La Castelmaure, le sens du beau et l’art du partage
J’ai republié cet article en hommage à Bernard Pueyo, qui nous a quitté au mois de décembre. Sans lui La Castelmaure n’aurait pas connu une telle destinée, celle d’une confrérie de bons vivants, où l’on s’enchante à faire sérieusement du vin. Et s’il nous a régalé par de vrais vins de partage, il a légué à ses successeurs de quoi perpétuer ses infaillibles recettes de bonne humeur. Parmi elles figure un jardin de cépages d’où naîtront de futures cuvées portant l’empreinte d’une joyeuse réminiscence. J’avais assisté à l’inauguration de ce conservatoire et en ai rendu compte sur mon blog ➤ ici.
Si d’aventure vous aviez l’intention de faire la route des châteaux cathares et que vous vous trouviez sur l’itinéraire reliant la forteresse de Villerouge-Termenès à celle d’Aguilar, un détour par le petit village d’Embrès-et-Castelmaure serait très indiqué. Là, ce n’est pas un vestige de l’hérésie qui vous attend mais une architecture loin d’être en ruine, car bel et bien efficiente, celle des édifices de la cave coopérative La Castelmaure. A l’instar du village gaulois d’Astérix manifestant sa résistance à l’envahisseur, ici c’est le vin qui fait œuvre de potion magique pour résister au monde désenchanté de la production de masse. On l’aura compris, cette unité de taille modeste, établie de surcroît dans un secteur excentré des Corbières viticoles, est devenue mieux qu’une référence, un symbole pour des amateurs de vins « vrais », conçus pour le partage, avec cependant un sérieux qui contraste avec des étiquettes au motif en clin d’œil, celles qui ont justement contribué à propager l’esprit inventif qui ne cesse de l’animer.
Contre vents, marées et modes, La Castelmaure continue d’inspirer de l’enchantement par des vins faits avec les us et coutumes tout en donnant un plaisir neuf, et dont l’image reste un tantinet irrévérencieuse, comme un prisme des humeurs de la société, humour à l’appui.
Des lieux et des hommes
Entre mer et montagne. Cette expression résume avec raison la configuration du vignoble. Nous sommes en effet ici dans les Hautes-Corbières, avec les contreforts des Pyrénées pour voisins. La hauteur n’est pourtant pas le point fort de l’endroit puisque l’altimètre n’indique en gros que quelques 200 m, bien que des vignes grimpent à quelques 500 m. Et si la mer n’y est pas visible à l’œil nu, masquée par d’imposants reliefs, on devine qu’elle n’est pas bien loin puisque le « marin » parvient à jouer son rôle de brumisateur. Si celui-ci saupoudre la vigne de sa fraîcheur, il en est d’autres qui viennent la secouer de ses parasites, plutôt énergiquement, et ont pour nom cers ou tramontane. Voilà pour l’ambiance, mais quid du terrain ? Plutôt que d’épiloguer sur le patchwork des types de sols formant son territoire, on biaisera les explications rebutantes des géologues en disant que les vins résultent en quelque sorte d’une synthèse du parcellaire, plutôt heureuse d’ailleurs. Et si l’on tient un tant soit peu à détailler le sujet, sachez qu’on se trouve ici en pays calcaire où des veines de schistes viennent apporter leur touche et rendre ainsi le terroir encore plus vertueux.
Les lieux d’action de La Castelmaure se résument à deux bâtiments, signes de deux époques, d’un côté une cathédrale typique des coopé, de l’autre une architecture hi-tech efficiente et sans esbroufe, concept d’un cabinet inspiré, celui du tandem Lacaton & Vassal. Ainsi, trouve-t-on côte à côte l’héritage d’un certain âge d’or et le cadre du dynamisme contemporain, en règle avec les préoccupations du temps présent, tous deux creusets d’une réussite. Ce succès étonne quand des entreprises du même type souffrent ou carrément disparaissent. Les raisons à cela ? Une structure à taille humaine, des équipiers motivés par une forme de gestion participative et surtout la qualité et la complicité des hommes qui les relient. Ces hommes, qui sont-ils ? Patrick de Marien, son indétrônable mentor et président charismatique, et Antoine Robert, son nouveau directeur ayant pour bagage plus que ses diplômes : une enrichissante immersion dans ce que l’hémisphère sud compte de meilleur. Ce duo de tête administre en reconduisant largement le legs de l’ère de son prédécesseur, Bernard Pueyo, co-auteur et complice avec Patrick de Marien d’une philosophie qui a ancré La Castelmaure dans un univers créatif et délicieusement débridé.
Passé, présent et devenir
La juxtaposition des caves, l’ancestrale et la nouvelle, laisse à penser que les méthodes des anciens n’ont pas été complètement mises au rancart. En effet, la cueillette manuelle des raisins se perpétue pour le bonheur des raisins et conséquemment celui des vins. D’ailleurs, ces premiers sont bel et bien transvasés dans les cuves via des wagonnets, un dispositif astucieux loin d’être obsolète, puisqu’il rend de bons et loyaux services depuis 40 ans. D’un autre côté, la pléthore de parcelles (835 à ce jour) formant son capital en vignes a été dûment répertoriée sur ordinateur, histoire de séparer objectivement le bon grain de l’ivraie. C’est d’ailleurs sur ce terrain que La Castelmaure se démarque en gratifiant les plus méritants de ses viticulteurs, le noyau dur qui contribue à ses fleurons. Ici, l’époque des rémunérations au degré-hecto, autrement dit a minima, est révolue depuis longtemps et ses dégâts collatéraux ne sont même plus dans les mémoires. On paie donc bien ceux qui contribuent à la fierté de la marque, un montant non seulement respectable pour chaque hectare exploité dans les règles, mais en plus pointilleusement équitable car effectué au prorata des pieds de vigne qui y sont plantés !
