Château Mourgues du Grès, l’étoile des Costières de Nîmes
Près de Beaucaire, c’est au sein d’un paysage partagé entre vergers, bois et garrigue, et scandé de haies de cyprès, que l’on distingue les vignes formant le domaine Mourgues du Grès. Ces dernières épousent le relief des Costières à l’endroit de la rupture du plateau qui le caractérise et dont les sols de galets roulés forgent le caractère des vins. Anne et François Collard ont fait de cette propriété familiale l’un des phares des Costières de Nîmes, une appellation située entre Rhône et Languedoc, encore jeune puisqu’élevée au rang d’AOC en 1986. Le domaine a pour ainsi dire accompagné la progression du vignoble, se démarquant dès ses débuts par une juste ambition, dont l’un des grands mérites aura été de révéler un égal potentiel de son terroir dans les trois couleurs. ll n’a depuis cessé d’affûter son savoir-faire tout en œuvrant dans le respect de l’environnement et en accord avec les attentes sociétales, des engagements qui ont incidemment profité à l’expression ainsi qu’à l’authenticité de ses produits. Château Mourgues du Grès est donc une entreprise responsable qui le fait savoir en ouvrant ses portes à tous ceux qui souhaitent découvrir le creuset de ses vins, qu’elle s’attache consciencieusement à protéger.
Un terroir d’exception
La situation du vignoble, au point de rupture du plateau des Costières côté Camargue, lui fait bénéficier d’une succession de reliefs allant du pied de coteau jusqu’au plateau lui-même. Cette configuration, doublée d’un parcellaire en plusieurs pôles, sous-tend un terroir de nature complexe, mais avec une forte dominante constituée de galets, par endroits imposants au point de rappeler immanquablement ceux de Châteauneuf-du-Pape. Composant les trois-quarts de la superficie du domaine, ce type de sol, appelé localement « grès », s’avère un parfait régulateur hydrique, car très caillouteux en profondeur et à la fois riche en argiles. Les racines de la vigne parviennent ainsi à se faufiler à travers cette texture pour puiser l’eau nécessaire, surtout pendant la période de sécheresse estivale, récurrente au climat régional. A l’opposé, les fortes précipitations de nature orageuse n’engorgent jamais une terre qui reste suffisamment filtrante. Pour avantageuses qu’elles soient, ces conditions naturelles ne sauraient être bénéfiques sans un enracinement substantiel de la vigne, conforté ici par une exploitation en agriculture biologique. Certifiée depuis 2014, mais bien antérieure dans son application, celle-ci a eu une vertu stimulante pour la plante, accentuant en conséquence la teneur minérale des vins et incidemment leur fraîcheur. Moyennant cette discipline, la notion de terroir prend ainsi tout son sens.
Une égale réussite dans les trois couleurs
La disposition pluri-parcellaire du vignoble de Mourgues du Grès correspond à autant d’angles d’ensoleillement, ce qui, associé aux différents types de sols, favorise l’épanouissement des différents cépages et consécutivement celui des couleurs qu’ils déterminent. Dans cette considération, l’étendue de la propriété (65 ha) apparaît comme un atout.
L’équilibre et la fraîcheur des blancs le doit à une conjugaison de facteurs naturels et d’une d’élaboration aussi inspirée que rigoureuse. Ainsi, une exposition au nord pour certaines vignes, les calcaires sur lesquels elles sont implantées et les brises marines dont le bénéfice se fait sentir jusqu’ici, ne sont pas pour rien dans leur expressivité, tout comme des compositions judicieuses, fruits d’une large palette de cépages, dominée par le trio grenache-roussanne-vermentino. Vinifiés de surcroît sans ajout de soufre, ils présentent une netteté et une vitalité de fruit sans pareil, y compris dans la cuvée fermentée sous bois (Capitelles).
