Acheter ses vins en primeur, le guide
Acheter de grands vins sans payer le prix fort est possible grâce aux ventes en « primeur ». Il faut dire d’emblée que ce mode de commercialisation est pour ainsi dire l’apanage des Crus Classés de Bordeaux, et prendre pour référence cette réalité. Ainsi que le terme primeur le laisse entendre, il s’agit de se procurer les crus convoités dès leur mise en marché auprès de distributeurs, une vente qui se pratique alors que leur cycle d’élaboration n’est pas terminé. Dans ces conditions, on passe sa commande dès que la campagne des « primeurs » est lancée, c’est-à-dire à partir du mois d’avril de l’année suivant leur récolte, et on est livré au bout de 2 ans, une fois leur élevage et conditionnement accomplis.
L’avantage principal de ce mode d’achat est d’ordre pécuniaire, puisque l’on peut gagner jusqu’à 30 %, voire davantage sur le prix final de commercialisation. Ainsi, des épicuriens avisés peuvent assouvir leur passion à un moindre prix, tandis qu’un public plus pragmatique trouve là matière à investir. A ces considérations s’ajoute évidemment le privilège de pouvoir goûter à des vins recherchés, sinon rares.
Elitiste de prime abord, ce principe d’acquisition ne requiert plus aujourd’hui la possession d’un portefeuille bien garni. On peut en effet accéder au luxe de détenir des bouteilles aux étiquettes enviables en limitant son ambition à quelques exemplaires, voire à l’unité quand une telle option est proposée. Les achats sont en outre grandement facilités depuis que les commandes se passent en ligne, les enseignes ayant toutes à présent pignon sur internet.
Quasi-monopole des Crus Classés ou assimilés de Bordeaux, ce marché concerne d’autres régions dans une bien moindre mesure, l’élite de la production y étant moins florissante, à l’exception de la Bourgogne.
La vente en primeur n’est cependant pas exclusive aux seuls acteurs du négoce, puisque quelques domaines réputés s’y adonnent suivant le même principe, qu’elles appliquent également aux cuvées que des amateurs se disputent.
Enfin, un grand réseau de cavistes prolonge la notion de service de proximité en proposant une sélection de Bordeaux « primeurs », incarnant en quelque sorte un principe de vente de plus en plus dématérialisé.
Ce qu’il faut savoir avant d’acheter
Sauf mention particulière, les remarques qui suivent valent essentiellement pour les primeurs de Bordeaux, dont le système de vente est bien encadré par des pratiques et des règles intangibles.
> Pas de concurrence sur les prix
Du côté du prix, il faut savoir que la discipline instaurée par la « Place » de Bordeaux est rigoureusement respectée. Ainsi, cette « Place », entente regroupant les intérêts des différentes acteurs (châteaux, courtiers et négociants) fixe les tarifs des primeurs, auxquels les titulaires de leur distribution doivent se tenir au risque d’être disqualifiés de ce marché. Dans ces conditions, rien ne sert de comparer les prix, ils sont peu ou prou les mêmes, quelle que soit l’enseigne choisie pour ses achats.
> Prévoir TVA et livraison en sus…
Attrayant sur le principe, l’achat de vin en primeur promet un gain substantiel, cependant, avant de se réjouir pleinement en se fiant au seul prix affiché, celui à payer au moment de la commande, il faut intégrer le fait que 20 % de TVA s’y ajouteront à l’époque de la réception des vins. Cela dit, lorsque l’on acquiert des primeurs auprès des propriétés qui pratiquent cette forme de vente, la TVA est déjà incluse dans le prix.
Dans une même considération, des frais de livraison sont à prévoir en supplément du prix initial. Ces tarifs sont fonction des quantités commandées, parfois forfaitaires, tandis que des achats substantiels donnent droit à la gratuité du port.
> On est (presque) toujours gagnant !
S’agissant des primeurs de Bordeaux, ce mode d’achat par anticipation assure d’un gain estimé à 30 % par rapport au prix courant du marché, cela dans les meilleures conditions, celles d’un grand millésime. Cependant, ce bénéficie peut se réduire à quelques menus %, si l’année n’est guère porteuse de promesses. Que l’on se rassure, cet argument majeur des ventes en primeur n’a pratiquement pas été pris en défaut durant les deux dernières décennies, même dans l’occurrence du millésime 2013, dont la médiocrité n’a eu qu’une incidence limitée sur les prix.
Par contre, Les achats en direct auprès des propriétés sont toujours gagnants, celles-ci étant maîtresses de leur commercialisation. De ce fait, une remise du même ordre, parfois davantage, est pleinement garantie.
