Crus Classés de Provence, portraits d’un cercle d’excellence
Terre pionnière de la vigne en France, la Provence est aujourd’hui synonyme d’un art de vivre auquel invitent la douceur de son climat, son panorama sur la Méditerranée, ses doux reliefs qu’ornent des paysages rythmés de pins et de garrigue, où la vigne fait miroiter son ordonnancement. Ainsi, depuis plus de vingt siècles, cette plante féconde ici un breuvage bénéfique qui a pourtant été si peu consigné dans les annales de sa très longue histoire. Sans doute était-il apprécié à sa juste valeur et sa juste place, sans cérémonie, une vocation qui aujourd’hui s’est quelque peu éclipsée au profit d’un statut plus enviable, mais toujours synonyme de partage. Du coup, faute d’être porté haut par une tradition nobiliaire ou monacale, le vin provençal a-t-il été affublé du titre de « vin du midi » à l’heure d’un XIXème siècle précurseur des clivages nationaux d’aujourd’hui. Et si la Provence a connu un afflux touristique sans précédent dès les années 1960, cette manne a surtout profité à une production en volume au détriment de sa part qualitative et personnalisée. C’est dans ce contexte, prémices de l’ère du tout rosé, que des domaines varois conscients du risque de nivellement de son produit ont vu reconnaître la charte de qualité pour laquelle certains d’entre eux avaient œuvré dès les années 1930. Et c’est le 20 juillet 1955 qu’un décret officiel homologue seulement 23 domaines au titre de « Cru Classé des Côtes de Provence ».
Les immanquables vicissitudes de l’histoire faisant, 18 propriétés perpétuent aujourd’hui ce label, plutôt brillamment si l’on se réfère à leur réputation acquise ou en devenir. Cependant, l’esprit d’élite qui avait aiguillonné les générations en charge de leur exploitation en 1955 a cédé à une attitude plus pragmatique, surtout en phase avec les exigences viti-vinicoles qui prévalent de nos jours. Cela dit, malgré les mutations de leur propriété, le caractère vigneron de leur gestion et de la conception des vins perdure dans la plupart d’entre elles, avec un sens indéniable d’innovation mêlée d’ambition, remarquable dans une Provence hélas encore trop perçue à travers la monochromie du rosé et l’uniformité lénifiante que cette couleur inspire.
Dans les lignes qui suivent, j’ai brossé le portrait d’acteurs parmi les plus engagés pour honorer le label qui les réunit, chacun riche de son histoire, de ses particularismes et d’un style de vins loin du consensus réel mais aussi supposé dans les Côtes de Provence.
Genèse et consécration (*)
L’histoire des Crus Classés a pris racine en 1895, lorsque des « propriétaires-vignerons du Var » s’engagent à défendre et à promouvoir une viticulture de qualité. Cette prise de conscience s’inscrit dans la logique globale de normalisation de la viticulture suite aux crises majeures qu’elle a connues au XIXème siècle, et dont celle du phylloxéra n’est pas la moindre. Elle se concrétise progressivement et s’affirme dans les années 1930 dans un vignoble en pleine gestation, où l’appellation Côtes de Provence naissante ne fait pas encore l’unanimité parmi ses ayants-droits. L’Association syndicale des propriétaires vignerons du Var est ainsi créée en 1933, soit deux ans avant la création du CNAO, organisme qui deviendra ensuite l’INAO. Dix ans plus tard, elle pose le premier jalon d’un statut placé sous le vocable de « Cru Classé » et rassemble des domaines qui se sont pliés à des règles garantissant une qualité de production, peu ou prou équivalentes à celles des Côtes de Provence. Cependant, outre ces critères d’élaboration, les Crus Classés sont soumis à une contrainte de commercialisation à la propriété et surtout à l’exigence d’une attestation de notoriété acquise en 1935 ou antérieurement. C’est ainsi qu’à ce stade seules 29 propriétés sont promues à ce grade. Cette période précédant le texte définitif de 1955 est toutefois marquée par des atermoiements qui verront un temps le retrait puis la réintégration de propriétés déjà renommées appartenant respectivement aux familles Ott et Fabre. En cela, il faut voir des conflits d’intérêts avec l’administration du syndicat, et notamment la volonté de cette dernière d’imposer une limitation de la production s’agissant des Crus Classés, mesure qui visait la famille Fabre et son Domaine de l’Aumérade. Cet épisode s’inscrit dans la volonté du syndicat de faire garantir une qualité par le label qu’elle promeut, qualité jugée en l’occurrence incompatible avec des volumes élevées.
