La qualité d’un vin est-elle nécessairement liée à son prix ?
Pour la plupart des consommateurs, l’élément le plus important dans la décision d’achat d’un vin est son prix.Le responsable d’un cru classé du Médoc m’a clairement indiqué que le prix de revient maximum de son vin se situait, selon le millésime (variables de rendement, difficultés de météo, etc) autour de 10 euros par bouteille. Et il incluait les coûts de publicité et de marketing, y compris ses déplacements à l’étranger. Il est vrai que les crus classés de Bordeaux n’ont pas à entretenir de réseaux de vente, car ils sont vendus dans le monde entier par des négociants qui jouent ce rôle mais les propriétaires sont très souvent présents dans les marchés pour promouvoir leurs vins.
Qu’est-ce que cette information économique de base nous dit ? Elle nous dit qu’avec des rendements maîtrisés, les meilleurs soins du monde en matière viti-vinicole, y compris une bonne proportion de barriques neuves achetées chaque année, il est possible de produire un grand vin rouge, du moins dans cette région, pour un coût de 10 euros maximum par bouteille. Dans d’autres vignobles plus coûteux à exploiter (vignes en terrasses, rendements plus faibles), on peut aller jusqu’à 15 euros mais guère plus, à l’exception notable des vins liquoreux, issus de raisins botrytisés, dont les rendements sont très faibles.
A l’autre extrême, on peut produire un vin décent, avec des rendements plus généreux, un travail entièrement mécanisé et un coût de l’hectare très inférieur, pour un euro ou deux, tout compris.
Ajoutons les frais de transport et la marge du revendeur, et on arrive à une fourchette de prix de vente au consommateur comprise entre 3 et 30 euros, c’est à dire un rapport de 1 à 10. Mais on constate que cette échelle est aujourd’hui totalement dépassée par l’échelle réelle de prix des vins, qui serait plutôt de 1 à 100, voire, pour des cas extrêmes, de 1 à 1000. Autrement dit, les vins les plus chers ne le sont pas par leur qualité intrinsèque, mais par la force de la demande qui engendre des hausses de prix à tous les étages : à la propriété d’abord, puis par une forme de spéculation intermédiaire dans toute la chaîne de commercialisation.
Sur le plan purement hédoniste, je peux avoir autant de plaisir avec un vin à 10 euros qu’avec un autre à 150 euros. Et, à titre personnel, je refuse de payer une bouteille de vin plus de 50 euros, ce qui est déjà une somme plus que conséquente ! Ma conclusion est que la « qualité » d’un vin n’est pas nécessairement liée à son prix. Après, il faudrait définir ce qu’on entend par « qualité » mais ceci est un autre débat, plutôt d’ordre philosophique.
Existe-t-il des bons vins à moins de 5 euros ?
Ce sujet est une sorte de corollaire du précédent qui posait la question suivante : Est-ce qu’un vin cher est forcément meilleur qu’un vin bon marché ?Le premier élément de réponse prend la forme d’une autre question : qu’est ce que « bon » veut dire pour vous ? Car vos attentes vont varier en fonction de vos habitudes de consommation, qui sont régies à la fois par vos goûts personnels et par vos moyens financiers. Il n’y a pas d’absolu en matière de goût : tout est relatif.
Prenons un exemple. Vos moyens vous permettent d’acheter des grands vins de Bourgogne et des crus classés de Bordeaux, comme les cuvées les plus rares de la vallée du Rhône ou du Languedoc. Votre vin blanc préféré est la Coulée de Serrant. Il est évident que vous allez avoir du mal à trouver un vin vendu pour moins de 5 euros « bon ». Je ne dis pas que vous êtes snob, je dis simplement que votre palais est habitué à un certain niveau d’intensité, de finesse, de longueur et de complexité et qu’il devient difficile pour vous de trouver agréables des vins qui ne réunissent pas tous ces critères. Il faut savoir que faire un vin qui les possède coûtera au producteur bien plus que 5 euros.
Mais des « bons » vins à ce niveau de prix existent bel est bien. Il faut juste changer le cadre de votre goût, puis passer un peu de temps pour les rechercher.
