Escapades en Ventoux (2) … Pionniers
Avec Jean-Jacques Chevalier, mon fidèle compagnon de route et de dégustation, nous avons continué à arpenter les vignes gravitant autour du Mont Ventoux *. Cette fois-ci, nous avons fait étape dans deux domaines qui ont eu le mérite de révéler le grand potentiel d’un vignoble dont la pleine mise en valeur aura attendu leur avènement. A l’instar de bien de leurs émules, ils se sont libérés du cadre coopératif pour gagner leur indépendance en se démarquant d’emblée par une production de haute volée. Ces pionniers de la qualité ont depuis enrichi leur savoir-faire au profit de vins encore mieux enracinés dans les terres qu’ils ont su exploiter vaillamment dès leur début comme acteurs à part entière. Cette application à affiner la connaissance de leurs terroirs a ainsi engendré des cuvées d’exception, à la fois fidèles au creuset de leur naissance et d’une ambition bien comprise où le ravissement suscité par leur haute expression a détrôné le simple spectacle de l’ostentation. Découvrons-les dans ce qui suit à travers des vins attrayants et d’autres mémorables…
* Voir l’article sur notre première « Escapade en Ventoux » ➤ ici
Les pionniers à l’honneur
♥ Domaine de Fondrèche
♥ Château Pesquié > cliquer ici pour accéder directement à sa présentation
Domaine de Fondrèche
Situé à Mazan, ce domaine incarne le double mérite de son vigneron, Sébastien Vincenti, celui d’avoir embrassé ce métier sans prédisposition particulière et d’en avoir fait l’un des phares de l’AOC Ventoux en partant d’un vignoble aux dons insoupçonnés. A ceux-là, on pourrait ajouter celui de l’avoir porté au faîte de l’appellation sans délai grâce à une reconnaissance venue de l’étranger, à une époque où les vins nés à l’ombre du Mont Ventoux ne bénéficiaient pas d’une grande estime en France. Dans son parcours, il est important souligner le rôle de mentore de sa mère, Nanou Barthélémy, passée de la biologie médicale à la viticulture par la force des choses, et qui a tracé le tout premier sillon du domaine en 1993. Encore étudiant, Sébastien la rejoint rapidement pour voir scellée sa vocation en 1995, année où il s’implique totalement dans la conduite du domaine. Un autre facteur majeur de son apprentissage ont été ses années de stage dans une propriété de renom de Châteauneuf-du-Pape, en l’occurrence le Domaine Les Cailloux. Il en parle d’ailleurs avec respect, nous confiant que son vigneron d’alors, André Brunel, « l’avait à la bonne » et le considérait un peu comme un fils. Fort de telles années probatoires, notre vigneron a continué à œuvrer dans l’excellence en enrichissant sa production de vins dont l’ambition le doit à leur haute expressivité et moins à leur caractère ostentatoire. Pour le dire simplement, rien de « m’as-tu-vu » ne distingue ses cuvées haut-de-gamme, parmi lesquelles « Persia » est devenu une icône des rouges du Ventoux.
Son vignoble
Le vignoble de Fondrèche ne doit pas être perçu à l’aune de sa seule superficie, certes relativement importante (43 ha), mais plutôt en considérant sa structuration intelligente, où chaque type de terroir détermine une catégorie de vins. Ainsi, parmi les trois principales unités qui le composent, celle formant le cœur du domaine est un plateau dont les sols et l’exposition profitent à l’épanouissement des rouges. En effet, sa situation en éminence lui procure un ensoleillement optimal pour la maturation des raisins et favorise également leur ventilation au bénéfice d’un bon état sanitaire. De nature calcaire, les sols de ce périmètre contribuent en outre à une croissance harmonieuse de la vigne. Foncièrement caillouteux en surface, ils régulent à bon escient l’action des éléments naturels, laquelle se poursuit en profondeur grâce à une texture mêlant argiles et sables. Reconnu pour favoriser la fraîcheur dans les vins, le pôle du vignoble le plus riche en calcaire est lui logiquement consacré aux blancs. Quant aux rosés, ils tirent leur substance et leur expressivité de la mixité inhérente aux sols limoneux composant un troisième secteur de son vignoble. Au-delà de la justesse de ces adéquations, dont les vins sont de tangibles témoins, l’exploitation en mode bio en renforce leur bien-fondé.
