Escapades en Ventoux (1) … Vigneronnes
En illustration : le Mont Ventoux vu depuis le Domaine de la Camarette
Après des « Escapades Gardoises » * faites avec le concours de Jean-Jacques Chevalier, mon compagnon de route et de dégustation, nous avons pris le chemin du Mont Ventoux en faisant une première étape dans deux domaines du vignoble qui s’étend sur ses flancs et son piémont. Par un fait remarquable, leur destinée a échu avec bonheur à des vigneronnes, tandis que dans chacun d’eux des sœurs ont uni leur savoir-faire pour le plaisir du palais d’un public sans préjugés. En effet, le label qui couronne les vins produits au pied de ce massif olympien, l’AOC Ventoux, n’a pas la réputation de ses semblables de la Vallée du Rhône, fussent-ils voisins à l’instar de Beaumes-de-Venise, un cru à part entière. Et si une histoire « modeste » n’a pas aidé à sa reconnaissance, il faut considérer le mérite des vignerons pionniers qui l’ont dignement honoré malgré cet handicap, et qui en sont aujourd’hui ses meilleurs ambassadeurs. Les domaines présentés ici font partie de ces éclaireurs en ayant acquis leur indépendance de l’univers coopératif pour se prévaloir d’une production bien individualisée, représentative d’un terroir et d’un style, et guidée par une fière ambition.
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Les atouts des ventoux
A l’aune de leurs qualités et de leur propre identité, les vins du Ventoux n’ont rien à envier à ceux des Côtes du Rhône alors qu’ils ont longtemps été considérés comme des produits annexes, pour ne pas dire inférieurs. Pourtant, grâce à ses atouts naturels et en premier lieu le climat spécifique qui règne aux pieds du Mont Ventoux, ils présentent une fraîcheur de constitution qui les distingue très favorablement de la moyenne des côtes-du-rhône. Comparativement à des ces derniers, les ventoux, et surtout les rouges, n’ont aucune propension à la lourdeur pour un même titre d’alcool. Il faut dire que le soleil méditerranéen y brille tout autant, cependant, l’influence du chaînon imposant des Alpes du Sud qu’est le Mont Ventoux, fait que la sensation de générosité y est atténuée au bénéfice de l’appréciation d’un fruit frais et volontiers sapide, pour ne pas dire gourmand. Les vins marquant cette étape en sont une parfaite illustration.
Il va sans dire que le facteur sol de l’appellation Ventoux participe de ce portrait avantageux malgré des disparités dans la nature et la géographie des différents terroirs. C’est ainsi le cas des domaines objets de notre visite, situés de part et d’autre de la ville de Carpentras sur des secteurs consacrés autrefois à la polyculture. Le bien-fondé de leur orientation viticole a depuis été mieux que prouvée, leurs produits respectifs en sont d’éloquents témoins. Au-delà du mérite d’avoir mis en valeur le périmètre au cœur de leur activité, tous deux ont eu l’intelligence d’exploiter des vignes éloignées de leur foyer, implantées sur des sites proches des Dentelles de Montmirail, reconnus pour leur valeur de plus longue date, ce que révèlent les vieilles vignes qui les recouvrent. Qualifiés de sols du Trias, du nom de la période géologique à leur genèse, leur nature correspond d’ailleurs à celle dont s’enorgueilli le cru de Beaumes-de-Venise.
