Crozes-Hermitage, la bonne affaire
Dans une région marquée par l’envol spectaculaire des prix depuis une quinzaine d’années, cette appellation offre de belles opportunités d’achat.
Le vignoble du Nord de la vallée du Rhône est constitué d’une série d’appellations modestes par leur taille mais devenues très célèbres en l’espace d’une génération. Au lendemain de la guerre, tout ici n’était plus que friches et il fallait avoir le nez creux pour sentir le vent tourner. Or le vent tourna au cours des années 1980 quand le monde redécouvrit les vertus de la syrah plantée sur ces coteaux maigres et pentus de granites décomposés qui enserrent le fleuve sur ses deux rives. Aujourd’hui les vins de Côte-Rôtie, de Cornas, d’Hermitage ou de Condrieu (pour les blancs) font tourner la tête des amateurs et même des producteurs si l’on en croit les prix atteints par les cuvées mythiques de la région. D’autres appellations n’ont pas eu cette chance, au moins dans un premier temps, comme Saint-Peray mangé par l’urbanisation, Saint-Joseph dont le vignoble s’est un temps égaré sur les hauts plateaux du département de l’Ardèche, et Crozes-Hermitage. Celle-là avait au moins un atout, celui de posséder dans son nom la référence au cru le plus mythique de la vallée du Rhône, Hermitage. Dans les années 1970 une bouteille de syrah locale ne valait pas plus qu’un kilogramme d’abricots, puis ici aussi le vent a tourné. La frénésie actuelle pour les syrahs venues du Nord a remis Crozes-Hermitage dans la course avec d’autres attraits que les crus les plus côtés : des prix accessibles, des volumes un peu plus généreux (1400 hectares) et des vins plutôt souples et parfumés, bien au goût du jour.
La syrah en vedette
La syrah est l’unique cépage noir autorisé dans la production de vin rouge, avec la possibilité (très théorique) d’ajouter un peu de cépages blancs (marsanne, roussanne). Comme le pinot noir en Bourgogne, la syrah – dans le Nord de la vallée du Rhône – est proche de sa limite de maturité : plus au Nord, elle peine à mûrir, plus au Sud, elle prend un caractère nettement plus méditerranéen. Entre Lyon et Valence, le climat dit « lyonnais » est un carrefour d’influences continentales, océaniques et méditerranéennes et, comme en Bourgogne, on note de forts écarts entre les millésimes : 2008 a donné des vins légers, 2009 des vins riches et mûrs. Les vins conservent généralement pas mal de vigueur, entre tanins et fraîcheur, avec autour un fruité plutôt riche et mûr en année solaire, plus fluide et épicé en année fraîche. La syrah y puise des notes de fruit rouge mûr, de violette, de poivre (quand la maturité est limite) qui peuvent évoluer vers le cuir, la venaison ou le sous-bois au vieillissement. On a aussi conservé une petite production de vin blanc sec à partir des deux cépages locaux que sont la marsanne et la roussanne. La seconde est la plus intéressante, mais aussi la plus délicate, et la marsanne est le plus souvent en vedette. Elle donne des vins plutôt souples, aux arômes discrets, pas toujours passionnants.
Terrasses et coteaux
Le vignoble de Crozes-Hermitage est situé sur la rive gauche et sa partie Sud s’étend entre le Rhône et l’Isère. Cette vaste terrasse plane (les Chassis), mécanisable, porte l’essentiel des vignobles de l’appellation sur des sols de galets roulés. En remontant le Rhône, on traverse le coteau orienté plein Sud de L’Hermitage, enclavé dans l’aire d’appellation, pour rejoindre de l’autre côté le village de Crozes-Hermitage. Les vignobles de coteaux débutent au Sud de la commune et courent vers le Nord sur une dizaine de kilomètres, avec des pentes granitiques regardant l’Ouest. On oppose souvent ces deux secteurs : les Chassis et les terrasses plus élevées autour de Mercurol, donnant des vins plutôt souples et fruités, et les coteaux, donnant des vins plus structurés ; mais bon nombre de producteurs assemblent les raisins des deux origines. On reste globalement dans un registre plus tendre et moins concentré qu’à Côte-Rôtie, Hermitage ou Cornas avec des vins à boire plus rapidement, mais avec ces multiples nuances qui rendent peu utiles les généralisations.