Des blancs éclatants
Part importante de sa production, les blancs répondent en cela aux aptitudes des terroirs du Ventoux pour la couleur. Le vigneron ne manque pas de le rappeler en insistant cependant sur la nécessité de les planter sur des sols calcaires, seuls aptes à donner toute leur mesure, autrement dit leur fraîcheur. Sa cuvée « Domaine de Fondrèche » est éloquente à ce titre, tel qu’elle s’exprime en 2023 sous forme d’un vin pêchu et toujours jeune. D’une approche séduisante sur un registre floral, d’un équilibrée qui se passe de commentaire et d’un goût plaisant, il a été conçu pour être à la portée de tous les palais. Recherché par le vigneron, son style accessible peut plaire aussi bien à tout un chacun qu’à des sommeliers exigeants, lesquels décèleront en outre son caractère minéral et ne seront pas insensibles à ses qualités de fond. Il est le fruit d’une composition équitable de 4 cépages – clairette, grenache blanc, rolle et roussanne – vinifiés sans ajout de sulfites. A son sujet, notre vigneron vante l’apport du rolle pour son punch aromatique, en disant qu’il avoue le préférer au viognier, pourtant à la mode un peu partout dans les vignobles du sud de la France. Adopté en 2011 dans l’AOC sous son impulsion, le rolle a convaincu au point de faire partie aujourd’hui des cépages principaux de la couleur.
D’un abord aromatique moins exubérant, « Persia » blanc du même millésime laisse deviner un mode d’élaboration plus ambitieux, cependant, cette impression est largement démentie lorsqu’on le met en bouche. On est alors littéralement conquis par la fraîcheur superlative qui la profile et incarne ainsi l’affinité de son auteur pour des expressions qui « rebondissent », comme il se plaît à les qualifier. Selon lui, même un vin de ce statut doit préserver le naturel à la source de son identité. Sa main le façonne sans d’ailleurs perdre de vue ses précieuses racines en utilisant que modérément la technique du fût, pour à peine un quart de son volume. Sa substance est en effet le fruit d’une unique parcelle plantée de roussannes dans la fleur de l’âge, soit quelques 40 ans. C’est au prix d’une si longue patience qu’elles délivrent la profondeur de goût que l’on soupçonne dès les arômes.
Des rouges sublimant le fruit
La cuvée « N » – N pour nature – introduit et donne en quelque sorte le ton à une gamme de rouges où l’acuité et la fraîcheur du fruit forment un facteur majeur de leur constitution et confondent ainsi sur la notion de hiérarchie. Comme son nom le sous-entend, « N » est une expression marginale parmi les rouges du domaine et ne comprend aucun ajout de sulfites, laissant ainsi libre cours à l’élan d’un fruit croquant, celui engendré en assemblant une majorité de grenache avec de la syrah et du cinsault. Une vinification adaptée suivie d’un élevage en contenant « neutres » ont mis en valeur le style primesautier et sans manière d’un 2023, étoffé ce qu’il faut pour former le dessus du panier de la génération actuelle des rouges conviviaux.
Représentante attitrée du domaine, la cuvée « Domaine de Fondrèche » est d’une composition similaire à celle de sa cadette, où cependant le mourvèdre remplace le cinsault à hauteur de 10 % dans l’assemblage total. Somme toute modéré, cet apport est pourtant essentiel et également suffisant aux yeux du vigneron, qui le considère comme le condiment qui change tout dans l’appréciation de ses vins, au bénéfice de leur grâce. Planté sur des sols adéquats, ce cépage concourt à un ensemble où prime la magnificence d’un fruit savoureux rehaussé d’une note épicée, témoin d’un élevage loin d’être envahissant, alliant judicieusement foudres de chêne et cuves ovoïdes en béton. Étendue à l’entière production des rouges, une vinification sans sulfites n’est pas pour rien dans un tel rendu du fruit ainsi que dans le fini avantageux des tanins, faisant que l’expression du 2023 concentre et tire vers le haut toutes les critères attendus d’un rouge de l’appellation sans s’affranchir d’une notion de plaisir.
A l’instar de son alter ego en blanc, « Persia » est le vin qui a démarqué le domaine dans le concert des hautes expressions régionales. Il s’agit d’une composition qui fait la part belle à la syrah, le mourvèdre venant seul en appoint en faible proportion selon la règle des 10 % que le vigneron s’est imposé. Son mode d’élaboration diffère sensiblement du précédent, avec notamment un élevage plus poussé, mais surtout effectué dans des contenants parmi ce qui se fait de mieux dans leur catégorie, que ce soit en foudre ou en barrique. Malgré ce niveau exigence, le 2022 ne se perçoit pas sous les traits de cette ambition mais plutôt comme une célébration du fruit. Ainsi, sans se départir d’un part indéniable de raffinement, la cuvée « Persia » ne perd pas le fil d’un penchant épicurien.