Le présent est ainsi mené rondement, avec une mise à jour presque digne de ce nom, puisque les vignes ne sont pas noyées sous les traitements et un règlement interne y veille sérieusement. Pour demain, on ne tire pas des plans sur la comète, mais il est prévu de faire mieux, de cultiver encore plus propre et de ménager les alentours. On envisage également de mieux enraciner la production par le truchement de cuvées qui en disent plus sur leurs sols. Le terroir sera alors une nouvelle carte dans le jeu déjà beau de La Castelmaure. On a d’ailleurs préparé ce terrain en constituant une mémoire végétale de son territoire, une parcelle où l’on conserve depuis quelques années les meilleurs spécimens de chaque cépage.
Des cuvées éphémères
Les aficionados de La Castelmaure en connaissent le principe et ne manqueraient sous aucun prétexte la sortie de ses cuvées dites éphémères, rituellement fixée autour de la mi-juin. Il s’agit d’authentiques tirages limités qui viennent, le temps d’une saison, étancher leur soif, au sens propre comme au figuré. Brise de serre et Vent debout sont les bien nommées de l’édition 2018 de cette gamme, signalées par des étiquettes d’un graphisme fort inspiré, comme c’est l’usage. Leur genre est celui des vins qui conquièrent d’emblée le palais, charmeurs mais sans superficialité, un condensé de tout l’esprit de la maison.
D’autres cuvées sans lendemain, autrement dit « one shot », viennent de temps à autre rompre la tranquillité de la gamme. Ce défi permanent se traduit par des expressions où l’effet de surprise est de mise, y compris dans leur signalétique. Elles peuvent aussi surfer sur la tendance du moment, ce qu’illustrent les espiègles Ni Ni et Sans Sa!, à savoir des rouges élaborés sans ajout de soufre, à l’instar d’une tendance actuelle qui fait couler beaucoup d’encre. Le qualificatif « éphémère » ne doit cependant pas être pris au sens littéral du terme, car le contenu peut largement se bonifier dans le temps, ainsi celui du légendaire et unique Point d’Interrogation 2001, un vin conçu alors pour bousculer l’establishment languedocien, grand par sa stature et osé par son prix.
Des icônes, du (bon) ordinaire et du (peu) ordinaire
La vitrine de sa production est constituée de trois cuvées dont la qualité, le suivi et le panache ont forgé sa réputation au point de devenir de véritables icônes. Baptisées respectivement Pompadour, Grande Cuvée ou N° 3, elles forment un crescendo qui culmine dans le cercle des plus hautes expressions corbiérenques, et même au-delà. Elles témoignent par ailleurs d’un savoir-faire indéniable et sans aspect routinier, d’autant plus louable que leur production, loin d’être confidentielle, représente près du tiers du volume élaboré par la cave. Répondant avec brio à des critères haut de gamme, leur constitution fait largement appel au carignan, un cépage longtemps honni pour sa compromission avec les gros rouges d’une autre époque. Traité au même titre que les rassurants grenache et syrah, il donne du souffle aux compositions, sans les entacher de sa prétendue rusticité.
Dans tout ça, le quotidien n’est pas négligé. Qu’ils s’appellent La Buvette, Rouge Vigneron ou encore Rouge Vieux, ces rouges à boire sans manières accomplissent parfaitement leur mission sans toutefois passer inaperçus. Cela dit, la nouvelle direction ambitionne raisonnablement de les rendre encore plus addictifs, en quelque sorte. Accessibles dans tous les sens du terme, ils accompagnent sans coup férir ce qui tient lieu de mets de tous les jours, sans exception ou peu s’en faut. Respectant la nomenclature du genre, un Blanc Paysan et un Rosé Agricole, idem sans chichis et autant savoureux, font également partie de la bande.
Dans leur quête d’authenticité, les puristes trouveront leur bonheur parmi des vins dénués des artifices organoleptiques procurés par des élevages en fûts de chêne. Pour eux, La Castelmaure affine longuement en bouteilles deux cuvées en rouge, aux intitulés invitant à la philosophie préconisée par Georges Brassens dans les paroles de La Mauvaise Réputation. Sous le vocable Une Autre Route, un binôme est ainsi proposé à un public averti, prenant son plaisir dans des breuvages moins apprêtés au palais avec en contrepartie toute l’intégrité de leur riche substance.
Crédit photo : Bruno Doan
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
Bonjour Mohamed
Toujours tres precis dans tes articles
Au plaisir de te revoir
Bernard pueyo
Merci Bernard pour tes compliments. J’ai fait de mon mieux sur le fond malgré la « contrainte » d’une écriture libérée, à l’instar de l’esprit que toi et Patrick avez su insuffler à la Castelmaure.
Le plaisir est partagé.