vinifications de moûts maintenus plusieurs jours à très basse température bénéficient à l’entière constitution des vins, quel que soit leur statut, autant sur le plan aromatique que sensoriel.
C’est donc sur un terrain conciliant innovation et ambition que Charles Pérez se démarque d’une manière paradoxale, assumant un style de rouges sans compromis sur la maturité dispensée par un ensoleillement prodigue tout en ayant la grâce d’un équilibre insoupçonnable à leur degré de générosité. Il parvient ainsi préserver le capital de fraîcheur du fruit, indispensable à sa pleine appréciation, évitant ainsi les relents parfois peu engageants d’une surmaturité. Pour ne rien gâter, la texture des rouges est en phase avec cet équilibre gustatif et surprend tout autant par sa nature digeste.
Révélation d’un terroir
Réduit au quart de sa superficie d’origine, le vignoble formant désormais le Mas Bécha a été constitué sur le meilleur potentiel de son terroir avec pour objectif un reclassement de parcelles en AOP Côtes du Roussillon Villages et Côtes du Roussillon Les Aspres(1), des appellations recouvrant théoriquement l’ensemble de son territoire. Dans cette démarche, Charles Perez a effectué un travail de remise en valeur des sols afin de leur rendre une fertilité égarée depuis l’époque où seuls comptaient la monoculture du raisin et des rendements confortables. Ainsi, d’importants amendements naturels ont été faits pour ramener une vie organique dans une terre rendue inerte par les méthodes conventionnelles. Pratiquant une viticulture éloignée des préceptes antérieurs à la reprise du domaine, notre vigneron a pourtant choisi le mode ancestral de l’échalas pour conduire la pousse des jeunes grenaches, de manière à harmoniser leur maturité. Dans une même volonté de cueillir des raisins mûrs, il va jusqu’à reconstituer un plantier(2) par un apport de terre graveleuse issue du domaine, dans le but d’obtenir un sol homogène et bien filtrant, garant d’une concomitance du mûrissement des raisins.
Le drainage des eaux, autrefois délaissé, a d’ailleurs été un critère majeur dans l’implantation des vignes, surtout que les replantations dominent dans une propriété dont le seul héritage était constitué de quelques grenaches et syrahs plantés en 1997. Ainsi, malgré un âge moyen relativement jeune, les vignes livrent déjà l’essence d’un terroir de choix et dont on mesure la grandeur à travers les cuvées parcellaires.
Croqués pour le plaisir
L’initiation au style de Mas Bécha commence avec les cuvées qualifiées de « portraits de famille », au signalement peu conventionnel puisque leurs étiquettes sont loin d’être académiques et reflètent plutôt un humour décalé. Ainsi vont en quelque sorte les vins qu’elles contiennent, confectionnés avec sérieux, mais sans perdre de vue une notion de plaisir tantôt immédiat tantôt bien esquissé, suivant l’attente de tout un public d’aujourd’hui.
La mise en bouche de cette gamme s’opère par le Classique, dont le 2018 affirme une nature gourmande, rehaussée par un accent mentholé et épicé, et la dispense dans corps charnu et gouleyant, donnant un vin à boire sans manière. Sa version en rosé reprend de son caractère, égayant le palais de sa nature fraîche et d’une matière pleinement fruitée.
D’une composition similaire, avec une syrah dominante et des appoints en grenache et mourvèdre, la cuvée Barrique annonce sans ambages un élevage en fûts. Pour autant, son 2017 ne se ressent d’aucun artifice grâce à un jeu intelligent sur l’âge des contenants. D’emblée charmeur, le vin laisse entrevoir la senteur du fruit opulent et bien défini de son cépage principal, sur l’olive noire, et en exprime la gourmandise et la verve dans une bouche juteuse, aux tanins encore affirmés, fins et veloutés, imprégnant une longue finale de leur substance fraîche, au goût de réglisse.
A contrario du précédent, Excellence est le fruit d’une maturation faite strictement en cuve. Produit d’une parcelle bien identifiée, le 2017 fait valoir son grand naturel d’expression, et surtout un équilibre saisissant compte tenu d’une maturité superlative. Cet équilibre se ressent dans la dynamique d’une forme, qui plus est savoureuse/pénétrant, dont l’aspect structuré mais soyeux indique la jeunesse.