Ainsi que Sébastien nous l’a confié, « Il était une fois » est son rouge favori, pour ne pas dire sa fierté. Derrière ce nom poétique, il faut voir le produit de deux parcelles de grenaches pas loin d’être centenaires, puisque plantées respectivement en 1936 et 1938, et formant plus des trois-quarts de sa composition, mourvèdre et syrah venant en complément. Dans son objectif de mettre en valeur la finesse de sève de ces vénérables grenaches, il emploie des contenant spécifiques pour leur élevage, en l’occurrence des amphores de grès et des cuvées ovoïdes. Quant aux autres cépages, ils sont tout autant choyés en étant logés dans des barriques luxueuses. Au-delà de la grandeur qu’inspirent les caractères du 2022, le délice du fruit conquiert l’attention par une évocation de fruits rouges, de cerise griotte en particulier.
Ainsi que son style le suggère, la cuvée « Divergente » peut être perçue comme un exercice de style dédié à la serine, variété que l’on admet être à l’origine de la syrah. Le berceau de ce rare cépage se situe dans les Côtes du Rhône septentrionales. Il a été planté ici en 1955, bien avant l’époque où ladite syrah a commencé a être adoptée avec succès dans le sud de la vallée du Rhône. En tout cas, les serines propres au domaine y ont fait souche, puisqu’elles ont été sélectionnées pour être reproduites au sein de son vignoble selon une technique appelée sélection massale. Patiemment élevé dans un seul foudre, ce vin unique n’est offert au palais des amateurs qu’après 5 années d’affinage. C’est donc le 2020 qui s’ouvre à nous aujourd’hui sur un bouquet mirifique qui n’est pas sans rappeler celui d’un vin d’Hermitage. D’insignes qualités s’ajoutent à cette flatteuse impression et notamment une fraîcheur de texture et une persistance sans pareil.
Notre florilège…
« N … » rouge 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Veloutée, son approche captive tout autant par la fraîcheur et l’énergie d’un fruit qui le doivent à un registre très pur conjuguant fruits noirs (myrtilles), olive noire et surtout de la réglisse, tandis qu’un accent de gourmandise apparaît sous un trait de cerise griotte.
Bouche ➤ Une heureuse sensation d’ampleur fluidifie sa substance et y créé d’appréciables modulations de matière, formant ainsi un contexte propice à l’agrément d’un goût gorgé d’un fruit en écho aux arômes, foncièrement savoureux et ravivé par un net accent réglissé. L’ensemble offre un plaisir immédiat grâce à des tanins qui passent pratiquement sous silence.
« Domaine de Fondrèche » rouge 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Après une bonne aération, il retient par un caractère pulpeux et friand que l’on relie aisément à des senteurs alternant fruits noirs et fruits rouges, agrémentées de notes épicées, d’une touche de boisé et d’un air réglissé.
Bouche ➤ L’impression de volume se traduit par une matière en éventail, dont les contours se palpent agréablement au profit d’un bel équilibre, malgré un goût détourné par une essence généreuse, mais qui ne manque ni de l’énergie ni de la gourmandise qu’inspirent les arômes. Présents, mais sans caractère émergents, les tanins secrètent le plaisir du fruit et n’altèrent en rien sa vocation épicurienne.
« Il était une fois » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ Il fleure les indices d’un élevage séducteur croisés avec ceux d’une haute maturité, perçus sous forme de notes confites rappelant des fruits secs comme de la figue. En retrait de ce préambule opulent et fastueux, on ressent une fraîcheur bienvenue, suscitée par un horizon de fruits rouges et une senteur évanescente de laurier.
Bouche ➤ Sa plénitude dénote un suprême équilibre que renforce un toucher admirable. Ce profil achevé sublime une matière faite jus et porteuse de saveurs en écho aux arômes, qui cependant se focalisent sur leur facette stimulante et salivante, à l’instar d’une émanation de cerise. Une parure de tanins soyeux couronne l’ensemble à merveille.