Les vigneronnes à l’honneur
♥ Domaine Aymard
♥ Domaine de la Camarette > cliquer ici pour accéder directement à sa présentation
Domaine Aymard
Les sœurs Anne-Laure et Carine Aymard conduisent en tandem ce domaine situé juste au nord de Carpentras, dans le hameau de Serres. Vouée à l’origine à la culture maraîchère, la propriété s’est orientée vers la viticulture dans les années 1970, fournissant alors des coopératives environnantes. Et c’est en 1979 que Jean-Marie et Michel Aymard, respectivement leurs père et oncle, décident de construire une cave et y élaborent les tous premiers vins portant fièrement la signature du domaine, l’une des toutes premières caves indépendantes de l’AOC dénommée alors Côtes du Ventoux. Privilégiant la vente à la propriété, et la qualité aidant, nos vignerons lui feront gagner une bonne estime sur le plan local. En rejoignant son père en 2011, Anne-Laure embrasse le métier de vigneronne, tandis que sa sœur cadette, Carine, la rejoindra après avoir acquis une formation d’œnologue en exerçant notamment en Bourgogne. Et c’est en 2020 qu’elles reprennent officiellement le domaine en mettant en valeur ses atouts avec brio pour une destinée prometteuse.
Son vignoble
L’ensemble des vignes couvre une trentaine d’hectares étendus majoritairement autour de la cave, avec une partie marginale excentrée, située sur un secteur appelé Les Côtes, proche des Dentelles de Montmirail. Deux pôles distincts d’égale surface (environ 3 ha) composent cette annexe. L’un, situé dans la localité de Saint-Véran, est pourvu de sols spécifiques, très ferrugineux et reconnaissables à leur couleur ocre. L’autre, rattaché à la commune de Saint-Hippolyte-le-Graveyron, possède des sols calcaires, de texture sableuse et caillouteuse. Quant à ceux constituant le cœur du domaine, ils répondent à un schéma argilo-calcaire avec pour horizon immédiat (à moins d’un mètre) des bandes de sables ou de grès, surmontant par endroits des galets. Au-delà de ces identifications formelles, on ne peut qu’apprécier le bien-fondé des adéquations cépage-terroir lorsque l’on considère le caractère de chaque cuvée. Cela s’explique aussi par le fruit de vignes dans la force de l’âge, de l’ordre de 25-30 ans, et a fortiori de plus vieux plants d’une quarantaine d’années. Entretenu et renouvelé, ce patrimoine n’est pas pour rien dans les qualités de fond et la personnalité de l’ensemble produit.
Un héritage rajeuni
« Intemporel » est l’intitulé commun aux trois cuvées emblématiques du domaine, un rouge, un blanc et un rosé en AOC Ventoux, cumuls d’un savoir-faire acquis depuis sa fondation, doublé de l’exigence que nos vigneronnes se sont imposées en prenant le relais de leurs aînés. A l’aune de l’expression du 2023, le rosé est conçu comme un vin à part entière dans un style élégant, ne forçant ni sur l’exubérance ni sur la vinosité, avec la juste matière et agréablement nuancé. Bien qu’issu de pas moins de 5 cépages, le blanc présente une appréciable fusion aromatique alliant fraîcheur et gourmandise sur une texture pulpeuse. Tels sont les traits marquants qui font la séduction du 2023. Dans ce même millésime, le rouge se prévaut d’un fruit croquant sensationnel qu’inspire une palette captivante de fruits rouges, tandis que sa souplesse et le naturel de ses tanins en font un Ventoux rouge d’une identité convaincante, même si Carine le qualifie modestement de « vin de comptoir » pour dire autrement son caractère convivial.
Des blancs sous le signe de l’ambition
Lancé l’année où Anne-Laure a rejoint le domaine, en 2011, le blanc « Élégance » a en quelque sorte scellé la naissance du courant d’ambition qui le caractérise aujourd’hui. Conçue dans un style sans ostentation, avec le choix d’une forte dominante de clairette, cette cuvée porte bien son nom, ce dont atteste un 2022 où ce cépage réputé peu démonstratif offre charme et raffinement avec le concours d’une part minoritaire (20 %) de roussanne. En cela, il faut aussi voir l’action d’un élevage sous bois habilement mené, tandis que l’enracinement consécutif à un âge élevé des clairettes (40 ans) n’est pas pour rien dans une sensation minérale saline des plus stimulantes.
