Les bulles dans le vin
La formation des bulles
Nous avons déjà traité de la formation du gaz dans un vin. Cela fait partie du processus de fermentation. Mais comment la bulle se forme-t-elle dans le verre ? Ce n’est pas si simple que cela.Un scientifique, qui est aussi un passionné de macrophotographie, a étudié la question très sérieusement. Suivant les premiers travaux du Professeur Maujean à l’Université de Reims, Gérard Liger-Belair a étudié et photographié les bulles au microscope. Et les résultats de ses recherches mettent en cause un certain nombre de nos idées reçues sur le sujet.
Par exemple, si un vin pétillant ne mousse pas dans le verre, ce n’est pas, en général (cela peut arriver dans le cas de bouteilles anciennes), dû à une supposée absence de pression dans la bouteille, mais à cause d’une surface trop lisse du verre. Imaginons que l’on ouvre une bouteille dans des conditions de propreté parfaites, que le vin est totalement limpide et les parois du verre parfaitement lisses ; alors les 5 litres de gaz carbonique enfermés dans chaque bouteille mettraient près de 5 ans pour s’échapper d’un volume de 75 cl. Cela fait, estime le chercheur, environ 11 millions de bulles par bouteille (pour une pression de 5 atmosphères).
La bulle se forme sur une petite aspérité, soit dans la bouteille, soit à l’intérieur du verre. Un petit morceau de tissu, ou de poussière, invisible à l’œil nu, fait très bien l’affaire. Si vous mettez un grain de sable dans un verre, arrondi et lisse, contenant un vin effervescent, vous pouvez observer le phénomène : d’un coup, une colonne de bulles, générée par le grain de sable, se forme et remonte à la surface. Vous pouvez aussi mener l’expérience suivante (je l’ai souvent expérimentée dans des cours et cela marche très bien) : prenez deux verres identiques ; lavez-en un dans une machine à laver la vaisselle, utilisant un cycle normal et un produit rince-vaisselle ; lavez l’autre à la main, uniquement à l’eau et sans savon ; laissez sécher le premier à l’air dans la machine, et le second à l’air libre ou avec un torchon propre ; versez ensuite, d’une même bouteille de Crémant ou de Champagne, la même quantité de vin dans chaque verre ; vous verrez, très probablement, bien plus de bulles se former dans le deuxième verre que dans le premier.
C’est une des raisons pour laquelle les meilleurs verres à champagne ne sont pas des coupes, dont la surface est trop large et arrondie, mais des flûtes avec un fond pointu qu’il est impossible de lisser parfaitement. Certains verres spécialisés reçoivent même une petite gravure au fond (faite au laser ou au diamant) qui garantit la formation de nombreuses bulles.
La finesse des bulles
Je vous ai parlé de la formation de bulles dans le verre, dans le cas d’un vin effervescent, et des travaux de Gérard Liger Belair. Cette semaine on va voir ce qui se passe avec ces mêmes bulles quand elles remontent à la surface de votre verre.Mais parlons d’abord un peu de cette notion, très répandue, qui lie finesse de la bulle et qualité du vin. Il est vrai que c’est plus plaisant de sentir une série de micro-explosions, comme des picotements, sur la langue plutôt qu’une effervescence envahissante et agressive. D’ailleurs si vous avez vraiment beaucoup de mousse dans votre verre, c’est probablement parce que vous êtes dans un pub en train de regarder un match de rugby avec un verre de bière ! Personnellement je défendrais plutôt le rugby champagne que le rugby bière, mais passons.
Plus sérieusement, Liger Belair n’est pas certain que la finesse de la bulle dans le verre soit un signe infaillible de qualité du vin puisque, dit-il, « aucun argument scientifique ne permet de trancher dans ce sens ».
Une fois la bulle formée, comme nous l’avons vu dans la dernière leçon, sur une imperfection dans le verre, elle gonfle par absorption du gaz dissout dans le vin. A cause de sa différence de densité, elle est obligée de remonter vers la surface où elle va d’abord former une sorte de tapis, avant d’exploser en relâchant le CO2 dans l’air. D’après les photos du scientifique, aucune bulle n’éclate exactement d’une manière indépendante, il s’agit plutôt d’une réaction en chaîne. Puis des gouttelettes microscopiques sont projetées plusieurs centimètres au-dessus du verre.
Un des résultats de cette série d’explosions est que vous n’avez pas réellement besoin de remuer un vin effervescent dans le verre pour le sentir. La bulle porte suffisamment les arômes vers votre nez dans une sorte de brouillard aromatique. Puis la montée des bulles crée automatiquement un brassage du vin.
Si vous voulez en savoir un peu plus, je vous renvoie à l’ouvrage de Gérard Liger-Belair : Effervescence ! La science du Champagne (Odile Jacob, 2008, disponible en ligne)
La méthode dite « ancestrale » ou « rurale »
Le vin pétillant, effervescent, tumultueux ou, simplement, « à bulles », (appelez ce type comme vous voulez) est, avec le vin rosé, le seul type de vin dont les ventes en France augmentent en ce moment. Alors si vous savourez un verre de bulles pendant vos vacances, sachez qu’il existe plusieurs techniques pour produire ce type de vin.Le gaz dioxyde de carbone étant naturellement produit pendant la fermentation alcoolique, tous les vins contiennent du CO2 à un moment donné. Mais, pour les vins tranquilles, ce gaz est évacué dans l’atmosphère. La méthode la plus ancienne pour en capturer une partie, qui fut certainement découverte par hasard, consiste à mettre en bouteilles le vin avant la fin de sa fermentation, laissant ainsi la fermentation s’achever dans le flacon fermé et provoquant une présence de CO2 dans la bouteille. Si vous calculez bien votre coup, la fermentation s’arrêtera à l’épuisement des levures et des sucres et vous aurez un vin sec mais pétillant. Mais le calcul est délicat car si vous mettez en bouteille trop tôt, il y a risque d’explosion si la pression monte trop. Dans l’autre sens, si vous tirez votre vin trop tard, le gaz sera trop léger.
Le marché de ce type de vin en France, dit méthode « ancestrale », ou « rurale » ou encore « artisanale », est de l’ordre de 14 millions de bouteilles par an (ce qui est peu de chose en comparaison avec les quelques 400 millions de bouteilles d’autres vins effervescents, champagnes compris). Ce type de vin est élaboré surtout à Limoux, à Gaillac, à Die, dans la Drôme, et à Cerdon dans le Bugey. A Limoux on l’appelle la Blanquette de Limoux, à base du cépage mauzac. A Gaillac il s’agit du Gaillac Nature, également à base de mauzac, et à Die c’est la Clairette de Die, qui doit contenir au moins 75% du cépage Muscat, tandis que Cerdon donne le seul vin rosé de type « ancestral », utilisant les cépages poulsard ou gamay.
Un des avantages de cette méthode est qu’elle donne des vins assez aromatiques et faibles en alcool (autour de 8%), parfois aussi légèrement doux si les levures n’arrivent pas au bout des sucres. Ce sont donc des boissons délicieuses pour un apéritif.
Quelques producteurs très recommandables sont : Antech à Limoux, Plageoles à Gaillac, la Cave Jaillance à Die, et Patrick Bottex à Cerdon.
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