Stylés par la dynamique de leur modelé, les rosés tranchent avec une tendance dominante de vins privilégiant l’aspect aromatique et un profil tendu. Issus de la technique de saignée, ils y gagnent une matière propre à élargir leur vocation aux plaisirs de la table, tout en restant alertes et parfumés pour être appréciés en apéritif.
Bien que reflétant une ambition graduelle, les rouges partagent un caractère étoffé et généreux, y compris la cuvée d’entrée de gamme (Galets Rouges), d’ailleurs remarquable sur ce point. Conçue comme un crescendo vers l’ambition, la série des rouges reconduit ce même profil tout en préservant pour chaque vin l’équilibre attendu à son niveau de concentration. En cela, on mesure l’habilité et le discernement dans les assemblages, les modes de vinification et d’élevage. Et si la tendance est au rééquilibrage et à la diversification de l’encépagement, la plupart des cuvées restent axées sur la syrah, qui domine largement dans les plantations. Cependant, leur personnalité se façonne au gré d’apports spécifiques à chacune d’elle, celui du grenache étant le plus récurrent, tandis que d’autres variétés (carignan, cinsault, marselan, mourvèdre) modèlent efficacement leur caractère, surtout s’agissant de vieilles vignes avec la richesse de leur essence.
Les icônes du domaine…
Fruits d’approches bien différenciées, les gammes signées respectivement Les Galets, Terre d’Argence et Les Capitelles expriment des vocations distinctes, celles de vins à apprécier sans attendre ou à déguster au fil du temps.
Bien que conçues pour une consommation précoce, les cuvées Les Galets ne respirent pas pour autant le compromis. En effet, dans les trois couleurs, il s’agit d’expressions ne manquant ni d’allure ni de fond, chacune en donnant plus que ne laisse supposer sa vocation, à l’image du Galets Rosés 2017, un rosé au fruité délicieux, avec du corps et ciselé par de la minéralité. Cependant, le blanc Galets Dorés 2017 est, à mon sens, le plus éloquent de la lignée, par son profil ample et élancé, joliment tactile et fleurant subtilement des agrumes. Quant à Galets Rouges, le 2017 séduit d’emblée par sa nature agréablement et richement fruitée (violette, épices), que l’on savoure avec une sensation de rondeur harmonieuse, à laquelle s’agrègent des tanins légers, seyant à l’ensemble par leur caractère sapide.
Déclinées seulement en blanc et en rouge, les cuvées Terre d’Argence concrétisent toute une expérience sur des vignes bien sélectionnées. Ainsi, le blanc comporte une part importante de petit manseng, un cépage originaire du sud-ouest, introuvable dans la région, et dont le caractère nerveux se ramifie avec bonheur dans un ensemble volontiers onctueux et puissant. Allié à du viognier et de la roussanne, il fonde la réussite de l’équilibre dont témoignent un 2016 et, avec plus d’harmonie, un 2017, captivant en outre par sa sapidité. Bien que judicieuse, la présence du petit manseng exclut néanmoins le vin de l’AOC et le cantonne en IGP Pont du Gard, un moindre inconvénient si l’on se tient à ses qualités intrinsèques. Le rouge Terre d’Argence 2016 suit un schéma très expressif et raffiné. S’ouvrant sur des senteurs suaves (garrigue, olive noire) et subtilement minérales, il affiche une ampleur et une fraîcheur de texture remarquables, avec une puissance bien contenue, laissant de l’espace à l’expression de saveurs pénétrantes. Affirmée par des tanins veloutés, sa structure suggère un temps de garde pour l’apprécier pleinement.