Dans la lignée de ce vin appelé à s’épanouir, un autre blanc issu exclusivement de chardonnay, baptisé explicitement « Les Sœurs Aymard », fait également valoir l’usage judicieux que nos vigneronnes font de ceps bien acclimatés à leur terroir (30 ans). Forcément classé (ou déclassé !) en Vin de France, son 2022 est riche d’une expressivité qui ne dispense pas d’harmonie et laisse transparaitre les signes d’un tempérament minéral peu commun. Élaboré sans recourir à des fûts de chêne, il affirme ainsi un goût séveux authentique et d’une rare persistance, des qualités plaidant pour un cépage pourtant exclu de l’AOC Ventoux.
Un style redéfini
Le rouge « Les Galères » témoigne on ne peut mieux du changement opéré par les sœurs Aymard. Reprenant le nom singulier d’un lieu-dit autour du domaine, il s’agit d’une composition où le grenache domine nettement avec pour alliés de la syrah et du mourvèdre. Portant l’âge de la création de la cave, leur fruit reflète une élaboration sur un mode traditionnel, sans recourir à des fûts pour son élevage, effectué patiemment en cuves durant deux années. On peut à présent apprécier un 2020 agréablement peaufiné, sans relent de générosité et dont le goût assagi témoigne d’une facture classique, tout comme un registre épicé-compoté. A cause du gel de 2021, ce 2020 typique de « l’ancienne école » rhodanienne aura pour successeur un 2022 où l’on ressent le coup de patte de la nouvelle génération sous forme d’une fraicheur de fruit et de constitution convaincantes. Ces qualités s’affirment dans un 2023 encore mieux défini, pour ne pas dire pur, riche des notes chatoyantes et gourmandes permises par ce millésime, et pourvu d’un équilibre encore accru qui en fait, comme son prédécesseur, un vin plus « vivant », autrement dit plus alerte, exemplaire des rouges du Ventoux à leur meilleur. Dans ce constat élogieux, il faut voir l’assurance acquise par leurs auteures dans les travaux de vigne et de cave. Ces remarques sur les deux derniers millésimes résultent toutefois d’impressions livrées par des vins tirés des cuves où ils séjournent encore.
Des parcelles de vieux grenaches entourant la cave possèdent un tel potentiel qu’elles donnent lieu à vin d’exception en ce sens qu’il élaboré les seules années où la qualité des raisins est optimale. Baptisée « Insolence », cette cuvée marginale a ainsi vu le jour il y a une quinzaine d’année dans un style où les signes de l’ambition s’inclinent face à un grand naturel d’expression. A l’instar des « Galères » du même millésime, à savoir 2020, on y retrouve un rendu légèrement suranné dans un profil tout aussi gracieux, mais doué en l’occurrence d’une incomparable richesse de sève, doublée d’une noble astringence et son corollaire en fraîcheur. Outre le choix des parcelles à son origine, une plus forte prédominance du grenache ainsi qu’une vinification douce et prolongée expliquent leurs différences.
Le sillon d’un renouveau
Si « Insolence » rassemble les plus beaux fruits des vignes entourant la cave, « Rocans » reconduit une même ambition pour celles d’un lieu-dit situé sur l’autre site du domaine, dans l’environnement des Dentelles de Montmirail. 2022 est le millésime inaugural d’une composition fondée sur le même principe que les autres rouges, à savoir une très nette dominante de grenache, ici pour ses deux-tiers, syrah et mourvèdre venant en complément. Cela dit, sa grande particularité vient de son mode d’élaboration dans une grande cuve tronconique en chêne. Acquis en même temps que l’année de naissance de cette cuvée, ce contenant majestueux sert indifféremment à sa vinification et à son élevage. Ses bienfaits se ressentent à travers une texture fraîche raffinée au service d’une expression rendue autrement séduisante par une aromatique vivifiante. La joliesse du grain tannique rajoute à sa distinction et présage un heureux épanouissement dans un proche avenir.