C’est dans l’effervescence de l’après-guerre que l’INAO entérine l’appartenance de 23 propriétés aux Crus Classés de Provence. Cette distinction enviable l’est d’autant plus que ses titulaires en sont définitivement porteurs, à l’instar des Crus Classés du Médoc. Toujours par référence à ce prestigieux classement, aucun nouveau membre ne saurait y être admis après sa promulgation. Cet aspect figé apparaît cependant moins critiquable en Provence du fait qu’il a été établi à partir de plusieurs critères, même si le facteur relationnel a certainement primé, tandis que la classification bordelaise attribuait un rang en se contentant de la seule sanction du marché. Il est vrai que nous étions en 1855, où l’on jaugeait la qualité avec des moyens considérés alors comme équitables.
Châteaux et domaines classés
Présentation par ordre alphabétique
Château de Brégançon
C’est sur le littoral à Bormes-les-Mimosas que s’étendent les terres et les vignes du Château de Brégançon, jouxtant la presqu’île du Fort de Brégançon, résidence officielle de la Présidence de la République. L’endroit était le fief d’un marquisat érigé par François Ier en 1531. Si la position stratégique du fort lui a valu une histoire aussi riche que mouvementée, celle de la propriété éponyme lui est liée jusqu’à la Révolution, les deux entités étant depuis scindées, le domaine ayant été acquis par la famille Sabran en 1816. Il était alors exploité en polyculture, comme il était d’usage, mais comportait d’importantes surfaces en vignes. Lui ayant succédé par alliance, la famille Tézenas accomplira cette lointaine vocation, quand son legs sera promu Cru Classé.
En 1955, l’homme de la situation est Georges Tézenas, grand-père d’Olivier, son actuel vigneron, qui lui le sera tout autant à son heure, lorsqu’il s’engage au profit de l’appellation qui couronne depuis 2008 les vins les plus représentatifs de ce terroir du littoral, l’AOC Côtes de Provence La Londe. Suivant la volonté de son vigneron, cette mention ne figure pas sur les étiquettes, même si elle concerne près de la moitié des sols plantés en vignes et que des cuvées pourraient quasiment la revendiquer. Quoi qu’il en soit, les caractères de ce terroir rejaillissent avantageusement sur l’ensemble des vins en faveur de leur expressivité et d’un insigne équilibre.
A l’endroit du domaine, la mer est on ne peut plus proche et fait que ses incidences sur le climat local répondent au mieux à la typologie définissant le cru. Ainsi, la faible pluviométrie qui le caractérise est-elle compensée par d’incessantes entrées maritimes. Cette situation privilégiée est d’autant plus profitable aux raisins que ceux-ci sont le fruit d’une exploitation en agriculture biologique, désormais certifiée sur le millésime 2020. Quant aux vins eux-mêmes, leur achèvement le doit à un ensemble de savoir-faire qu’Olivier Tézenas entretient fidèlement avec son maître de chai, présent de longue date sur la propriété. En cela, il rappelle utilement que la notion de terroir ne peut s’abstraire des hommes qui entretiennent sa mémoire.
Son vin ambassadeur : Isaure 2019
Sa distinction se perçoit dans le caractère profond et focalisé des arômes, ainsi que dans le toucher d’une texture très fraîche, ondulant avec grâce au gré d’un profil particulièrement ample. Pétri de franches saveurs d’agrumes, d’où ressort celle de l’orange amère, son expression se laisse délecter au cœur de tendres concrétions minérales au goût salé.
Château du Galoupet
Son acquisition en 2019 par Moët Hennessy, la Division Vins & Spiritueux de LVMH, va placer cette « belle endormie » sur une trajectoire inédite et assurément dans la philosophie de son propriétaire. Il faut dire que les atouts de ce domaine situé sur la commune de La Londe-les-Maures ne manquent pas, à commencer par une tradition viticole dont les racines plongent jusqu’au Moyen-Age et une période contemporaine marquée par une gestion suivie sur plusieurs décennies. Par ailleurs, le site du vignoble est pour le moins exceptionnel, inscrit dans la haute hiérarchie des terroirs provençaux, celui des Côtes de Provence La Londe. A n’en pas douter, le projet de sa remise en valeur tiendra compte de cet environnement, par respect des enjeux sociétaux et, de toute évidence, pour préserver un écosystème bénéfique à son fruit. L’exigence qui préside cette destinée a poussé son nouveau propriétaire à faire l’impasse sur le millésime en cours. C’est dire combien sa reprise augure d’une grande ambition qui accréditera d’autant le label « Cru Classé de Provence. »
Dans les mois à venir, Ecce Vino aura l’avantage de rapporter les termes de ce projet dès lors qu’ils seront officiellement publiés.
