Le vieillissement du vin
Le vin est un produit vivant, fragile et instable, sensible à son environnement. Il faut donc veiller à lui garantir les meilleures conditions de stockage et de vieillissement. Cela est vrai pour les vins de moyenne ou de longue garde mais aussi pour les autres. Le problème devient aigu pour les vins dits « naturels », en vogue actuellement, plus fragiles car peu ou non soufrés et qui doivent être conservés à des températures inférieures à 14°C. L’une des particularités du vin, qu’il partage avec quelques autres rares denrées liquides (certains alcools) ou solides (certains fromages), est sa capacité à se bonifier avec le temps mais cela ne concerne pas tous les vins : si certains sont vinifiés pour être bus dans un délai de quelques années à plusieurs décennies, beaucoup le sont pour l’être dès leur mise sur le marché.
L’impact de la vinification
La capacité d’un vin à bien vieillir est liée à des paramètres très divers. Un vin rouge par exemple, grâce à l’effet des anthocyanes et des tanins contenus dans la peau des raisins, est généralement mieux protégé qu’un vin blanc. De même un vin tannique aura tendance à mieux vieillir qu’un vin simplement fruité. Même constatation entre les vins sucrés et les vins secs, le sucre jouant un rôle de conservateur qui ralentit le processus d’oxydation. Mais la concentration et l’acidité sont aussi des gages d’un vieillissement possible, ce qui permet aux vins blancs secs de climats frais de vieillir également avec bonheur.
Les choix opérés en matière de vinification (macération, cuvaison, élevage) ont également une influence sur la capacité de garde d’un vin. Chimiquement, le processus de vieillissement est une modification des molécules et de la vie microbiologique du vin sous l’effet d’un contact plus ou moins important avec l’oxygène. Cette oxydation est violente et destructrice quand on expose trop largement un vin à l’air ambiant. Le processus de vieillissement en bouteille ne met pas – ou peu – le vin en contact avec l’air ambiant mais avec l’oxygène dissout dans le vin et celui présent dans l’espace non rempli de la bouteille. Il provoque donc de lentes réactions en milieu réducteur qui entraînent des modifications et interactions complexes entre les 800 composants chimiques du vin aujourd’hui répertoriés.
Ces modifications changent progressivement le profil d’un vin et affectent sa couleur, l’expression de ses arômes et sa structure. Ces modifications peuvent rendre un vin plus complexe et plus riche pendant une durée déterminée avant qu’il ne décline. L’évolution d’un vin dans le temps n’est pas nécessairement linéaire et des vins peuvent traverser, momentanément, des phases ingrates avant de redevenir attrayants.
Pourquoi faire vieillir un vin en bouteille ?
Une fois son élevage terminé, un vin est mis en bouteilles. Il peut aussi être expédié en vrac ou être conditionné dans des sortes de poches en plastique, encapsulées dans des cartons. On les appelle des « bag-in-box » et ils donnent de très bons résultats. Mais nous allons nous intéresser ici au vieillissement en bouteilles, car c’est l’outil de conservation de presque tous les grands vins.
Beaucoup de vins ont besoin de quelques mois de repos en bouteille pour récupérer du « choc » que constitue la mise en bouteille. Ils se goûtent en général moins bien immédiatement après la mise qu’avant. Après quelques mois, tout rentre dans l’ordre.
Mais je vais surtout parler d’un vieillissement de quelques années, voire de quelques décennies. Les vins dits « fins », en tout cas ceux qui se destinent à une longue garde, contiennent des quantités importantes de phénols, d’acides et de précurseurs d’arômes. Cette concentration d’extrait sec peut les rendre peu agréables dans leur jeunesse, même si des techniques modernes de vinification ont beaucoup fait pour atténuer cela. Quand on laisse vieillir ces vins de haute qualité, ils subissent des transformations importantes qui améliorent non seulement son goût mais aussi sa valeur monétaire, en grande partie grâce à ces modifications mais aussi, il faut le dire, par sa raréfaction progressive.