Nommée tout simplement « Les Grappes », cette cuvée de rouge fait également partie de celles initiées par nos vigneronnes. Elle a vu le jour en 2019 comme le fruit d’une approche atypique dans leur production. Ainsi, sans renier l’incontournable grenache, elle fait la part belle au cinsault, puisque ce cépage participe pour moitié à sa composition, s’agissant pour l’ensemble des vignes parmi les plus âgées du domaine. D’autre part, a contrario des autres rouges, et comme son intitulé le laisse entendre, la totalité des grappes est préservée en vinification, elle-même effectuée sans ajout de soufre. Sur la foi d’un 2022, ce mode d’élaboration n’est pas pour rien dans le tempérament fougueux qui le caractérise et confond par l’exubérance aromatique qui l’accompagne. C’est un bouquet floral d’une rare intensité qui orchestre ainsi ses flaveurs, inspirant une fraîcheur qui double celle de son profil et ajoute à son panache.
Nos vins préférés
« Intemporel » rouge 2023 — AOC Ventoux
Nez ➤ son éclat se traduit par un caractère littéralement croquant et se définit par une brassée réjouissante de fruits rouges (cerise, framboise, fraise, etc.) accompagnée d’une note d’épices douces (paprika) ;
Bouche ➤ ronde, souple et bien en chair, elle est gorgée d’un délice de saveurs fraîches fusionnant les arômes. Pour ne rien gâter, ses tanins se savourent, prenant le côté salivant du fruit pour le distiller sous la forme d’une légère mâche, loin d’être désagréable.
« Élégance » blanc 2022 — AOC Ventoux
Nez ➤ de fins effluves boisés laissent cependant au fruit l’espace de s’exprimer et former un tout enjôleur encore sur la retenue, où l’on discerne cependant des notes sensations très subtiles mêlant fleurs et agrumes ;
Bouche ➤ d’une ampleur fastueuse, sa constitution est sous la coupe de la dynamique que suscite le relief harmonieux d’une matière tactile et qui se palpe à souhait. A l’instar des arômes, le boisé compose avec des saveurs sur une registre élargi à des fruits blancs et dont l’extrême sapidité le doit aussi au caractère salin d’une essence minérale. Celle-ci se traduit encore par le grain soyeux qui enveloppe l’impression finale en lui donnant de la tenue.
« Les Sœurs Aymard » blanc 2022 — Vin de France
Nez ➤ sa parure minérale se distingue par un accent fumé singulier accordé à des senteurs fines et toniques comme du zeste d’agrumes (citron vert) ;
Bouche ➤ l’action de la fraîcheur étire sa forme et donne de la fluidité à une texture rendue ainsi agréablement coulante. Comme par contraste, le goût y est vivace et particulièrement rémanent, accentuant la part fruitée des arômes jusqu’à mêler ses sucs à la ponctuation minérale qui sous-tend l’ensemble de ses nobles amers.
« Rocans » rouge 2022 — AOC Ventoux
Nez ➤ densément fruité, il présente un bouquet où le boisé se marie à merveille à des senteurs bénéficiant à fruits rouges (framboise, fraise des bois), tout en levant le voile sur des nuances de fruits noirs, d’épices douces et d’olive noire ;
Bouche ➤ son amplitude impressionne et fait faire la queue-de-paon à une matière animée d’une texture pulpeuse. Les saveurs ne laissent pas indifférent non plus, imprégnant et stimulant les sens par un accent acidulé teinté de fruits rouges, dont l’effet déteint sur des tanins tendres et soyeux, parfaitement intégrés à son corps.
« Les Grappes » 2022 — AOC Ventoux
Nez ➤ très parfumé, il répand une odeur florale insolite et envoûtante évoquant du géranium, que viennent seconder des notes de fruits rouges (framboise, cerise) et d’épices douces ;
Bouche ➤ une fraîcheur saisissante engendre une ampleur telle que la matière semble y flotter pour susciter une sensation d’équilibre sans pareil. Ainsi déliée, sa texture accueille avec faste le complexe aromatique sur un goût puissant à généreux, tandis que ses sécrétions se fondent dans une structure délicatement soyeuse, tramée de tanins diffus.
