Le vin romain ressuscité
Si vous passez en terres gardoises et que vous êtes amateur de vins et d’histoire, faites un détour par le Mas des Tourelles, à proximité de la Languedocienne (A9) qui reprend le tracé de la Via Domitia, sorte d’autoroute de l‘Antiquité qui reliait l’Italie à l’Espagne. Situé en Terre d’Argence, pays frontière entre Provence et Languedoc, avec Beaucaire comme capitale, ce domaine viticole historique des Costières de Nîmes s’est fait le lieu d’une belle expérience : ressusciter le vin tel que les romains ont pu le boire il y a plus de 2000 ans.
Des vignerons archéologues
A l’origine de ce projet, quelques coups de pioche bienheureux au début des années 1980 qui ont mis à jour le site d’un atelier gallo-romain de fabrication d’amphores et la passion pour l’histoire et les vieilles pierres d’un propriétaire, Hervé Durand. Les fouilles menées révèlent que les Tourelles étaient jadis une villa gallo-romaine consacrée à la culture de la vigne et de l’olivier. Prend alors forme le projet de recréer de façon scrupuleusement scientifique des vins romains à partir des indications fournies par quelques auteurs antiques tels que Columelle, Pline l’Ancien ou Palladius. Au début des années 1990, Hervé Durand et les archéologues André Tchernia et Jean-Pierre Brun, grands spécialistes du monde romain, entament le chantier. 20 ans plus tard, c’est un vrai complexe viticole antique que visitent les 15 000 touristes de passage au Mas des Tourelles avec vignoble, chai et crus d’inspiration romaine. Le lieu n’a rien d’un gadget oenotouristique car dans ce laboratoire d’archéologie expérimentale souffle toujours la même passion, transmise par Hervé Durand à son fils, Guilhem, qui co-gère aujourd’hui la propriété.
De la pergola à l’amphore
Le petit vignoble romain, une trentaine d’ares, est situé à quelques dizaines de mètres du Mas. Différents modes romains de conduite de la vigne y ont été reproduits : gobelet, pergolas ou vignes grimpantes sur les oliviers. Quant au cépage, et en dehors du muscat à petit grain que l’on peut relier à l’apiana romain, récemment planté dans ce vignoble expérimental, aucune variété antique n’étant parvenue jusqu’à nous de manière certaine, le choix s’est porté sur un cépage blanc résistant et assez neutre, le villard. , les raisins sont versés dans un impressionnant pressoir à levier en bois construit selon les indications de Caton l’Ancien (234 – 149 av JC). Les jus sont ensuite transférés dans de grandes amphores (dolia) dans lesquelles on ajoute un defrutum (moût de raisin concentré) aromatisé avec des coings afin d’augmenter à la fois le degré d’alcool et le taux de sucre résiduel dans le vin fini, gage d’une meilleure conservation. Après fermentation, on mêle au vin diverses substances (miel, fleurs, épices, aromates, eau de mer…) qui vont façonner le caractère de chaque cuvée. Ces expériences d’archéologie expérimentale ont rendu leur premier verdict en 1991 avec la cuvée Mulsum. Deux autres sont nées depuis : le Turriculae en 1993 puis le Carenum deux ans plus tard.
Dégustation
On savait que la Rome Antique avait son échelle des crus, ses amateurs, ses dégustateurs, ses collectionneurs et même ses critères de dégustation mais on ignorait encore le goût de ses vins. Faire renaître ces saveurs oubliées depuis 2000 ans, telle est donc la finalité de ce travail de reconstitution, avec une question sous-jacente : nos palais supporteront-ils ce saut dans le temps ? Menée par Guilhem Durand, dans une belle salle en pierre de taille du Mas récemment restaurée, la dégustation s’est déroulée selon les canons actuels. Contrairement à l’usage romain, et en tant que dignes descendants de barbares, nous avons goûté les vins purs, c’est-à-dire non coupés d’eau.
Le Mulsum
Composition : base de syrah/grenache dans laquelle on fait macérer du miel (mulsum signifie miellé), du thym et différentes épices.
Un rouge au nez de miel et de thym qui rappelle furieusement un hydromel. En bouche, le thym et le miel dominent toujours sur un fond de fruit rouge et de notes fumées, avec une finale à la fois sucrée et légèrement tannique. Peut-être la moins intéressante des trois cuvées, à cause peut-être d’un Pline l’Ancien (23 – 79 ap JC) un peu négligeant qui ne s’est pas donné la peine d’indiquer les dosages des différents ingrédients mais aussi parce que le vin de base est issu d’une vinification et de cépages classiques. Ce type de vin que les grecs et les romains réservaient au « gustatio » (à l’apéritif) n’en reste pas moins très plaisant.
Le Carenum
Composition : base de villard vinifié en dolium avec ajout de defrutum avant la fermentation.
On doit au dénommé Palladius (IV ème siècle ap JC) cette recette très convaincante de vin liquoreux (120 g de sucre résiduel). La robe est fortement ambrée/orangée, et le nez exhale de riches parfums de fruits confits et des notes légèrement fumées. En bouche, la confiture d’abricot, le miel et le coing confit dominent, avec un équilibre sur la douceur très agréable qui n’empâte pas. C’est sans doute le vin le plus facile à appréhender, le plus proche de nos repères, qui passerait facilement pour un vin santo ou autre liquoreux passerillé. Cette cuvée donne peut-être une idée des vins romains les plus prisés, tels le falerne, le cecube ou le vin d’Albe, qui étaient tous liquoreux.
Le Turriculae millésime 2759 (à compter de la fondation de Rome ; 2006 dans notre calendrier)
Composition : base de villard vinifié en dolium avec apport de defrutum pendant la fermentation, puis ajout d’eau de mer (réputée prophylactique), d’iris et de fenugrec.
C’est la description très précise de Columelle (I er siècle ap JC) qui a servi de base à cette recette qui, plus que les autres, ressuscite un goût très singulier. Nez marqué par le curry et la noix qui évoque les notes oxydatives d’un Xérès ou d’un vin jaune en moins puissant. La bouche est un étonnant mélange sucré/salé avec des saveurs assez intenses d’iode et de curry, portées par une agréable fraîcheur. La surprise naît de ce sel qui s’intègre parfaitement à la dégustation. Complexe et déroutant, ce type de vin était apprécié des romains car il reproduisait, à peu de frais, le goût de noix (grâce au fenugrec) typique des crus romains ayant longuement vieilli (jusqu’à 100 ans si l’on en croît Pétrone), et que l’on rencontre aujourd’hui dans certains vins oxydatifs élevés sous flore (vin jaune ou Xérès).
Pour en savoir plus :
- Le site du Mas des Tourelles, très riche en information.
- André Tchernia et Jean-Pierre Brun, Le vi
n romain antique, Éd. Glénat, 1999 - Raymond Billiard, La Vigne dans l’Antiquité, Ed. Jeanne Laffitte, 1997 (réédition d’un ouvrage de 1913)
- Hugh Johnson, Une histoire mondiale du vin de l’Antiquité à nos jours, Ed. Hachette, 1990
c’est bien c’est bien
Magnifique j’ai adoré cet article Merci
Merci pour la recette du vin Romain. Je l’ai bu au pont du Gard et je le trouve trop sucré (dû au miel !) pour accompagner un repas.