La qualité de ces transformations dépendra de différents facteurs : de la relative concentration des ingrédients dans le vin jeune, de l’équilibre entre ces ingrédients, et, très important, du bon stockage du vin pendant son vieillissement (une température stable comprise entre 8 et 14°C est idéale). On conseille aussi d’éviter des lieux où se développent des odeurs parasites. L’humidité n’est pas un problème pour le vin, au contraire, mais elle peut être fatale aux étiquettes. Si votre cave est trop humide avec un développement excessif des moisissures, assurez-vous que la ventilation est suffisante, étiquetez bien vos bacs de stockage ou passez de la laque sur les étiquettes. Si le vin a un bouchon en liège, le flacon doit être couché pour que ce bouchon reste humide et gonflé, bien en contact avec la paroi interne du goulot. Si le vin est fermé par une capsule à vis, cela n’a pas d’importance. Enfin, pour ce qui est de la valeur, cela ne sert à rien de se fatiguer à stocker un vin pendant des années si vous vous le faites voler pendant la période ! Il faut donc le stocker dans un lieu sûr et protégé, mais aussi l’assurer avec valeur de remplacement.
Qu’est-ce qui se passe pendant le vieillissement en bouteille ?
On savait déjà, du temps des Grecs et des Romains de l’Antiquité, que certains vins vieillissaient bien. Nous ne savons pas à quoi ressemblait leur goût, mais puisque la bouteille n ‘existait pas, on doit supposer que la plupart de ces vins étaient liquoreux, le sucre agissant comme agent conservateur.Puis la pratique de faire vieillir les vins a quasiment disparu pendant près de mille ans, jusqu’à l’apparition des fours chauffés au charbon dans l’Angleterre du XVII ème siècle, ce qui a rendu possible l’invention de la bouteille industrielle vers 1630. Le vieillissement des vins fins (essentiellement des bordeaux et des portos) a donc été redécouvert par les consommateurs anglais au cours de la deuxième moitié du XVII ème siècle. L’invention de la bouteille a aussi rendu possible l’élaboration et la vente de vins effervescents, comme le Champagne.
Accessoirement, cette pratique a aussi donné de l’importance aux firmes de négoce, qui disposaient du capital et des structures pour pouvoir stocker des quantités importantes de vins pendant des années, avant de les vendre avec une importante valeur ajoutée. C’est donc l’invention de la bouteille qui a permis l’éclosion des négociants de Bordeaux, de Porto, de Bourgogne ou de Champagne.
Le vieillissement des vins rouges
Les arômes d’un vin vieux ne sont pas les mêmes que ceux du même vin jeune. Le goût d’un vin rouge après 10 ou 20 ans apparaîtra bien plus rond et doux, aussi bien en termes de texture que de saveurs, que le même vin dans ses premières années. La couleur aura évolué aussi, passant du violet au rouge brique. Et beaucoup de vins produisent aussi du sédiment. Bon nombre de ces phénomènes sont liés ou ont à voir avec le comportement des phénols. Ce sont des composés qui incluent les anthocyanes, de couleur bleu/rouge, et qui, en combinaison avec les tannins (qui sont incolores), donnent à un vin sa couleur et sa texture.
Ces phénols réagissent entre eux et avec l’oxygène qui se trouve dans le vin et la bouteille. Le processus a commencé pendant l’élevage, et se poursuit en bouteille à une vitesse réduite car il y a moins d’oxygène. Voilà pourquoi les vins vieillissent plus harmonieusement dans les grands formats (magnum notamment) car ils contiennent (proportionnellement au volume de liquide) moins d’air que les petits formats. Une fois que les polymères atteignent une certaine taille, ils précipitent sous forme d’un sédiment de couleur foncée, rendant le vin moins astringent et moins coloré. L’acidité du vin est toujours là. Pour ce qui est des arômes, les composés qui donnent les arômes primaires d’un jeune vin interagissent aussi entre eux et avec les phénols, transformant les odeurs en ce que l’on appelle un « bouquet » d’arômes (car plus complexe à identifier) dits tertiaires. Par-dessus tout il y a un phénomène d’oxydation progressive. Le vin atteint son apogée au moment où cette complexité est à son sommet, et avant que l’oxydation et l’acidité ne dominent.