Domaine du Jas d’Esclans
Le domaine est situé sur la commune de La Motte, à proximité de la ville Draguignan, son vignoble dominant la Vallée des Esclans. Son ancienneté est attestée par sa figuration sur la carte de Cassini, référence topographique sous l’Ancien Régime, vers le milieu du XVIIIème siècle. Là, il apparaît déjà sous son nom actuel, « jas » désignant bergerie en provençal, affectation principale du domaine à l’époque, car on y cultivait le ver à soie et la vigne très certainement. Sa vocation viticole s’affirmera ensuite au fil de l’histoire pour devenir son unique production.
Il appartenait au Docteur René Lapouge lorsqu’il fut promu au titre de Cru Classé. Par succession, il échoit à la famille Lorgues, pionnière en agriculture biologique en Provence, qui l’exploite ainsi dès le début des années 1990. Et c’est toujours sous cette discipline qu’il est conduit par Gwenaëlle et Matthieu de Wulf, qui l’acquièrent en 2001. Fait remarquable, la continuité de ce mode de culture ne s’est pas affranchie de l’équipe qui était en place, largement aguerrie à son exigence. Dans la ligne de cette philosophie de la terre, la cave est rénovée en respectant les critères de l’écoconstruction avec le bois pour matériau fondateur.
Effective en 2005, la hiérarchisation des terroirs des Côtes de Provence reconnaît objectivement la valeur de son site, lui donnant droit de revendiquer la dénomination Côtes de Provence Fréjus. Cependant, ses vignerons renoncent à cette distinction comme tant d’autres d’ailleurs, en raison d’un décret jugé trop contraignant sur le plan de l’encépagement, le tibouren étant ici inapproprié pour faire un rosé digne d’un cru. Cela dit, la démarche entreprise pour la reconnaissance du terroir de Fréjus a eu le mérite de souligner une conjonction favorable de facteurs climatiques et pédologiques sur la zone qui recouvre les vignes du Jas d’Esclans. De surcroît, une partie de ses sols tire avantage d’une situation intermédiaire entre Provence calcaire et Provence cristalline, accentuant de la sorte la personnalité de son propre terroir.
Son vin ambassadeur : Cuvée du Loup 2018
Son approche aromatique surprend par une patine boisée, une senteur d’orange confite et comme de l’encens de lavande. Sa personnalité s’étend en bouche par une rare dynamique d’expression qui procure fraîcheur et modulations à une matière tactile, pleine de verve et riche de saveurs rémanentes, gagnant de leur tonicité le cœur de sa ponctuation minérale.
Domaine du Noyer
Situé non loin de Bormes-les-Mimosas, ce domaine est singulier par son emplacement au cœur du massif des Maures, enclavé dans la forêt du Dom, sur la route intérieure menant à Saint-Tropez. Son histoire est tout aussi unique, puisque l’actrice Mistinguett, célèbre dans les années 1920, l’a fréquenté lorsque Jean Marcel était son propriétaire et son premier vigneron connu. La qualité de ses vins était déjà remarquée en 1935, année probatoire pour les postulants au titre de Cru Classé, qu’il obtint le temps venu. Resté dans sa famille jusqu’en 1969, il est alors repris par un viticulteur sur Cogolin-Grimaud, Raoul Guérin, auquel succède son fils Daniel. Les enfants de ce dernier, Frédéric et Olivier, sont aujourd’hui ses vignerons, agissant en tandem, chacun fort de ses compétences.
