Atouts et atours de Menetou-Salon
Menetou-Salon. Un nom qui étonne, mais c’est bien celui, très singulier, d’un village du Berry et d’une commune du Cher. C’est également ainsi que l’on désigne une appellation d’origine, plus ancienne qu’on ne pourrait le penser, puisque 2019 l’a vu commémorer ses 60 ans d’existence. Située dans une région bénie pour le sauvignon, son terroir n’a rien à envier à celui de Sancerre, son illustre voisine, et engendre des vins à l’avenant. Epaulée par une tradition, le savoir-faire en rouge l’a cependant mieux distinguée, l’émulation vigneronne aidant. A la faveur de mutations, notamment parmi les domaines pionniers dans sa mise en valeur, et d’une prise de conscience de son potentiel, Menetou-Salon s’est progressivement émancipée d’un statut intermédiaire pour gagner une place à part entière dans le concert des AOC du Centre-Loire.
Une lointaine histoire
Si la présence de vignes sur le territoire de Menetou-Salon est signalée dans des donations faites au Moyen-Age, leur existence est plus tangible lorsque Jacques Cœur, argentier du roi Charles VII, acquiert la seigneurie de Menetou en 1448. Bien plus proche de nous, la tragédie du phylloxéra a été le terreau d’une première solidarité vigneronne, sous forme d’un syndicat, fondé en 1890. Malgré tout, la région est restée une terre de polyculture, plantée surtout d’arbres fruitiers avant que cette filière ne décline, autour des années 1980, et lui permet de retrouver une pleine vocation viticole. Un temps à l’ombre de Sancerre, appellation omnipotente dans la région, qui a d’ailleurs failli l’absorber dans son aire, elle s’est détachée à mesure de cette forme de tutelle grâce à des vignerons précurseurs dans la dimension singulière qu’elle a gagnée depuis. Dans cette ascension vers la reconnaissance, Menetou-Salon a fait valoir une tradition de rouges en s’appliquant dans leur production. Relevé brillamment, le défi a été moins insurmontable dans les blancs, où l’on a exploité avec succès les bénéfices d’un terroir doué en la matière et engendrant aujourd’hui près des 3/4 des volumes produits dans la couleur. Agréés dès la promulgation du décret d’AOC (1959), et malgré la vogue actuelle, les rosés restent très marginaux avec à peine 3 % des parts de production.
Les dons d’un terroir
La géologie sous-jacente au vignoble de Menetou-Salon répond à sa classification dans le Kimméridgien, nom savant désignant une ère du Secondaire, privilège revendiqué par l’appellation Chablis pour faire valoir la spécificité et la qualité de ses vins blancs. Pour faire simple, on dira que le sous-sol de la région était occupé par une mer qui, en se retirant, a cédé son espace à des dépôts formés de calcaire et d’argile, appelés marnes. Parmi ces sédiments, il y a ceux laissés par une faune marine fossilisée, sous forme d’huitres. Caractérisant son assise, cette formation en fait un vignoble homogène dont les sols répondent cependant à la morphologie variée de ses reliefs. C’est en cela que l’appellation brille de toutes ses facettes, la situation et la composition de son parcellaire faisant que les vins portent l’empreinte de cette géographie complexe. Fruit de savoir-faire vignerons et personnalisé dans cette mesure, l’ensemble des Menetou-Salon compose ainsi un nuancier d’expressions passionnantes dans leur diversité.
Si l’aptitude des sols pour les blancs est largement attestée, celle pour les rouges reste moins bien déterminée, la stricte logique d’une adéquation terroir/cépage n’étant pas la règle. Dans cette considération, le style prime avant tout, l’approche locale du pinot noir favorisant traditionnellement des vins légers, moins exigeants sur la nature des sols. Cependant, avec le temps, le discernement des vignerons a permis de mieux appréhender la question en identifiant les parcelles les plus aptes à l’épanouissement du cépage.