Le vieillissement des vins blancs
Il est souvent dit que les rouges vieillissent mieux que les blancs. Ce n’est pas tellement vrai d’après mon expérience. D’ailleurs le plus vieux vin que j’ai eu le privilège de déguster était un Meursault Charmes 1846 de Bouchard Père et Fils et il était absolument formidable (en 2006). J’ai bu des champagnes de 1906 (en 1986) qui étaient aussi magnifiques.
Les premiers vins à avoir été conservés longtemps d’une manière délibérée (depuis l’ère romaine en tout cas) étaient probablement des blancs, même si la bouteille n’intervenait que peu dans l’affaire. Il s’agissait des meilleurs rieslings Allemands qui, dès le XVI ème siècle, étaient conservés (parfois 100 ans !) dans des caves souterraines sous les palais ou monastères. Ils devaient leur capacité de garde à une combinaison entre sucre résiduel et acidité. On peut dire, d’une manière générale, que ce sont les vins sucrés (blancs ou rouges) qui se gardent le plus longtemps, car le sucre est un agent conservateur formidable, mais l’acidité est aussi un ingrédient essentiel.
Comme pour les vins rouges, ce fut l’arrivée de la bouteille industrielle, inventée en Angleterre au XVII ème siècle, qui a permis la conservation d’un nombre beaucoup plus important de vins blancs.
Les vins blancs secs destinés à une longue garde doivent évidemment (comme pour les rouges) être issus de rendements assez faibles et d’un vignoble de qualité afin de produire un certain niveau de concentration. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une concentration phénolique, car des rieslings vieillissent mieux que des chardonnays, par exemple, tout en contenant bien moins de phénols. En tout cas il leur faut de l’acidité pour tenir. Hormis un Châteauneuf-du-Pape et un blanc du Liban, je n’ai pas le souvenir d’avoir bu un blanc sec, issu d’une région chaude et ayant 20 ans ou plus, qui était encore réellement digne d’intérêt.
Les vins blancs gagnent en couleur avec le temps, à cause de l’oxydation progressive de leur matière phénolique. N’ayant pas, comme les vins rouges, des anthocyanes (qui colorent et qui protègent en même temps), cette coloration peut parfois sembler plus rapide que le brunissement d’un vin rouge. Il serait d’ailleurs logique de mettre les vins blancs dans des bouteilles sombres pour les protéger des ultraviolets, mais on ne le fait que rarement. Le soufre protège aussi les vins blancs contre les ravages du temps, alors n’essayez pas de faire vieillir des vins non-soufrés !
Les mécanismes du vieillissement d’un vin restent assez peu connus, en dehors des quelques mécanismes que j’ai décrits. Cela fait partie aussi des mystères de cette substance magique. Les limites de vieillissement d’un vin sont bien plus déterminées par les limitations du bouchon en liège que par le vin lui-même. Il est probable que d’autres formes de fermeture (bouchon à vis, bouchon en verre) permettront à l’avenir une meilleure garde, ou en tout cas une garde plus homogène, de tous les vins.
Le vieillissement des champagnes
Nous allons parler des autres cas particuliers où le vieillissement en bouteilles a une importance capitale dans le goût des vins : les meilleurs vins effervescents (Champagne en particulier) et certains vins mutés, comme le Porto Vintage.
Prenons le cas de la Champagne. Déjà, dans la méthode champenoise, une partie de l’élaboration du produit se passe dans des bouteilles. Je rappelle qu’on élabore d’abord un vin tranquille, qui est ensuite assemblé et tiré dans des flacons (demi-bouteille, bouteille, magnum, jéroboam, etc). On introduit dans le vin une dose précise de sucres et de levures pour provoquer la prise de mousse dans la bouteille. Le vin est ensuite vieilli dans ces mêmes bouteilles pendant une période allant de 1 à 10 ans, parfois plus dans de rares cas, avant d’être « dégorgé » (les levures mortes sont éjectées) et le bouchon définitif posé, une fois le niveau complété. Le Champagne est donc un vin qui impose une période minimum de vieillissement en bouteille avant sa vente : 15 mois pour un non-millésimé, 3 ans pour un millésimé. Mais les bons producteurs doublent facilement ces durées. Vous pouvez donc acheter facilement en ce moment des champagnes millésimés de 2002, parfois des 1998, par exemple.