Prix des vins cités :
« Intemporel » blanc, rosé, rouge > 7,80 € — « Les Galères » > 9,80 € — « Élégance », « Les Sœurs Aymard » > 12,80 € — « Insolence », « Rocans » > 14 € — « Les Grappes » : 18 €
☛ 1238 Chemin de Beaumes à Mazan, 84200 Carpentras-Serres ☛ site internet
Domaine de la Camarette
Situé au sud et à proximité de Carpentras, sur la commune de Pernes-les-Fontaines, ce domaine est original dans le sens où il est doublé d’une pépinière viticole qui est d’ailleurs à l’origine de sa fondation dans les années 1950 par Fernand Gontier. Sur des terres traditionnellement vouées au maraîchage, il planta des vignes pour servir une pépinière et parallèlement produire du vin en confiant cette tâche à la coopérative locale. Lui succédant, son fils Pierre l’émancipe de cette structure collective et assume son indépendance qu’il concrétise en 1993, son premier millésime. Pleinement vigneron, il poursuit cependant l’activité de la pépinière en la limitant toutefois à la production de greffons. Bien qu’actif jusqu’en 2007, Pierre Gontier cède la conduite du domaine en 2004 à sa fille Nancy, qui perpétue sa double vocation viticole. Elle est rejointe en 2011 par sa seconde fille, Alexandra, pour agir en duo au bénéfice d’un large éventail de vins réjouissants.
Son vignoble
Relativement importante, couvrant près d’une cinquantaine d’hectares, la superficie en exploitation proprement viticole se confond presque avec celle de la pépinière, les raisins et les bois donnant des greffons provenant d’un même pied de vigne. Ainsi, une partie importante du vignoble est constituée d’un matériel végétal destiné à la reproduction et certifié comme tel par l’organisme officiel d’agrément (FranceAgriMer). De ce fait, son encépagement compte une multitude de variétés clonales, chacune rattachée à un cépage générique. A titre d’exemple, le grenache est représenté par 5 clones distincts et il en va ainsi pour les cépages principaux en usage dans l’aire méditerranéenne, faisant que le domaine cultive 53 variétés différentes !
Soulignée plus haut, une autre particularité de la propriété est donc sa possession de parcelles à proximité des Dentelles de Montmirail, sur la commune de Saint-Hippolyte-le-Graveyron. Sur ce secteur bien réputé, elle exploite quelques 5 ha qui comptent nombre de vieilles vignes. Cela dit, le terroir qui encadre le cœur du domaine ne démérite pas en comparaison, s’agissant généralement de sols argilo-calcaires finement graveleux. Sa valeur s’apprécie d’ailleurs à travers la trame de fraîcheur qui modèle de manière récurrente l’ensemble des vins qui en sont issus, en faisant des archétypes exemplaires de l’appellation. Cette insigne qualité est d’autant mieux mise en valeur que la conduite des vignes est en bio et certifiée depuis 2014.
Une ronde de vins de cépages
La pléthore de cépages constituant le vignoble ne donnent pas lieu la multitude de cuvées que leur nombre pourrait le laisser supposer, surtout qu’ils ne mûrissent pas tous en même temps. Pour certains, plantés sur de toutes petites surfaces, on devrait même parler d’hypothétiques micro-cuvées. Fort heureusement, la souplesse de la règlementation des IGP — Indication Géographique Protégée, ex-Vin de Pays — permet l’usage de très nombreux cépages, une aubaine quand il s’agit de composer un vin avec des variétés confidentielles en volume. Ainsi, des cuvées en IGP comportent ces cépages-là dans leur composition et sont destinées aux fontaines à vin (appelées aussi Bag-in-Box© ou plus communément cubi). Parmi celles-ci figure un assemblage éclectique où aux côtés des classiques régionaux, grenache gris et cinsault, on trouve en minorité du cabernet sauvignon, du tempranillo — très cultivé en Espagne — et des cépages spécifiques résistant aux maladies de la vigne, comme l’artaban et le vidoc.