Prix à la propriété des vins cités :
Cuvée « N », « Domaine de Fondrèche » blanc et rouge > 12,90 € – « Persia » blanc et rouge > 22 € – « Il était une fois » > 39,50 € – « Divergente » > 52,50 €
A noter que les blancs 2023 sont épuisés à la vente.
☛ 2589 Route de Saint Pierre de Vassols, 84380 Mazan ☛ site internet
Château Pesquié
Alexandre et Frédéric Chaudière forment la troisième génération en charge de ce domaine situé à Mormoiron. Ancienne terre seigneuriale, la vocation viticole de la propriété ne s’est pourtant affirmée que dans les années 1970, à l’époque de leurs grands-parents, tandis que son produit allait en cave coopérative. A leur succession, l’exploitation revient à Edith et Paul Chaudière qui la sortent de l’anonymat pour en faire un domaine placé d’emblée sur la trajectoire de la qualité, pour ne pas dire de l’ambition, dès son millésime inaugural. En effet, « Quintessence » 1990 est alors loué au plus haut point par la critique, faisant de Château Pesquié un incontestable leader de l’appellation, un statut qui ne s’est pas démenti depuis. En 2007, Alexandre et Frédéric s’investissent pleinement dans sa conduite pour perpétuer le legs d’une réussite, additionnant alors leurs compétences et leurs convictions au bénéfice d’expressions plus authentiques et mieux stylées que celles ayant fait la réputation du domaine. A cela s’ajoute une approche plus fine de son terroir afin d’isoler des parcelles particulièrement douées et d’en exprimer les spécificités avec la plus haute exigence en en témoignant de manière convaincante par des cuvées admirables à tous de points de vue.
Son vignoble
Bien que ses vignes soient principalement situées sur l’aire de Mormoiron, Château Pesquié en possède marginalement dans les communes avoisinantes de Blauvac et de Ville-sur-Auzon. Son secteur est l’un des plus tardifs de l’appellation en ce qui concerne la maturité des raisins, avec tous les avantages procurés à l’expressivité des vins. A cela s’ajoute le facteur de l’altitude, avec un parcellaire s’échelonnant entre 250 m et 400 m, parmi les plus élevés de l’AOC Ventoux. Constitué de terrasses et de coteaux en faible déclivité, ce relief ainsi que la grande étendue du vignoble (95 ha) le fait bénéficier d’une diversité de sols propice à l’épanouissement des nombreux cépages qui y croissent. Et si une dimension calcaire et ses faciès caillouteux caractérisent sa nature globale, le terroir de Pesquié se décline en de nombreuses formations, dont la plus importante en surface est d’essence argilo-calcaire. Relativement homogène, elle est à l’origine des cuvées les plus produites, notamment en rouge, tandis que des sols plus spécifiques constitués d’éboulis calcaires, également nombreux, sont plutôt consacrés aux blancs et aux rosés. Plus marginaux, les sols de marnes bleues situés sur le versant exposé à l’est d’un relief collinaire favorisent l’acidité des vins et donc leur fraîcheur. Traditionnellement plantés en grenache et syrah, leur potentiel en blanc ne demanderait ainsi qu’à être exploité. D’une même étendue, les sols rouges ou « terra rossa », riches en argiles, conviennent quant à eux à la syrah ainsi qu’au mourvèdre, des vocations probantes sur le domaine. Quant aux parties sableuses, encore plus restreintes, elles offrent une texture de choix pour le cinsault et davantage pour le grenache, source majeure d’une cuvée d’exception dédiée à ce denier cépage, la bien nommée « Silica ».
Ces adéquations sols-cépages s’accomplissent d’autant mieux que la conduite des vignes adhère à des pratiques respectueuses de l’environnement, puisque le mode de culture bio y est certifié depuis 2018 pour la totalité du vignoble, tandis qu’une sélection de parcelles bénéficie de l’agrément en biodynamie depuis 2019.
L’élégance et l’expressivité des blancs
Cépage atypique en Ventoux, seulement admis en IGP, le chardonnay est titré ici en simple Vin de France pour désigner une expression détachée de l’idée de terroir. Et si son étiquette affiche bien le cépage, ses caractères variétaux restent discrets et cèdent à des critères autres où priment l’élégance et la mesure, donnant ainsi le ton à une gamme de blancs conçus dans ce sens. Provenant des parties calcaires les plus en altitude, le « Chardonnay » 2023 est le produit d’une élaboration sans l’auxiliaire du bois, subtilement fruité sur un écho d’agrumes, doté d’un profil frais et harmonieux, et d’une texture glissante.