Si on aime les sensations simples mais très agréables de fruité ou de fraîcheur, sans trop d’intensité ni de longueur, on en trouve. C’est l’occasion de signaler un excellent petit guide rouge consacré à ce sujet et écrit par nos collègues Antoine Gerbelle et Philippe Maurange de la Revue du Vin de France.
Le plafond de prix de ces vins varie en fonction de l’appellation (le coût du foncier et les réalités du marché diffèrent selon les régions et influent sur les prix), mais ce petit guide est fait dans cet esprit.
Un vin plus cher est-il forcément meilleur ?
Je ferai la même réponse de normand que précédemment : « ça dépend » ! A vrai dire, la réponse courte serait « pas nécessairement », mais une réponse plus nuancée serait « meilleur pour qui, et meilleur pourquoi ?».En effet, si ce que vous aimez avant tout dans un vin rouge est une sensation directe de fruité et de fraîcheur, j’aurai bien du mal à vous convaincre qu’un grand bordeaux de 20 ans d’âge est meilleur qu’un beaujolais villages, et ce même si le prix du bordeaux est plus de 20 fois supérieur.
Le mot « meilleur » implique donc un goût, une appréciation esthétique, et personne ne peut prétendre détenir une quelconque vérité en la matière. Si je n’aime pas nécessairement les mêmes vins que Monsieur Parker, c’est bien mon droit le plus strict (comme le sien d’avoir son goût à lui). Il possède un goût et personne n’est obligé de le partager. L’inverse est bien entendu vrai : personne n’est obligé de partager mes goûts en matière de vin, pas plus qu’en matière de peinture ou de littérature.
Sur le plan du prix des vins, on doit admettre qu’il existe une échelle de coûts de production, dont le niveau varie selon certains facteurs, notamment la valeur de l’investissement financier et des divers coûts de production, divisé par le nombre de bouteilles produites. Comme pour n’importe quel produit, il est légitime d’imputer dans la colonne des coûts l’ensemble des dépenses marketing, comme la publicité, les voyages de promotion et les échantillons distribués, par exemple. On peut admettre que les coûts de production des vins peuvent varier entre un euro (pour un vin produit dans une zone peu chère, avec un rendement élevé et une mise en bouteille jeune) et une vingtaine d’euros, mais rarement plus. La différence entre ces 20 euros et le prix des vins les plus chers est donc due aux marges des revendeurs (rarement plus de 50%, hors taxes et coûts de transport, exception faite de la restauration qui prend des marges plus élevées) mais surtout à la demande qui fait, parfois considérablement, monter les prix de certains vins.
Cette question de la demande et de son influence sur les prix est aussi ancienne que le monde, et je rappelle que le classement de 1855 des vins du Médoc et du Sauternais n’était pas basé sur autre chose.
Le coût de production d’un vin
Les écarts entre les prix de vente des vins sont parfois très importants, même pour des vins issus des mêmes cépages et d’une même région. Quelles peuvent être les différences de coûts derrière ces écarts de prix ? Peut-on les mesurer et est-ce que les prix de vente sont justifiés au regard des investissements consentis pour améliorer la qualité d’un vin ? Ce sujet est complexe mais ces questions méritent des réponses car elles concernent presque tous les consommateurs de vins.On peut dire que, pour des vins vendus en dessous de 4 à 5 euros, le prix exact d’une bouteille reflète assez fidèlement son coût de production, sauf cas de déstockage à perte. Pour prendre un exemple concret, dans une appellation en Languedoc et chez un producteur de qualité, le coût de production d’un kilo de raisin est d’environ 1,4 euros, tandis qu’en vin de pays, avec des rendements parfois 3 fois supérieurs, ce coût peut chuter à 20 ou 30 centimes sur un domaine mécanisé.