A contrario de ces pluri-cépages, le domaine prend soin d’élaborer des mono-cépage comme la cuvée « Sauvignon blanc », issue du seul clone cultivé ici, répertorié sous le n° 297. Malgré des vignes jeunes, plantées en 2018, le millésime 2023 convainc par ses arômes frais et bien nets, et surtout par un goût foncièrement parfumé qui plaît aisément. Un autre mono-cépage baptisé explicitement « Syrah », est un rouge qui en rassemble a contrario 4 clones différents, à l’unisson d’une expression gouleyante, gorgée d’un fruit croquant et peu structurée. Cette description vaut pour un 2023 et reflète la conception d’un vin léger, mais avec le caractère que suscite sa nature réglissée. Plus conventionnelle dirait-on, la cuvée « Carignan-Grenache » l’est moins par son style franc et épuré, foncièrement savoureux jusqu’à faire apprécier le grain de ses tanins. On se laisse ainsi séduire par un 2022 d’allure souple et d’un goût attrayant où chaque cépage joue sa partition pour former un tout épicé sur un accent friand de fruits rouges évoquant de la cerise griotte, et même un petit air de Bourgogne !
Les vins ambassadeurs
Les vins les plus représentatifs du métier de La Camarette en AOC Ventoux arborent l’étiquette « Armonia », un néologisme plutôt engageant. La promesse de cette vertu que l’on devine aisément est effectivement tenue, cela dans les trois couleurs formant cette gamme et qui se placent sous la bannière de la fraîcheur. Le plus éloquent de la lignée en est le blanc, en l’occurrence un 2023 qui ne rassemble pas moins de 4 cépages tout en faisant la part belle à du grenache blanc. L’ampleur est le maître-mot pour désigner au mieux son profil, avec pour heureux effet une expressivité remarquable, tant olfactive que gustative, à laquelle une composante minérale ajoute de son sel, au sens propre comme au figuré ! Partageant de mêmes qualités, le rosé « Armonia » 2023 peut se percevoir comme son alter ego, jouant davantage la carte de la séduction, née des délices d’un fruit acidulé. Quant au rouge, il s’affilie au style de la gamme « Armonia » par la sensation de fraîcheur qui encadre son expression et que renforce sa nature foncièrement réglissée. Le 2022 affiche ce tempérament énergique au service d’un vin complet pour sa catégorie et offrant un supplément d’harmonie.
Les cuvées d’exception
Le large éventail de cuvées proposées par le domaine comprend des expressions plus élaborées, ainsi la « Cuvées des 30 Vendanges », un blanc commémorant avec fierté ses trente ans d’existence comme vigneron indépendant. Il s’agit d’un assemblage de grenache et de roussanne, élaboré à la bourguignonne, à savoir vinifié et élevé en fût de chêne. Encore bien jeune et de surcroît « bousculé » par une mise en bouteilles récente (septembre 2024), son 2023 est naturellement peu loquace en arômes, l’influence du bois y étant sensible, quoique sans excès. Il dévoile cependant un modelé avantageux, signe d’un équilibre réussi entre matière et fraîcheur, et inspirant sa distinction.