Elaborés dans les trois couleurs et puisant aux meilleures sources du domaine, les vins arborant l’étiquette Capitelles s’affirment avec le temps, même paradoxalement en rosé, dont on peut encore apprécier la fraîcheur et les nuances aromatiques d’un 2016, évoquant tour à tour des épices (curcuma), des fruits à noyau (cerise noire) et le réglisse en finale. S’il s’avère plus riche en matière, le 2017 n’en reste pas moins alerte et énergique, intégrant à merveille acidité et minéralité. L’évolution pertinente du blanc convainc de sa tenue au vieillissement, ainsi qu’en témoigne un 2015 encore plein d’éclat et devenu foncièrement savoureux. Les millésimes suivants présagent d’un tel épanouissement. En cela, c’est une éloquente fraîcheur de fruit et de constitution qui se porte garante du potentiel du 2016, tandis que 2017 mise son avenir sur un supplément de richesse et de profondeur, avec un équilibre à l’avenant.
En rouge, Capitelles 2015 arbore un style superlatif, certes encore sur la réserve, mais prometteur à l’aune de la profondeur de sève perçue dans les arômes ainsi que dans la substance que diffuse l’imposant volume en bouche. Sa relative jeunesse se perçoit dans un boisé encore sensible, mais exprimé sans travestir le fruit, ainsi qu’à travers des tanins émergents, au demeurant soyeux et goûteux.
… et ses digressions
Produit les seules années où le grenache, son composant majeur, donne des baies très mûres et concentrées, Terre de Feu met ainsi en valeur un fruit d’exception issu des plus vieilles vignes de la propriété, tout en préservant son naturel. Le 2015 est éloquent en ce sens, s’exprimant sans entrave sur goût épuré d’épices, vivace au nez et bien relevé en bouche, dans un contexte de rondeur et de souplesse qu’avantagent la délicatesse et le fondu des tanins. Il peut s’apprécier dès à présent.
Une sélection des meilleures vielles vignes trouve une expression superlative dans Equinoxe, une cuvée où le carignan donne toute sa sève au duo grenache-syrah. Par sa haute teneur et sa parfaite alliance boisé/fruit, le rendu aromatique du 2013 est digne de son ambition, tout comme son format, ample et d’un suprême équilibre entre matière et fraîcheur. Affirmée, sa puissance filtre à travers une saveur épicée, dont l’intensité et le raffinement imprègnent durablement les mailles soyeuses de la structure. Il a l’avenir pour lui.
Jouant la parité cinsault-grenache, la Cuve 46 invite à être savourée sans manières et sans attendre. Issu d’une vinification et d’un élevage sans sulfites ajoutés, le 2017 confirme cette identité par un nez affriolant et un caractère gouleyant, cependant, sa générosité et la présence tannique font que sa vocation peut s’élargir à souhait.
Un œnotourisme accompli
Si elle continue à maintenir le domaine au faîte de toute une région, la quête de l’excellence ne s’opère pas huit clos, car Anne et François Collard sont très attachés à faire connaître et partager l’ancrage de la propriété dans son environnement.
Ils invitent ainsi à sa découverte suivant un parcours « connecté », libre et gratuit, grâce à une application pour les mobiles. Au départ, ils sont accueillis dans la partie ancienne des bâtiments, à l’origine l’annexe rurale d’un couvent de l’ordre des Ursulines, avec une remarquable pièce voutée datant du XVIème siècle. A leur côté, l’extension récente du chai concrétise une volonté d’allier une architecture moderne dans la forme et la conception avec une tradition vernaculaire dans le matériau, en l’occurrence la pierre locale, dite du Pont du Gard. La promenade pédestre est donc ponctuée de bornes de connexion permettant de s’instruire sur le paysage qui conditionne les vins au fil des saisons, ou d’expliquer sa relation avec chaque cuvée. Elle culmine à un endroit du plateau où l’on a une vue imprenable sur la Camargue voisine.
Les VTTistes sont les bienvenus, surtout que le relief est propice à l’exercice de leur hobby. Et pour les amateurs de séjours à la campagne, un gîte au sein de la propriété et un autre dans son voisinage proposent une immersion dans son site. Cette facette œnotouristique recouvre également un mécénat d’artistes et un partenariat avec des associations ornithologiques, qui proposent une initiation à leur univers à travers des pique-niques thématiques.
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
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