Implantée sur un sol argileux, la partie du vignoble plus en coteau est vouée au rouge et au rosé, tandis que les parties basses, au terrain léger, de nature sableuse, porte les vignes qui donnent le blanc. Si sa culture n’est pas biologique de stricte observance, elle en respecte de près les critères, et va même au-delà sur certains aspects. Consciencieuse s’il en est, cette approche globale fait profiter son fruit de l’environnement forestier remarquable qui encadre totalement le domaine. Avantageuse mais non dénuée de risques pour la vigne, la climatologie locale en appelle à un savoir-faire que les vignerons maîtrisent pleinement. Côté cave, de grands contenants traditionnels en bois, appelés foudres, accentuent la singularité du domaine, surtout que les vins y sont intégralement élaborés, faisant ainsi gagner au rosé un style à part entière, fait d’une étoffe fine et élégante. L’autre aspect marquant de la production est la confection d’un rouge joliment stylé, conçu comme un absolu dans la couleur, sans notion de statut, au sein d’une Provence où les repères en la matière manquent.
Son vin ambassadeur : Clos Mistinguett 2019
Le nez séduit par les touches minérales qui s’impriment sur un registre floral teinté de notes d’agrumes. Cette approche séduisante est relayée par l’aspect charmeur d’une bouche ronde, à la texture ample et tactile, riche de saveurs toniques, volontiers succulentes, qui s’échappent à travers une minéralité au toucher tendre.
Domaine de Rimauresq
Situé au cœur du Var, à côté du village de Pignans, le domaine viticole est fondé en 1882 par Augustin Isnard. A l’époque, la crise du phylloxéra vient de passer, on replante et on en profite pour expérimenter des cépages venus d’ailleurs, comme ici le cabernet sauvignon et la syrah, un choix visionnaire quand on connaît leur succès ultérieur en Provence. La propriété restera dans la famille Isnard pendant plus d’un siècle, inspirant estime et reconnaissance, et remplissant les conditions pour intégrer le « club » des Crus Classés. En 1988, elle change de mains pour passer entre celles d’une famille écossaise, les Wemyss, dont les multiples activités recouvrent celle du whisky. Fait peu commun, ses nouveaux propriétaires en confient l’entière responsabilité à des hommes du cru, et c’est Pierre Duffort qui assume cette fonction depuis plus de 20 ans. Ainsi détaché, le Domaine de Rimauresq est géré dans un esprit vigneron, avec de la continuité dans sa conduite, assurée de surcroît par un homme de l’art, son régisseur étant ingénieur agro et issu lui-même d’une lignée vigneronne.
Le rôle et les choix techniques de Pierre Duffort ont été prépondérants dans l’accomplissement des vins du domaine, en commençant par les fondements du vignoble, dont un assainissement des sols a permis une meilleure affirmation du terroir. A cet effet, plusieurs mesures ont été adoptées, comme la proscription des traitements chimiques ou encore la pratique de l’enherbement, afin d’éviter de recourir à l’irrigation, le problème de la sécheresse étant de plus en plus crucial ici comme ailleurs. Rompues aux préconisations de la culture biologique, l’approche de Pierre Duffort n’est pourtant pas une fin en soi, puisque notre vigneron confie son intérêt pour un principe plus élevé, celui de la biodynamie.
Dominés par des grès, les sols formant son vignoble traduisent leur qualité par des rendements naturellement faibles, corollaires de finesse. Dans sa spécificité, dont fait partie une typologie climatique, le terroir s’assimile à celui des communes environnantes de Pignans pour constituer l’appellation Notre-Dame des Anges, tout nouvellement agréée au sein des Côtes de Provence.
Sur le plan de la production, le rosé n’est pas ici la couleur privilégiée, et c’est en ce sens que le domaine se distingue de la grande majorité de ses pairs en apportant un soin particulier à ses rouges, produits quasiment à parité. Cette répartition atypique des couleurs démarque la propriété dans une Provence où le rosé est littéralement souverain, au point de donner l’image d’un univers monochrome. Le mérite du Domaine de Rimauresq est d’avoir montré le potentiel de son terroir pour des rouges dont la brillante interprétation émerge dans une région où cette couleur frôle la marginalité.
Son vin ambassadeur : R de Rimauresq 2014
On est d’emblée conquis par un bouquet épanoui d’arômes peaufinés par un boisé frais et élégant, bien ajusté au rendu de fruits noirs influencés d’épices douces. Tout en distinction, l’équilibre en bouche naît d’une ampleur appréciable et d’une matière bien fondue, au goût riche et profond en concordance avec les arômes. Exprimés en finesse, les tanins laissent savourer leur soyeux tout en étant garants de son caractère de garde.