Entre 5 et 10 euros, on peut dire que le prix commence à refléter des différences de coûts liées à des modifications dans le processus de production, elles-mêmes destinées à améliorer la qualité d’un vin. Cela peut être des cépages plus rares ou en demande, des rendements plus bas ou un élevage partiel ou total sous bois, par exemple. Tous ces éléments peuvent venir alourdir le coût de production, comme peuvent aussi le faire le choix de bouchons plus coûteux, de bouteilles plus lourdes, ou d’autres éléments liés à la présentation du vin. La région de production va aussi jouer un rôle important dans le coût, car il est clair qu’un pinot noir en appellation Bourgogne coûtera plus cher qu’un colombard en Côte de Gascogne, par exemple, à cause de la renommée, d’une offre plus ou moins large et de conditions de production différentes. On pourrait aussi comparer les même cépages dans deux régions différentes : en coût de revient, un chardonnay en appellation Chablis vaut à peu près le double d’un chardonnay en Pays d’Oc. Pour prendre des cas extrêmes et comprendre la difficulté de comparer des vins uniquement par leur prix, un vin de Bourgogne à 7 euros est une entrée de gamme, tandis qu’un vin chilien à ce prix appartient déjà à la catégorie premium.
A partir d’environ 10 euros, d’autres éléments entrent en ligne de compte comme le positionnement de la marque ou de la cuvée et la demande suite à une réputation anciennement ou fraîchement acquise. Il est difficile de soutenir que le coût de production d’un vin (sauf pour les vins liquoreux) puisse dépasser 10 euros. Là où l’offre se raréfie et la demande monte, les prix peuvent grimper bien au-delà, mais sans que cela ne coûte nécessairement plus cher au producteur. Il y a un autre facteur à intégrer, qui est le coût du foncier dans les vignobles prestigieux.
Dans le prix d’une bouteille de vin payée par le consommateur, outre les coûts de production, il y a bien entendu beaucoup d’autres éléments à prendre en considération.Le prix payé par le propriétaire pour le foncier joue un rôle non négligeable, ce qui explique, pour partie, les écarts de prix entre, disons, un Bordeaux et un Saint-Emilion, qui sont autrement du même type et peuvent, si les vignes du premier cité sont plantées d’une manière très serrée, avoir des coûts de production similaires.
Mais il faut vendre son vin, et cela entraîne des coûts commerciaux et de mise sur le marché que l’on peut globaliser dans la rubrique marketing. Faire connaître son vin implique, souvent, de voyager, ne serait-ce que pour être présent dans les salons ou pour rencontrer ses importateurs. Et tout cela a un coût. Si vous vendez votre récolte vous-même en direct, vous aurez des coûts de fichier, de mailing, de site web, de téléphone et de transport dont il faut tenir compte, et, éventuellement, de publicité.
Le poste transport peut être significatif, surtout pour des expéditions de petits volumes. Faire livrer 6 bouteilles en France peut coûter jusqu’à 5 euros la bouteille, et ce prix doit donc être répercuté au consommateur. Faire connaître son vin à la presse implique aussi un budget : échantillons, frais d’expédition, organisation de manifestations…
Ramenée à la bouteille, l’incidence de l’ensemble de ces coûts peut varier fortement, en fonction de la taille de la production et des opérations menées. Cela peut ne représenter qu’un ou deux euros par bouteille, mais aussi beaucoup plus dans une phase de lancement. Il est donc évident que des vins vendus au-dessus d’une dizaine d’euros peuvent se payer un budget marketing plus confortable, même si le volume entre aussi en ligne de compte.
Si un producteur vend une partie ou la totalité de sa production par l’intermédiaire de revendeurs, le prix final au consommateur intègre aussi leur marge. Il faut compter autour de 40% pour un caviste, une fois tous les coûts, de transport notamment, absorbés. Un restaurateur pratique généralement des marges bien supérieures, car il a davantage de personnel et assure aussi le service du vin. Ces marges sont malheureusement très souvent excessives, multipliant parfois le prix de la bouteille par 5 ou 6, ce qui est anormal. Une marge « raisonnable » pour un restaurateur devrait plutôt se calculer en marge fixe, et non en coefficient multiplicateur, car le travail est le même pour choisir, stocker et servir une bouteille à 10 euros ou une bouteille à 100 euros.
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