Les blancs nés du doigté de Charles Perez affirment également leur grande singularité. Ainsi Excellence 2017 où grenache et vermentino engendrent un produit surprenant par l’originalité de son registre aromatique qui évoque celui d’un vin de voile(3), et tout spécialement d’un xérès fino. Autrement, il se distingue par une onctuosité savamment relevée par une trame tonique et un goût littéralement sapide.
Terres rares, vins rares
En jonglant sur la nature pédologique de lieux-dits bien caractérisés, notre vigneron conçoit par ailleurs des cuvées parcellaires dont la couleur et le type est en adéquation avec chaque nature de sol. Deux rouges, un blanc et même un rosé constituent cette gamme d’exception, prouvant la plasticité et le potentiel élevé du terroir du Mas Bécha.
Sous un intitulé évoquant une inscription romaine, la cuvée MVD MMXV désigne en fait un vin issu essentiellement de mourvèdre et datant de 2015 ! Riche de nuances épicées, le spectre de ses arômes laisse deviner une expression hors pair. La plénitude ressentie en bouche confirme cette sensation et se décrit comme une matière caressant délicatement le palais, tout en l’instillant de sucs savoureux. Des tanins soyeux tapissent l’ensemble et l’animent de leur noble astringence.
Sans tournure démonstrative, La Bergerie de Camps de Nyls incarne toute l’expressivité et le raffinement d’un grand vin né sur un terroir de galets roulés, à l’essence peu commune. Avant d’exprimer sa somptuosité, le 2015 laisse d’emblée fleurer son constituant majeur, la syrah, à travers un bouquet rappelant l’olive noire, que mâtinent des senteurs d’épices douces, comme le paprika. A l’instar du précédent, sa forme et sa teneur comblent les sens, dans un style plus dense, sans pour autant perdre en fraîcheur de texture, délivrant une expression pleine d’éclat et de sapidité.
Rejoignant le blanc Excellence sur l’aspect gourmand et tout aussi original sur le plan olfactif, Blanc des Clottes 2016 (aujourd’hui épuisé) se distingue cependant de son cadet par un format plus ample, avec pour heureuse conséquence un rendu de matière plus diffus. Derrière ce raffinement, le fil de la minéralité se perçoit dans la note saline et à peine astringente parsemant le fond de bouche, signes tangibles de son terroir.
Dans cette même lignée, la cuvée Serrat d’en Caratx est un rosé hors-norme, confondant par sa nature exquise. C’est ainsi que se révèle celui du millésime inaugural, un 2016 captivant par sa délicatesse de matière, l’intensité et la succulence de sa teneur, tout en laissant filtrer une fine sensation minérale, identifiant la sève du sol d’origine.
(1) L’AOC Côtes du Roussillon Villages désigne uniquement des rouges produits sur des aires communales considérées comme plus qualitatives et délimitées dans le département des Pyrénées Orientales.
Située au sud de Perpignan, l’AOC Côtes du Roussillon Les Aspres recouvre une topographie restreinte à une zone géographique comprise les vallées de la Têt et du Tech, et le massif du Mont Canigou. La commune de Nyls-Ponteilla est ainsi inscrite dans l’aire ainsi délimitée. Etendus sur des terrasses ou des collines, ses sols sont d’origine alluvionnaire, caillouteux et profonds, ils partagent l’atout de pouvoir assurer à la vigne un bon régime hydrique, une vertu cruciale dans un climat particulièrement chaud et dont la sécheresse est accentuée par un régime très venteux.
(2) Parcelle consacrée aux jeunes plants de vigne.
(3) Un vin de voile désigne un vin sec issu d’un élevage sans ouillage (non comblé) dans un fût, pendant lequel se forme une couche – dite voile – de levures à sa surface, le protégeant partiellement de l’oxydation. Ce phénomène lui confère des caractères organoleptiques typiques, comme des arômes rappelant la noix. Les plus réputés d’entre eux sont le vin jaune du Jura et le xérès d’Andalousie.
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
Bravo Charles. Admirable travail. Et tres bien decrit et ecrit…
Très beau texte très juste…ça donne envie de regouter tes vins de copains en toute simplicité et de repasser voir comment le domaine à évolué ! A+