Château Roubine
Etendu sur l’aire communale de Lorgues et traversé par une ancienne route romaine, la Voie Julienne, le domaine de Castel Roubine fut admis sous ce nom dans le cercle des Crus Classés. Foyer d’ordres religieux aux XIIIème et XIVème siècle, il passe dans l’univers séculier de l’aristocratie provençale et le restera jusqu’à la révolution. Depuis, une suite de mutations caractérisera sa propriété jusqu’à sa dernière acquisition en 1994 par Philippe Riboud et Valérie Rousselle, laquelle l’exploite aujourd’hui en solo.
Formée et aguerrie aux métiers de l’hôtellerie, Valérie devient pleinement vigneronne en perfectionnant son savoir à l’Université du Vin de Suze-la-Rousse. L’importance des tâches sur un vignoble conséquent et la transformation de son fruit en appelle à des qualités d’ordonnatrice qu’elle assume avec brio en rassemblant une équipe compétente aux tâches bien déterminées. Considérés distinctement, les travaux de culture et du chai sont ainsi assurés par des techniciens ayant forgé leur métier au sein même du domaine, Jean-Louis Francone et Pierre Gérin occupant respectivement ces fonctions, un tandem que Romain Espigue a rejoint récemment, en qualité de responsable de la production. Les enfants de Valérie, Adrien et Victoria, sont également associés aux activités d’un domaine où règne un esprit de famille.
Sur la foi d’un rouge 1943 encore fascinant de vitalité, passé et présent se conjuguent pour témoigner d’un grand terroir, convaincant à deux époques pourtant si éloignées par leur conception des vins. Ainsi, en plus d’une typologie avantageuse de ses sols, le terroir de Château Roubine doit ses dons à sa configuration géographique à la fois locale, celle d’un cirque forestier encadrant le vignoble, et régionale, celle d’un mi-chemin entre les gorges du Verdon, où pointe l’influence des Alpes du Sud, et une Méditerranée relativement proche. Riche de ces contrastes, le creuset climatique que constitue son vignoble est pour beaucoup dans le caractère hautement expressif des vins.
Son vin ambassadeur : Inspire rosé 2019
Au nez, on est accueilli par un raffinement de senteurs fleuries et un air de grenade. L’ampleur en bouche est proverbiale et sublime la sensation d’une texture littéralement aérienne, où l’on apprécie un goût pulpeux dont les sécrétions s’infiltrent dans une trame minérale et ponctuent l’ensemble de leur délice.
Château de Saint-Martin
Si le site du domaine peut se prévaloir d’un habitat immémorial remontant à la préhistoire, il témoigne sans conteste de la présence d’une villa gallo-romaine dont attestent les vestiges d’importantes pratiques vinicoles. Après une éclipse pendant le Haut Moyen-Age, l’endroit devient une institution monacale placée sous le vocable de Saint-Martin. Devenu prieuré au Xème siècle, il le restera jusqu’au XVIIIème siècle, affirmant une orientation viticole dont témoigne une cave remarquable, toujours utilisée, voûtée en arcs surbaissés et comportant des cuves creusées à même la roche. En 1740, son acquisition par le marquis Joseph de Villeneuve-Bargemon le fait entrer dans le patrimoine d’une même lignée familiale jusqu’à nos jours, un fait rare pour être souligné. Parmi ses membres les plus illustres figure Edme de Rohan-Chabot, l’un des fondateurs de l’organisme à l’origine de l’AOC Côtes de Provence et qui mit toute son énergie dans la reconnaissance des Crus Classés. Sous son « règne » la propriété est au faîte de sa région et contribue à son rayonnement par sa présence dans hauts-lieux gastronomiques de son époque. C’est aujourd’hui sa petite-fille, Adeline de Barry, qui relaie cet esprit en le mettant au diapason des attentes actuelles, œuvrant ainsi à une nouvelle embellie de son héritage.
Le statut du Château de Saint-Martin ne se limite pas à une stricte exploitation viticole et constitue une étape de choix dans l’œnotourisme. Sous l’apparence suggestive d’un site arcadien, il s’inscrit comme un lieu vivant de la culture provençale. Ainsi, son cadre se prête aisément aux nombreuses activités d’accueil, tandis qu’il s’attache à produire des spécialités régionales dont le « vin cuit provençal » en est un symbolise éloquent.