Les producteurs
Toutes les structures sont présentes : coopératives, négociants et producteurs indépendants. Les coopératives ont perdu des bras depuis 20 ans mais elles continent de peser : la très recommandable Cave de Tain produit un Crozes sur deux. Des fils d’anciens coopérateurs se sont installés à leur compte pour renforcer le contingent des indépendants. Quant aux grands noms du négoce nord-rhodanien, la plupart sont présents, en propriété ou en achat de raisins, parfois les deux.
Domaine Graillot et Domaine des Lises
Alain Graillot est l’un des vignerons vedettes de Crozes-Hermitage et ce grand spécialiste de la syrah a exporté son savoir-faire jusqu’au Maroc. Le vignoble couvre une vingtaine d’hectares, dans la partie Sud de l’AOC, sur des sols chauds, pierreux (galets, graves) et bien drainés. Alain Graillot a quitté Paris en 1985 pour s’installer sur ces terres qui n’attiraient pas grand monde à l’époque. Depuis, il peaufine ses cuvées qui brillent par leur côté savoureux, soyeux et apte à bien vieillir. La réussite est totale en 2009, avec une fraîcheur préservée et une qualité irréprochable du fruit qui en font des vins agréables dès leur jeunesse. Maxime, le fils, a rejoint le père sur la propriété tout en exploitant un domaine en propre (Domaine des Lises) de 6 hectares situé à proximité. Entre les deux le courant semble bien passer, le talent aussi.
Domaine Graillot, Crozes-Hermitage blanc 2009
Notes de fruit jaune et d’épice. Bouche bien souple, tendre, mais sans aucune sensation de chaleur. Parfait, à boire.
Domaine Graillot, Crozes-Hermitage rouge 2009
Une vendange non égrappée qui apporte des notes végétales à un fruit bien charnu et encore torréfié. L’ensemble donne une sensation intense, fraîche et mûre, avec une structure bien présente. Deux années de plus lui feront le plus grand bien mais l’équilibre est impeccable.
Domaine Graillot, Crozes-Hermitage rouge Guiraude 2009
Cuvée haut de gamme née d’une sélection des meilleures cuves. Une version plus puissante de la cuvée précédente qui conserve ce fruité très croquant et ce goût de rafle qui rafraîchit l’ensemble. La structure reste imposante, à garder.
Domaine des Lises, Crozes-Hermitage rouge, 2009
Nez frais, autour du fruit rouge bien mûr, de la violette et du zan. Ça ne manque pas de fond mais la fraîcheur et la précision dominent dans ce millésime pourtant riche. Le 2007 partage cette qualité de fruit et cette texture raffinée.
Domaine Laurent Combier
Autre vedette de Crozes-Hermitage dont on s’arrache les vins malgré la taille confortable du vignoble (30 hectares dont 1 sur Saint-Joseph), Laurent Combier a le parcours classique de bon nombre d’indépendants : fils d’arboriculteurs et de coopérateur, il rejoint le domaine familial en 1990 puis quitte la coopérative pour produire ses propres vins. Il suit le sillon bio tracé par son père dès les années 1970, un « fou » à l’époque, et offre des vins d’une gourmandise, d’une pureté de fruit et d’une fraîcheur toujours exemplaires. Les blancs sont tout aussi recommandables que les rouges.
Laurent Combier, Crozes-Hermitage rouge, Cuvée L, 2010
Vin coulant, assez charnu, jouissif. Une gourmandise née de jeunes vignes à boire sans attendre.
Laurent Combier, Crozes-Hermitage rouge, 2009
La cuvée « domaine », la plus produite : nez profond, floral, fruit noir, bouche mûre, fraîche, croquante à la finale mentholée. On peut attendre si on y résiste.