Concernant les ventes des Hospices de Beaune, présentées ci-après, rien n’est moins sûr en la matière, puisque c’est le principe de la vente aux enchères qui commande la fixation des prix. D’où l’intérêt de passer par un intermédiaire rompu à ce marché très spécifique, seul susceptible d’anticiper d’éventuelles surenchères. Et après tout, on est là en Bourgogne où, au-delà du pedigree du vin, sa rareté prime dans les critères d’achats.
> Quelles garanties ?
Les sites présentés ici offrent toutes les garanties pour vos achats, s’agissant d’adresses ayant pignon sur rue et proposant de surcroît l’option d’une garantie bancaire en cas d’indisponibilité des vins commandés. Ces assurances incluent évidemment la sécurité des paiements avec cryptage des informations bancaires. Ainsi est révolu le temps du lamentable épisode d’un important vendeur en ligne(1) ayant pratiqué la vente dite « à découvert », c’est-à-dire sans avoir lui-même s’être procuré les vins vendus au préalable !
Les sites à privilégier
Voici une sélection d’enseignes recommandables, offrant la garantie d’avoir pour interlocuteurs directs des négociants de la « Place » de Bordeaux, se fournissant eux-mêmes sans intermédiaire auprès des châteaux. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs des vitrines de ce négoce. Quoi qu’il en soit, en achetant sur ces sites, on est assuré de la provenance et de la bonne conservation des vins, puisqu’aucune entité ne s’interpose jusqu’à leur livraison. Incontournables sur ce marché, leur offre en Bordeaux est forcément exhaustive et s’élargit en marge de l’excellence à de non moins méritants Seconds vins des Crus Classés, Crus Bourgeois ou autres châteaux hors cadre, mais reconnus pour leur qualité. Elle s’étend très marginalement à d’autres régions, Bourgogne en tête, avec des marques sûres, sinon réputées, pour la représenter.
(Présentation par ordre alphabétique)
Bordeaux en Primeurs
Il s’agit du seul vendeur en ligne entièrement consacré à la vente de Bordeaux en primeur et agissant en toute indépendance, sous aucune tutelle. Le caractère très spécialisé de son activité en fait une référence de choix, surtout que son offre, très large par ailleurs, s’étend à des vins abordables, issus de presque tout l’éventail des appellations bordelaises. En plus de cette dernière sélection faite en marge des conventions, une rubrique « coups de cœur » souligne encore son propre engagement dans son métier.
Chateauprimeur
Filiale d’un négociant majeur de Bordeaux, ce site est entièrement consacré à la vente en primeurs aux particuliers, il est d’ailleurs l’un des deux acteurs dans ce cas. Son activité est conjointe à celle de Chateaunet, la vitrine principale sur Internet du groupe propriétaire. Fort de la dimension de ce dernier, ancrée à même le vignoble avec le légendaire Petrus dans son patrimoine, Chateauprimeur peut se prévaloir d’une enviable position pour ses approvisionnements. Ce point de vente virtuel ne contente pas de mettre en rayon les incontournables dont il regorge et invite à découvrir les pépites dont la qualité confond sur leur statut roturier, qu’il ait pour nom Castillon, Fronsac, Francs et même Bordeaux Supérieur.
Cavissima
Cet opérateur se distingue sensiblement de ses pairs en ce sens qu’il propose un ensemble de conseils et de services pour assurer ses achats en primeur. Il est ainsi le seul à proposer sa propre évaluation des Crus Classés de Bordeaux, cela en pondérant le critère de qualité par celui du plaisir, ce dernier étant attribué par le palais aguerri d’un sommelier Meilleur Ouvrier de France, John Euvrard. Ainsi, ce « classement plaisir » s’échelonne sur 5 niveaux permettant d’évaluer son achat sur ce plan. Ce dernier est doublé par un « classement investissement » réservé à la tranche supérieure des châteaux les plus convoités du marché, et établi à partir de l’ensemble des facteurs influant sur la cote d’un cru. Ce conseil s’étend par une assistance optionnelle pour la revente des vins acquis en primeur. L’enseigne offre d’ailleurs toutes les garanties sur ses actions, étant sous la vigilance d’un commissaire aux comptes. Dans des considérations plus pratiques, elle propose le stockage des vins acquis dans des conditions optimales pour leur garde.