Autre cuvée à part entière, « Louis » est un rouge avec à sa source les parcelles que possède le domaine au pied des Dentelles de Montmirail. La syrah y joue un grand rôle, tout comme un élevage partiel en fût, celui-ci toujours bien sensible dans un 2022, sans ça son indéniable potentiel ne fait guère de doute. Né sur ce même secteur, excepté pour sa petite part en mourvèdre, le rouge « Terroir » est le fruit d’une alliance équilibrée entre grenache et syrah au service d’un grand vin. C’est en tout cas l’impression qui ressort d’un 2021 dont la riche teneur enchante le palais, et qui gage un bel avenir à travers une structure aussi affirmée que maîtrisée. Conçue sur un mode encore plus ambitieux, « Madenn » (prénom de la fille de Nancy) est le produit du même terroir et dont les qualités superlatives doivent aussi à une sélection rigoureuse de vieilles à très vieilles vignes, dont des grenaches presque centenaires. Complémentées de syrahs, tout aussi vénérables, elles ne sont pas pour rien dans la profondeur de goût exceptionnelle d’un 2022, doué de surcroît d’un raffinement et d’une fraîcheur de texture qui ne laissent pas indifférent. Un élevage adroit et judicieux rajoute à sa grande allure qui évoque irrésistiblement celle d’un châteauneuf-du-pape…
Nos vins préférés
AOC Ventoux — « Armonia » blanc 2023
Nez ➤ très expressifs, des arômes mêlant parfum de fleurs et odeur de fruits blancs font toute sa séduction, tandis qu’un accent mentholé ajoute de sa pertinence, tout comme un aspect vaporeux situant sa nature minérale ;
Bouche ➤ un bel effet d’ampleur distingue sa fraîcheur et souligne harmonieusement une forme onctueuse d’où émane un goût intense et tonique évoquant des agrumes (pomelos) sur un fond gourmand. La minéralité s’y exprime à travers une fine astringence doublée d’un caractère salin particulièrement sapide, qui s’ajoute saveurs.
AOC Ventoux — « Armonia » rouge 2022
Nez ➤ il dispense d’emblée l’énergie et la fraîcheur d’une senteur nettement réglissée, qui s’enrichit à mesure de nuances pour composer un complexe alliant des notes de garrigue, d’olive noire et d’épices douces.
Bouche ➤ une rondeur parfaitement profilée encadre une chair délicate à la texture juteuse, imprégnée de saveurs persistantes concordant aux arômes sur un ton épicé délicieux et « aromatisé » de réglisse. Affirmés sans excès et d’un contour velouté, les tanins témoignent de sa jeunesse.
AOC Ventoux — « Terroir » rouge 2021
Nez ➤ à peine boisé, il fleure la volupté d’une haute expression sur un caractère mûr, velouté et agréablement épicé, où l’on distingue à mesure des notes de garrigue et de fruits compotés ;
Bouche ➤ ample et riche en substance, elle conjugue magistralement ces qualités en les muant en une texture volontiers juteuse. Son essence généreuse n’est pas en reste et souligne avantageusement le côté engageant des arômes. Ourlée de tanins denses et soyeux, sa structure enserre harmonieusement l’ensemble et signe sa jeunesse.
AOC Ventoux — « Madenn » rouge 2022
Nez ➤ encore sur sa réserve, il s’en dégage cependant une impression de suavité que suscitent des senteurs généreuses et profondes conjuguant épices et fruits secs (dattes medjoul), coiffées d’un boisé frais aussi mesuré qu’élégant ;
Bouche ➤ en écho à l’olfaction, elle fait valoir une plénitude née d’une balance parfaite entre matière et fraîcheur, à l’origine d’une texture ample et bien aérée. Appelées à s’épanouir, quoique pénétrantes et interminables, ses saveurs reproduisent fidèlement les arômes tout en faisant saliver, tandis que l’élevage fait montre de discrétion et les tanins d’un beau soyeux.
Prix des vins cités :
Vins de cépages en IGP Méditerranée > 8,50 € — « Armonia » blanc, rosé, rouges > 9,50 € — « Terroir » > 12 € — « Cuvée des 30 Vendanges », « Louis » > 14,50 € — « Madenn » > 19,50 €
☛ 439 Chemin des Brunettes 84210 Pernes-les-Fontaines ☛ site internet
A suivre …
L’auteur de l’article
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
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