Laurent Combier, Crozes-Hermitage rouge, Clos des Grives, 2009
Une forte proportion de vieilles vignes donne plus d’étoffe à cette cuvée portée par de beaux tanins fermes et fins et un fruité toujours charnu. Avec toujours cette grande fraîcheur, même en millésime chaud.
Autres belles cuvées
Domaine des Entrefaux, Crozes-Hermitage rouge 2009
15/20 – Voici une belle adresse à Crozes-Hermitage, tant pour les rouges que pour les blancs. Le nez est sombre, bien ouvert, sur les épices, la violette, le cuir. Les tanins sont bien fondus dans une matière soyeuse et généreuse. La qualité du fruit et la rondeur en font un vin très plaisant et accessible.
Guigal, Crozes-Hermitage rouge 2007
14/20 – Arômes de fruit noir, d’épice, de cuir qui donnent d’emblée une sensation de fraîcheur. La bouche est tonique, souple, avec des tanins tout en finesse et des saveurs agréablement poivrées. Bien fait, digeste, très typé syrah, et à boire au printemps sur des grillades.
Cave de Tain, Crozes-Hermitage rouge, 2009
13,5/20 – Coopérative dynamique, incontournable à Crozes, par le volume de sa production et par sa louable régularité. Beaucoup de fruit rouge compoté au nez (un peu cuit), de la sucrosité en bouche pour un vin très facile, rond et plaisant. Les cuvées Les Hauts d’Eole dans les deux couleurs sont aussi des réussites.
Delas, Les Clos, Crozes-Hermitage rouge, 2009
14,5/20 – Cuvée haut de gamme issue de la terrasse des Chassis. Vin concentré, aux notes fumées, de fruit noir, d’épice. Les tanins restent fermes malgré la richesse du fruit et donnent de la rigueur à cette cuvée de longue garde. Le plaisir viendra avec le temps.
Paul Jaboulet Aîné, Crozes-Hermitage rouge, Domaine de Thalabert, 2006
15/20 – Le nez paraît évolué (cuir, épice), ce que confirme la bouche avec des saveurs nobles tirant sur l’animal. Vin plus élégant que puissant, avec de la fraîcheur et des tanins fins. L’ensemble donne une agréable impression de fondu. A boire.
Domaine des Remizières, Cuvée Particulière, Crozes-Hermitage rouge, 2009
14/20 – Les épices de la barrique et les tanins serrés assèchent un peu le fruit à ce stade mais on aime la fraîcheur et l’équilibre de cette cuvée qui devrait s’ouvrir très agréablement dans les prochaines années.
Ferraton, Crozes-Hermitage rouge, La Matinière, 2009
14/20 – Nez grillé avec du fruit rouge un peu confituré. Les mêmes saveurs coulent agréablement au palais, avec un profil lisse et facile à boire (sans attendre).
Ferraton, Crozes-Hermitage rouge, Le Grand Courtil, 2008
13,5/20 – Nez très poivré, floral. L’élevage semble un poil appuyé dans ce millésime plutôt léger mais ça reste croquant et très digeste. A boire.
Chapoutier, Crozes-Hermitage rouge, Les Meysonniers, 2008
14/20 – Nez frais, poivre, olive noire, cuir, baies sauvages. Bouche fraîche, avec des tanins encore un peu carrés et un fruité très poivré qui se prolonge assez longuement. Le relief est très agréable et les tanins s’effaceront à table (avec une belle viande rouge).
Yann Chave, Crozes-Hermitage rouge, Le Rouvre, 2009
15,5/20 – Yann Chave tire de ses 20 hectares en Crozes-Hermitage deux cuvées dont celle-ci, issue de vieilles vignes du secteur des Chassis. Nez profond, de framboise cuite, de fruit noir, d’épice. La bouche est chaleureuse, dotée de tanins puissants bien enrobés par le coté pulpeux et soyeux du fruit. Vin de garde.
Crédit photo : Christophe Grilhe, Interrhône
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