Des blancs épatants et des rouges convaincants
L’évaluation des blancs s’est faite sur deux millésimes, 2017 et 2018, mais majoritairement sur ce dernier, dominant l’offre actuelle des domaines. Les 2018 reflètent une année faste, avec des raisins très mûrs, où il a fallu faire preuve de doigté pour ne dilapider leur capital d’acidité. A l’aune de leur dégustation, il est apparu qu’une majorité d’entre eux témoignaient en ce sens d’une bonne maîtrise, avec l’avantage de penchants gourmands peu habituels parmi les repères variétaux du sauvignon. En cela, j’ai relevé une palette d’arômes passionnants qui préservait cependant le caractère frais et tonique attendu du cépage dans le creuset de Menetou-Salon. Outre ce partage des senteurs, celui des profils était également patent, avec des vins pleins mais doués d’un équilibre à la mesure de leur matière. Cela dit, l’aspect en commun le plus remarquable était, à mon sens, leur remarquable sapidité, grâce à l’heureuse conjugaison des facteurs d’une belle maturité et des incidences minérales. J’ai ainsi noté la récurrence d’une perception savoureuse engendrée par l’alliance sucré-acidulé-salé, avec au surplus une tension inhérente à la minéralité, bienvenue dans ce contexte. Bien des expressions présentaient ce profil, a fortiori celles qui ont eu ma préférence.
Peu nombreux dans l’échantillonnage, les blancs 2017 étaient globalement de belle facture et témoignaient d’une année plus équilibrée, avec un potentiel d’évolution bien esquissé.
Dans la diversité que j’ai perçue parmi les rouges, il faut voir le reflet de conceptions distinctes, allant d’un style sur le croquant du fruit jusqu’à des expressions rappelant celles des terres bourguignonnes les plus convoitées. Cette différence s’explique aussi par un vignoble ayant hérité de plantations de pinot noir davantage dictées par un atavisme vigneron que par des considérations purement agronomiques. Pour autant, le tableau est très satisfaisant, surtout à la faveur du millésime 2018 où nombre de vins affichaient une expression alliant éclat et saveurs.
Morceaux choisis
Voici les plus beaux fruits d’un parcours sélectif du vignoble, passés par le filtre d’une dégustation préalable où l’anonymat était de règle. Cependant, la rigueur n’est pas de mise dans cette sélection, où j’ai donné priorité à des acteurs parmi les plus impliqués dans la dynamique de l’appellation.
Les domaines sont classés par ordre alphabétique
Isabelle et Pierre Clément
Ce domaine familial où les générations se croisent pour le meilleur, exploite un vignoble important avec une discipline dont témoigne une cave exemplaire et bien pensée. Un acteur des plus fiables de l’appellation.
Blanc 2018 – Classique > son nez tout en subtilité contraste avec l’expressivité d’une bouche dont la richesse est soulignée de gourmandise et gagne en sapidité par l’heureux concours d’une substance salée d’essence minérale. 14,50 €
Rouge 2017 – Tradition > un élevage sensible et flatteur enveloppe son expression, conférant au fruit une jolie sève épicée, et agissant sur sa constitution pour la délier, l’enjoliver et en peaufiner les tanins. Un peu de garde délivrera davantage son fruit. 15,50 €
Domaine Philippe Gilbert
Eponyme de son vigneron, ce domaine, au faîte de Menetou-Salon, est conduit en biodynamie avec conviction et une rare maestria. Quasiment à parité dans les vignes, blancs et rouges témoignent d’une même exigence et d’une ambition achevée.
Blanc 2015 – Les Chandelières > son registre aromatique diffuse en finesse l’empreinte de son terroir, une minéralité également palpable en bouche dont l’aspect tactile le doit à un équilibre confondant, et la saveur à un fruit captivant et patiné par la grâce du temps. 27 €
Rouge 2015 – 35 rangs > la pureté et intensité d’un fruit subjuguent l’approche aromatique et gagnent le terrain d’une texture fascinante par une teneur où les notions de plaisir et de grandeur se conjuguent d’une finition délectable. 34 €
Vignobles Joseph Mellot
Valeur sûre et ambassadrice de choix du Sancerrois, cette maison transpose son savoir-faire dans ses propres vignes en Menetou-Salon avec une égale réussite.