La Grande Cave
Ce site est depuis 2016 la vitrine conjointe de maisons de négoce historiques, elles-mêmes propriétaires de châteaux, c’est dire le sérieux et les garanties attachés à cet illustre ancrage. Sa sélection de vins en primeur est exhaustive et ne comprend que des Bordeaux, depuis les Premiers Classés jusqu’à des vins bien choisis portant la simple estampille Bordeaux.
Lavinia
Haut-lieu du vin au cœur de Paris, avec une sélection sans pareil de références du monde entier, cette enseigne innovante possède également une vitrine virtuelle où apparaissent ses vins en primeur, exclusivement des Crus Classés bordelais, une offre très large d’étiquettes que l’on peut même acquérir à l’unité. Lavinia offre évidemment une garantie totale sur la provenance des bouteilles et, en année « normale » (hors restrictions sanitaires), organise un événement exceptionnel où l’on peut déguster une sélection de primeurs, soit une occasion unique pour avoir un avant-goût de ses achats !
En savoir plus sur Lavinia >eccevino.com
Millesima
Leader européen de la vente en primeur aux particuliers, ce site dispose d’une offre en primeur à la hauteur de sa réputation. Très exhaustif concernant l’élite bordelaise, son catalogue comprend en outre un chapitre honorable consacré à des maisons bourguignonnes sûres. On y trouve également quelques bonnes sources en Languedoc, Rhône et même Provence (Bandol).
En savoir plus sur Millesima > eccevino.com
Le Petit Ballon
Bien connu pour avoir introduit une lecture plus conviviale du vin, avec des choix à l’avenant, ce site ne s’adresse pas seulement aux « nouveaux consommateurs » et répond à l’attente des palais avertis et inconditionnels de grandes étiquettes. Pour ces amateurs-là, l’enseigne est au rendez-vous de la campagne des primeurs de Bordeaux exclusivement, avec une sélection limitée aux châteaux ayant une notoriété « objective », soit une offre déjà très satisfaisante de quelques 140 références.
Vins-Fins.com
Ce site est la boutique des primeurs d’un important négociant de Bordeaux, lui-même propriétaire de châteaux. Sa singularité réside dans une rubrique de coups de cœur sans critère de prix, une sélection le distinguant de ses pairs où notes et pronostics sont en quelque sorte « externalisés », puisqu’ils sont le fait de critiques attitrés possédant une aura internationale. Dans le même esprit, un service téléphonique permet de bénéficier de conseils personnalisés pour ses achats. Ceci étant, sa position privilégiée au sein du sérail bordelais lui permet de présenter une gamme exhaustive de la galaxie des Crus Classés et de ceux dans leur mouvance, étendue à quelques « pépites » trouvées parmi des châteaux moins en vue.
Wineandco
Initiateur de la vente de vin en ligne, Wineandco est également partie prenante du temps fort que représentent les ventes en primeur. Outre les services attendus d’une adresse sûre, l’enseigne propose une liste complète des Crus Classés de Bordeaux et de ceux dans leur environnement qualitatif, auxquels s’ajoutent des châteaux moins nantis mais estimés des connaisseurs. Fait rare pour être souligné, la Bourgogne est bien représentée, de surcroît par des marques notoires, tandis que le Languedoc-Roussillon bénéfice d’une sélection courte mais pertinente.
En savoir plus sur Wineandco > eccevino.com
Primeurs de Bourgogne, les Hospices de Beaune
Dans ce vignoble riche de vins que l’on s’arrache, le production, restreinte par nature, l’est davantage s’agissant des œuvres des grands interprètes de ses terroirs les plus prestigieux. Par conséquent, face à une demande pressante, les domaines les plus courtisés ont instauré un système d’allocations réservé en priorité à des revendeurs professionnels. De ce fait, l’offre en primeurs aux particuliers est confidentielle, et aucun vendeur ne la représente à ce titre. Toutefois, parmi les sites précités, certains proposent une sélection de choix, parfois non négligeable, de crus bourguignons.
