Côtes de Gascogne, des rosés séducteurs et des rouges ambitieux

Côtes de Gascogne, des rosés séducteurs et des rouges ambitieux

Héritiers du vignoble de l’armagnac, les Côtes de Gascogne ont eu une vocation toute trouvée dans les vins blancs, avec l’immense succès que l’on sait. En effet, les blancs portant cette dénomination représentent aujourd’hui 85 % des volumes produits sur leur territoire et pas moins de 80 millions de bouteilles. Cantonnés depuis toujours dans une consommation locale, les rouges ont été aspirés par cette dynamique exceptionnelle pour exister comme des vins à part entière, même si leur part de production reste modeste (6 %). Même cas de figure pour les rosés, qui reste marginaux en quantité (7 %), malgré la pression de la demande pour une couleur inédite dans la région.

En rouge, c’est une intelligence du terroir qui a guidé les vignerons à adapter leurs styles aux différents types de sols constituant le vignoble. Il s’en suit des vins en rapport, tantôt sur le mode « croquant », tantôt plus complets et avec même de la grandeur quand l’ambition est de la partie. En rosé, c’est une similitude de savoir-faire très aboutis dans l’élaboration des blancs qui concourent à une production de vins attrayants par leur expression aromatique et leur texture charmeuse, douceur à l’appui. En fin de compte, quelle que soit leur couleur et leur genre, ils méritent d’être découverts, surtout que les tarifs sont très sages, y compris ceux des rouges les plus accomplis.

 

Rouges fruités et rouges de terroir

L’aire de production des Côtes de Gascogne comporte globalement trois types de sols, chacun correspondant aux zones initialement définies pour situer la provenance des eaux-de-vie. Celle du Bas-Armagnac est la plus réputée pour son aptitude à faire des blancs très aromatiques, à la fois stimulants et caressants au palais. Constituée de sables fauves(1) ou de boulbènes(2), ses sols légers et pauvres ne favorisent pas l’épanouissement des rouges. Pour autant, les producteurs basés sur ces secteurs, et non des moindres, s’appliquent à faire de leur mieux en privilégiant leur fraîcheur de fruit et leur souplesse. Plus à l’est, sur le territoire de la Ténarèze, la présence de calcaires et d’argiles avantage les qualités de fond, ce dont ne se privent pas les domaines qui s’y trouvent, les motivant à faire des élevages en fûts au profit de produits d’exception. Les calcaires distinguent également la partie nord du Haut-Armagnac restée viticole, autour de Lectoure, là où d’autres domaines font valoir avec brio un secteur doué pour les rouges en se consacrant largement à la couleur.

 

Des rosés « techniques »

Les rosés sont bien moins dépendants du terroir du fait d’une conception où priment des caractères d’expressivité, obtenus à l’aide d’une technologie appropriée, similaire à celle qui donne les blancs. De ce fait, ils sont très généralement réussis, dans un style homogène où les différences sont ténues. En cela, ils ne différent guère de ceux produits dans d’autres régions, obéissant eux-mêmes à un mode d’élaboration relativement uniforme. Seuls quelques rares spécimens se démarquent de ce schéma.

 

Une large palette de cépages

En matière de cépage, la liberté autorisée par le statut d’IGP (ex-Vin de Pays) des Côtes de Gascogne fait que de nombreuses variétés composent les rouges et les rosés, aux côtés de l’ancestral tannat. Ainsi, les plants aquitains (merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc) côtoient les malbec, syrah, des cépages croisés comme le marselan et l’égiodola, et jusqu’au rare manseng noir. Cette diversité dans les composants et dans les assemblages qui en résultent apparaît paradoxalement moins flagrante en dégustation, où les différences se perçoivent plutôt sur des critères organoleptiques, une preuve que la notion de terroir n’est pas ici un vain mot. Cela dit, dans cet air du pays, il faut quand même invoquer une technicité uniformisante, essentiellement en rosé, car les rouges faciles, exaltant le fruit et gouleyants, doivent plutôt être perçus comme la juste interprétation d’un terroir moins propice à la couleur.

 

 

La passion du rouge

Secondaires dans l’ensemble du vignoble gascon, les rouges et les rosés ne font pourtant pas figurent de sous-produits. J’en ai fait le constat après avoir dégusté un nombre exhaustif de vins dans ces catégories. L’ensemble de l’échantillonnage s’est ainsi révélé plus que satisfaisant, montrant par-là l’implication et l’ingéniosité des domaines dans des couleurs où l’on ne les attend pas. Cette dégustation a par ailleurs confirmé le fait que les zones argilo-calcaires localisées à l’est de l’appellation donnent les rouges les plus complets. A une exception près, tous les domaines que je présente ici sont de brillants interprètes de ces terroirs.

Sélection par ordre alphabétique.

 

Domaine Chiroulet

Pionnière dans la mise en valeur du potentiel des rouges gersois, cette propriété familiale doit sa primauté à l’implication de Philippe Fezas, dont le travail méticuleux et avisé dans les vignes et en cave engendre des vins d’une profondeur de sève unique. Dotés d’un équilibre à leur mesure et dénotant une grande maîtrise de l’élevage, ils détonnent dans le contexte régional, cependant que le métier du vigneron s’accomplit dans la cuvée Grande Réserve, dont on admire le raffinement et la noblesse de texture (2015, 14,10 €).