Une fois votre champagne acheté, vous n’êtes pas obligé de le consommer dans la semaine qui suit. Le bon champagne (comme tout bon vin) se conservera très bien quelques années de plus, dans une bonne cave. Plus vous montez en gamme, en général, plus la capacité de garde sera importante. Après, c’est une question de goût. Un champagne vieux n’aura pas la vigueur de bulle d’un champagne jeune, mais il aura, s’il est de belle facture, infiniment plus de complexité. L’amateur traditionnel anglais a tendance à boire son champagne assez vieux. J’ai un frère, par exemple, qui considère qu’un champagne de moins de 20 ans n’est pas buvable. C’est très exagéré mais les meilleurs champagnes vieillissent admirablement, la limite étant imposée, une fois de plus, par la vie du bouchon qui perd de son élasticité après une vingtaine d’années.
Le vieillissement des vins mutés
Le Porto Vintage est un porto millésimé qui a été mis en bouteille assez jeune (entre 2 et 4 ans) pour poursuivre son vieillissement en bouteille. On réserve la plupart des meilleurs vins de Porto à ce type d’élevage. Un Vintage est généralement considéré comme apte à être bu après une bonne dizaine d’années, parfois bien plus, car les très grands millésimes en porto peuvent vieillir très longtemps. Dans sa jeunesse, le vin est très foncé en couleur. Cette couleur va très lentement virer en bouteille, bien plus lentement que s’il avait été conservé sous bois, ce qui est le cas des portos « tawnies ». Il va aussi produire du dépôt, car un Vintage n’est pas filtré avant sa mise. Ce dépôt deviendra assez important au fil des ans et il est impératif de décanter un vieux porto vintage avant le service, puis de le boire assez rapidement pour préserver tout l’éclat de ses arômes. Là encore les vintages diffèrent des tawnies qui, ayant été longuement élevés en milieu oxydatif, peuvent supporter un afflux massif d’oxygène. Un tawny millésimé n’est pas un vintage. C’est très bon, mais c’est autre chose car il vieillit sous bois, pas en bouteille.
On a terminé ce cycle de cours qui est parti de la vigne pour arriver à la bouteille et à vos verres, en faisant pas mal de zigzags entre temps. À partir de la prochaine leçon, j’entame une nouvelle série sur des termes et des mentions utilisés dans le vin et qui peuvent poser question ou débat.
Pourquoi le vin vieillit-il mieux en magnum ?
Ceci est un constat basé sur des expériences nombreuses mais relativement empiriques. On pourrait probablement élargir cette expérience à des flacons encore plus grands, comme le double magnum, mais les occasions sont plus rares et le coût peut devenir un frein important.Il se pourrait que l’inertie thermique plus importante dans un grand flacon serve à « ralentir » certains effets du vieillissement d’un vin. Une autre explication pourrait être le plus faible volume d’air présent dans un magnum en proportion du volume de liquide. Lorsque l’on sait qu’un surcroît d’air peut faire vieillir plus rapidement un vin, au point de l’abîmer si la quantité est excessive, on comprendra à quel point cette différence peut être sensible. Pour résumer l’effet d’un grand flacon sur le vieillissement d’un vin, on dira que, comparée au même vin dans une bouteille, la version conservée en magnum reste plus jeune plus longtemps, en conservant une meilleure qualité de fruit dans ses saveurs. A l’inverse, plus le flacon est petit, plus l’évolution du vin sera rapide. On peut donc déconseiller la conservation de vin en demi-bouteilles, au-delà d’un an ou deux, mais conseiller l’achat de magnums pour les vins dont la vocation est d’être gardés dix ans ou plus. Il faut seulement créer des occasions de les consommer, ce qui implique la présence de plusieurs amateurs !
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