Cela dit, il y a le cas d’espèce que représente la vente caritative des vins des Hospices de Beaune, une institution hospitalière dont le vignoble, enviable par sa superficie et ses « climats » (2), s’est constitué à la faveur de dons et d’héritages tout au long de son histoire. La vente en primeur de son entière production au mois de novembre suivant sa récolte est l’occasion d’un événement exceptionnel, qui dépasse largement la sphère viticole. S’agissant d’une vente aux enchères pour une noble cause, les prix atteints excèdent largement les cours pratiqués et paraissent impressionnants, l’unité de vente étant la pièce bourguignonne, autrement dit un fût de 225 litres et autant de bouteilles ! Inaccessibles sous cette forme pour le commun des mortels, ces vins le deviennent lorsqu’ils sont détaillés en bouteilles. C’est ce que propose la maison Albert Bichot par l’intermédiaire de son site internet, à savoir la possibilité d’acquérir des vins des Hospices de Beaune acquis aux enchères et élevés par ses soins, cela sans contrainte de quantité, puisque l’unité de vente est la bouteille. Faites exclusivement en ligne, les commandes se font avant la vente des Hospices parmi une sélection de 2 vins blancs et de 3 rouges sur lesquels Albert Bichot a misé avec toute l’assurance de son métier. Pour le reste, le principe est semblable aux autres ventes en primeur, sauf que l’achat ne porte sur 80 % de son montant, le solde ainsi que la TVA étant réglés au moment de leur livraison, deux ans plus tard.
L’enseigne procède de même pour les ventes des Hospices de Nuits-Saint-Georges, où elle a également une part active et, toujours en primeur, propose une sélection de 9 vins rares, car issus de petites parcelles.
Acheter directement à la propriété
Hors Bordeaux et Bourgogne, certains domaines réputés vendent en primeur leurs cuvées les plus prestigieuses, celles qu’un public d’amateurs ne manquerait à tout prix.
Le pionnier de cette forme de vente est étonnamment languedocien, le Mas de Daumas Gassac, un domaine-phare de la région et qui fut également l’un des premiers à faire découvrir son potentiel. Ainsi, depuis 1978, il propose d’acquérir par réservation son grand vin en rouge et en blanc, cela à un tarif bien moindre qu’en vente normale, avec une décote de l’ordre de 40 %. Le succès de ce mode de commercialisation fait que son entière production est quasiment réservée comme tel d’une année sur l’autre. Aussi faut-il s’inscrire sur une liste d’attente pour espérer s’offrir ses fleurons, si l’on prétend figurer parmi ses nouveaux clients ! Le calendrier de ses ventes en primeur est également atypique puisque celles-ci se déroulent au mois de septembre.
Domaine révélateur des grands atouts du Roussillon, le Clos des Fées propose en primeur ses belles cuvées et ainsi son joyau, « La Petite Sibérie », disponible également en magnum et en jéroboam.
Dans la région du sud-ouest, Alain Brumont, révélateur de la grandeur du Madiran à travers les noms de Château Montus et Château Bouscassé permet aux fans du tannat, son cépage fétiche, de profiter de ses hautes expressions, et notamment de son fleuron, « La Tyre ».
En Alsace, le Domaine Marcel Deiss, producteur éminent s’il en est, est apparemment le seul à vendre des vins en primeur, uniquement en « Premier Cru » (3) et en Grand Cru.
Remuant propriétaire et négociant rhodanien, Chapoutier affiche en primeur les plus grandes cuvées issues de son univers géographique local, national (Alsace, Roussillon) et du Nouveau Monde (Australie).
Nicolas, les primeurs chez son caviste
Ce vénérable réseau de cavistes dispose aujourd’hui de 500 succursales, qui sont autant de points de ventes de Primeurs. Il s’agit de la seule enseigne de proximité où l’on peut passer sa commande et y recevoir ses vins dès leur mise en marché, dans le laps de temps nécessité pour leur finition et leur conditionnement. Sa philosophie de rendre le vin accessible s’étend à son offre en primeur, à laquelle il est possible de souscrire pour un budget relativement modéré. L’ancienneté de ce réseau de distribution fait qu’il bénéficie de relations privilégiées auprès de nombreux châteaux et autant de garanties sur ses approvisionnements, à l’instar des adresses les plus sûres en la matière. De ce fait, cette position lui permet de proposer un catalogue exhaustif en Crus Classés bordelais ou apparentés. Une sélection limitée de Grands et de Premiers Crus de Bourgogne issus de maisons renommées y figure également.
(1) En l’occurrence, il s’agit du site 1855.com, qui n’avait que très partiellement honoré ses engagements pour des ventes en primeurs. Pour en savoir plus, consultez les différents articles parus sur cette affaire dans la Revue du Vin de France.
(2) Dans la Bourgogne viticole, le « climat » désigne une parcelle bien délimitée et identifiée. Cette dénomination se confond généralement avec celle de « lieu-dit ».
(3) Officiellement, la hiérarchisation des terroirs alsaciens valide uniquement le niveau « Grand Cru » pour ceux identifiés avec des critères idoines. En utilisant le label « Premier Cru », ce domaine anticipe sur la démarche en cours visant à instituer un niveau intermédiaire dans le classement des terroirs.
L’auteur de l’article
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
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