Blanc 2018 – Le Clos du Pressoir > voici un bel archétype du millésime, au parfum mentholé, à la pulpe gourmande et tonique, et ponctué par un net accent iodé. 13 €
Rouge 2018 – Le Clos du Pressoir > sur un fruit croquant, velouté et bien défini, il déploie une allure franche et tout en équilibre, sur une structure encore présente, mais ajustée à son style. 12,50 €
Domaine Pellé
Pionnier dans l’émergence de l’appellation et serviteur exemplaire du terroir de Morogues, ce domaine continue d’honorer son statut par des vins précis, élégants et charmeurs, fruits du doigté de Paul-Henry Pellé.
Blanc 2018 – Morogues > conquérant par ses arômes cristallins, très frais et agréablement fruités, il prolonge le plaisir de cette sensation à travers une matière ample, savoureuse, salivante et dotée d’une noble minéralité. 12,50 €
Rouge 2017 – Morogues > ces senteurs chatoyantes de baies rouges forment l’heureux préambule à une bouche d’une rare élégance, fine et harmonieuse, et dont le caractère délicieux en fait un vin de gourmets. 15 €
Domaine Jean Teiller
Géré avec conscience et en voie de conversion à la biodynamie, ce domaine familial superpose avec brio le métier des générations qui s’y affairent et continuent d’aller de l’avant.
Blanc 2017 – La Montaloise Feutrée au nez, son expression délivre au palais un éclat de fraîcheur tout à l’avantage d’une texture foisonnante et foncièrement savoureuse, où le terroir filtre sous l’aspect d’une fine astringence minérale. 16 €
Rouge 2017 – Hommage Son bouquet floral et sa forme gracile surprennent et désignent une interprétation très personnelle du pinot noir, fruitée à cœur sur un registre qui respire celui des arômes, tandis qu’une petite mâche sous-entend sa jeunesse. 14 €
La Tour Saint-Martin
D’une main sûre et non sans panache, Bertrand Minchin produit des vins d’une expressivité attachante, à l’image de son esprit disert !
Blanc 2017 – Honorine Il se démarque par sa distinction aromatique et une dynamique de fraîcheur déliant et épurant à merveille une matière que la minéralité vient sillonner de sa granulosité. 19,90 €
Rouge 2018 – Pommerais De la fraîcheur et du naturel conduisent son entière expression, vivifiant une matière juteuse et pleine de goût, à laquelle un léger mordant sied parfaitement et charme le palais. 13,50 €
Une brassée de jolis rouges
Ainsi que je l’ai souligné, 2018 a permis de produire des rouges réjouissants, et ils n’ont pas été rares dans la dégustation d’ensemble. Aussi, je ne saurais omettre leur mention, même sous une forme abrégée, car leurs vignerons le méritent. Moins surprenants dans le contexte, des blancs très réussis les rejoignent dans ce tableau qui honore également l’appellation (classement par ordre alphabétique).
>> Domaine de Beaurepaire > rouge 2018 – 7,30 €
>> Domaine de Champarlan > blanc 2018 – 10,50 €
>> Roger Champault > blanc 2018 Le Clos de la Cure – 12 € et rouge 2018 Le Parassy – 13 €
>> Domaine Chavet > blanc 2018 – 9 €, rouge 2018 – 9 € et rouge 2017 Cuvée d’Exception – 10,80 €
>> Domaine de Coquin > blanc 2018 – 8 € et rouge 2018 – 8 €
>> Domaine Eric Louis > blanc 2018 – 9,50 € et rouge 2018 – 9,50 €
>> Jean-Paul Picard et Fils > blanc 2018 – 9,80 €
>> Domaine Remoortere > blanc 2018 – 10 €
>> Domaine Turpin > rouge 2018 – 8,70 €
Je tiens à remercier le Bureau Interprofessionnel des Vins du Centre (B.I.V.C.), et plus particulièrement Paoline Vigneron ainsi qu’Anne Clément, pour l’accueil qui m’a été réservé à l’occasion de ma venue sur le vignoble, et le concours qui m’a été prêté pour l’organisation de la dégustation.
L’auteur de l’article : diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
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