La singularité de son vignoble vient d’une situation géologique intermédiaire entre la Provence calcaire et la Provence cristalline, une dualité permettant de déterminer le style des vins et d’ajuster au mieux leur vocation. La gamme en Cru Classé reflète d’ailleurs ce large potentiel que double une hiérarchie dans l’âge des vignes savamment entretenue. Cette discipline n’exclue pas le sens de la créativité qui s’incarne dans une série de cuvées sortant allègrement des conventions, y compris par leur intitulé. Ainsi, malgré un passé d’une grande richesse, la nostalgie n’est pas de mise à Saint-Martin, une cave récente conçue sur un fonctionnement gravitaire et permettant des vinifications parcellaires caractérise désormais le foyer de sa production.
Son vin ambassadeur : Eternelle Favorite 2019
Tout d’un fruit pur, le nez exhale des notes fraîches et vibrantes d’agrumes. Une fraîcheur saisissante produit l’ampleur en bouche, en lisse les contours et exalte des saveurs dans le ton des arômes, tandis qu’une minéralité d’un à-plat élégant favorise sa nature désaltérante, atypique dans les rosés de cette classe.
Château Sainte-Marguerite
Tout proche de la localité de La Londe-les-Maures, c’est sous le nom de La Source Sainte-Marguerite que ce domaine est élevé au rang de Cru Classé. Son propriétaire d’alors, le concertiste André Chevillon, l’avait fondé en 1929 et l’occupa jusqu’à sa disparition, laissant sa propriété à son épouse, Yvonne Bonnaud, qui le lègue à la Fondation de France en 1975. Cette dernière le cède à Brigitte et Jean-Pierre Fayard en 1977, qui le rebaptisent Château Sainte-Marguerite et y œuvrent en parfaits autodidactes en remaniant profondément le vignoble dès leur installation. Portés par une reconnaissance immédiate, qui plus est en rouge, ils ne cesseront de l’étendre tout en faisant progresser la qualité et le style des vins, aidés en cela par un fort esprit familial qui voit s’impliquer à mesure leurs enfants et conjoints. L’accumulation des compétences aidant, Château Sainte-Marguerite devient un acteur majeur des Côtes de Provence tout en préservant une personnalité vigneronne qui fait défaut à d’autres grands noms très en vue sur l’appellation.
Bien qu’elle le doive au plein investissement de ses vignerons, sa réussite a été servie par un terroir de choix, celui de La Londe, déterminé par la proximité de la mer et des sols partageant une composition schisteuse. Sous l’impulsion d’un noyau d’acteurs particulièrement dynamiques, la dénomination La Londe a été officiellement entériné en 2008. Cette distinction acquiert tout son sens lorsque la pratique viticole respecte sol et environnement, ce qui le cas pour Château Sainte-Marguerite où l’agriculture biologique était déjà de mise.
Malgré une reconnaissance notoire, le domaine ne se contente pas de ses acquis et poursuit un chemin ambitieux où l’inventivité est de mise. Il se concrétise par des cuvées superlatives qu’inspire leur intitulé et un contenu à sa hauteur, avec de surcroît une conception hors pair en rouge.
Son vin ambassadeur : Fantastique rouge 2018
Respirant l’opulence, le nez foisonne d’un fruit que le boisé embellit sans en entamer l’intégrité, laissant ainsi s’exprimer un registre floral sur la violette, des senteurs d’olive noire et de réglisse. En bouche, c’est le règne de la plénitude, traduite par une adéquation parfaite entre la forme et la substance, tandis que l’élevage respecte et exalte l’expression de saveurs puissantes et pénétrantes jusqu’à atteindre le cœur de tanins satinés, harmonisés à l’allure de l’ensemble.
>> site internet
(*) Concernant les éléments historiques, je me suis référé à la Thèse de doctorat titrée « Les mutations du vignoble provençal au XXème siècle » et soutenue en 2018 par Frédéric Moutier à l’Université d’Aix-Marseille.
Crédit image : Aline Colombe (illustration principale)
Crédit photo : Var Matin (Domaine du Jas d’Esclans) – José Nicolas (Domaine du Noyer) – Francis Vauban (Château Roubine) – Camille Moirenc (Château de Saint-Martin).
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
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