Mon vin préféré :

Terroir Gascon, rouge 2016 (8,30 €)

Tout est digne d’éloges dans l’expression de ce vin, que ce soit sa forme, son équilibre, sa substance ou sa structure. Qui plus est, un boisé harmonieux et bien ajusté au fruit ajoute à son agrément.

 

Domaine d’Embidoure

Les sœurs Nathalie et Sandrine Ménégazzo ont dignement succédé à leur père qui a fait de ce domaine l’une des références en rouge de l’appellation. Sous leur houlette, les vins ont gagné en définition et en finition, faisant davantage apprécier la gourmandise prodiguée par des raisins récoltés sur un secteur qui avantage leur maturité.

Mon vin préféré :

Cuvée des Filles, rouge 2016 (8,70 €)

Un bouquet floral forme un engageant préambule aux saveurs pures et pleinement fruitées qui emplissent une matière souple aux contours agréablement fondus.

 

Domaine Entras

La famille Maestrojuan exploite un terroir de la Ténarèze, qu’elle met à profit pour des rouges attachants par leur délicatesse et fraîcheur de texture. Dans un genre accessible et léger, Bordeneuve possède déjà ces qualités, avec un 2015 pourvu en outre d’un joli fruit (5,20 €).

Mon vin préféré :

Colina Oeste rouge 2014 (10 €)

Il rend la sève généreuse d’une parcelle de vieilles vignes bien exposées,dans un style qui n’exclue pas la finesse et foncièrement savoureux.

 

Domaine Guillaman

Bien que vouée à une production de blancs, cette grande propriété fait pas mal de rosé (15 %) et peaufine une petite production de rouges (5 %). Le Rosé de Pressée et le rouge générique sont de belle facture pour leur catégorie et constituent de véritables affaires (4,20 €).

Mon vin préféré :

Les Hauts de Guillaman, rouge 2015 (10,50 €)

Il rend la plénitude que lui confèrent un profil parfaitement équilibré, un goût riche et charmeur, et le velouté d’une texture sertie de tanins doux.

 

Domaine Horgelus

Sur un domaine fortement axé sur le blanc, Johann Le Menn élabore avec soin deux cuvées de rouges sur des sols bien appropriés à leur expression. Franc, souple et frais, son Merlot-Tannat 2017 fait un joli type à savourer dans sa jeunesse (5 €).

Mon vin préféré :

Phi-Ling, rouge 2016 (9,50 €)

Ce vin éclatant de qualités et remarquable en tous points est un témoin éloquent du savoir-faire et de l’ambition discrète du vigneron.

 

Domaine de Mirail

Charles-Antoine Hochman conduit ce domaine en bio, valorisant ainsi le fruit de sols très calcaires d’un secteur du Haut-Armagnac, proche de Lectoure et traditionnellement voué aux blancs. Au prix d’une grande exigence culturale, il dévoile un potentiel intéressant en rouge.

Mon vin préféré :

Les Mirlandes Nature, rouge 2016 (9,90 €)

A sa vigueur aromatique répond un élan gustatif tout aussi stimulant, mis en valeur dans une matière fine et suave, parsemée de petits tanins.

 

 Domaine de Pellehaut

Les frères Martin et Mathieu Béraud conduisent en tandem l’une des plus vastes propriétés des Côtes de Gascogne avec le grand mérite de personnaliser sa production par des cuvées aussi nombreuses qu’originales. En rouge, ils proposent des vins plein de vitalité, chacun exemplaire dans son genre. Du plus léger au plus corsé la créativité est toujours au rendez-vous, et les hauts de gamme (Réserve 2014 et 2015) sont dignes de ce qualificatif.

Mon vin préféré :

Réserve, rouge 2015 (13,50 €)

Un florilège de qualités distingue cette cuvée d’une grande fraîcheur aromatique, à la texture ample, puissante, fruitée à cœur, et que parachèvent des tanins très soyeux et sapides.

 

… et celle du rosé

Domaine Villa Dria

Seul représentant du Bas-Armagnac de cette sélection, ce domaine a été créé par Jean-Pierre Drieux suivant les principes de la géobiologie. Etendue à son exploitation, cette approche semble porter ses fruits, procurant au rouge Clef du Sol toute l’expressivité possible gagné sur un terroir voué aux blancs (2017, 6,50 €). C’est toutefois son rosé qui a eu mon entière adhésion, car il se démarque par une distinction rare, évoquant la fine fleur de la Provence.

Mon vin préféré :

Fleur des fées, rosé 2017 (5,50 €)

Il mérite une mention toute particulière qu’inspirent un parfum délicat et un corps dont l’équilibre et l’élégance forment un écrin de choix pour un goût raffiné, finement tonique et sapide.

 


(1) Les sables fauves sont des formations sableuses qualifiées ainsi à cause de leur couleur tirant sur l’ocre, due à la présence d’oxydes de fer.

(2) Les boulbènes désignent des terres légères à dominante sableuse et pauvres en matière organique. Elles reposent sur une base argileuse.

 

Crédit photo : Syndicat des Vins Côtes de Gascogne

 

L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».

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