Synthèse des cépages blancs du domaine agréés en AOC ainsi que des différents secteurs d’altitude favorisant la couleur, « Terrasses » rassemble également des vignes de tous âges, de 5 à 40 ans environ. Dans la lignée sans exubérance du vin précité, son 2023 traduit avec franchise les délices nés d’une heureuse fusion de clairette, grenache blanc, roussanne et viognier, tous à parts égales dans son assemblage. Présent avec mesure dans les arômes, un registre tonique attisé de notes d’agrumes conquiert le palais, modelant une expressivité qui le désigne sans ambages pour des plaisirs gastronomiques.
Conçue non sans adresse en recourant à de grands contenants de chênes dits demi-muids (600 L) ainsi qu’à des cuvés ovoïdes en béton, « Quintessence » fait la part belle à la roussanne, qui constitue plus des trois-quarts d’un assemblage judicieusement complété par de la clairette. Bien identifiés par trois parcelles situées sur un plateau calcaire s’élevant à quelques 300 m, les vignes à son origine ont délivré un 2023 encore réservé dans son expression, mais où l’on distingue déjà un fruit charmeur qui n’exclue pas la part de sapidité introduite par une note minérale d’essence saline. Les traits ambitieux de cette cuvée sont plus parlants dans un 2019 que Frédéric Chaudière nous a fait l’honneur d’ouvrir. Lui-même peu évolué, ce vin souligne sensiblement une vocation à la garde tout en laissant apprécier le toucher et l’insigne persistance d’une substance mûrie par une année chaude, où vient poindre le grain minéral de ses racines.
Également placée sous le signe de l’ambition, la cuvée « Juliette » peut tout autant se percevoir comme un bel hommage à la clairette, puisqu’elle compte pour les deux-tiers de sa composition. Son ancrage dans l’identité des blancs rhodaniens est également renforcé par la présence de grenache blanc. Cépage réputé peu démonstratif, comme d’ailleurs ce dernier, la clairette compense sa discrétion aromatique par une fraîcheur de sève incomparable, ainsi qu’en témoigne un 2022 dont elle dilate harmonieusement la forme. Son profil élégant n’exclue pas les incidences d’une conception hédoniste, en l’occurrence un délié et une succulence de texture à mettre pour partie au crédit d’un élevage habile, similaire à celui pratiqué pour « Quintessence ». Le millésime 2020 est plus explicite quant à la mise en valeur de ses qualités, pour ne pas dire sa grandeur. Un peu d’âge met en effet à jour des arômes plus parlants, en l’occurrence un registre subtilement tonique évoquant des agrumes confits, tandis qu’une sensation de plénitude gouverne l’entière expression, où pointe une note saline, indice de son terroir et un additif de choix à sa nature sapide.

Les rouges ambassadeurs
A l’instar de ses homologues en blanc et en rosé, le rouge « Terrasses » fait en quelque sorte office de carte de visite du domaine, étant sa cuvée la plus diffusée. Première pierre posée à l’occasion de sa fondation, en 1990, elle fait partie de son ADN, au même titre que « Quintessence ». Archétype exemplaire des rouges de l’appellation, son profil marrie deux facettes expressives, celle d’une générosité méridionale, reflet des côtes-du-rhône voisins, et de la vitalité chère à l’identité des ventoux. Riche d’un trait d’opulence et animé d’une texture juteuse à souhait, le 2022 illustre parfaitement ce portrait flatteur aux palais épicuriens, surtout que l’amabilité des tanins est au rendez-vous. Sans être immuable, variant simplement au gré des fruits de chaque récolte, sa « recette » a du grenache et un peu moins de syrah pour principaux ingrédients, du moins ceux qu’il faut retenir. Effectué en cuves en béton, son élevage préserve à bon escient un style sans fard et plein de vitalité.
Le rouge « Quintessence » a incarné avec brio les premiers pas de Pesquié sur les chemins de l’ambition. 35 ans après son premier millésime, la cuvée fait toujours sa fierté et avec raison lorsqu’on fait référence à sa version 2022, la dernière en date. Bien que d’une composition antithétique à celle de « Terrasses », avec quelques 80 % de syrah et le reste en grenache, un air de famille les rapproche, ce qui s’explique par le millésime en question avec sa générosité communicative, mais aussi par une expression du terroir qui transcende leurs natures pourtant bien distinctes. En effet, outre par leur assemblage, elles diffèrent sensiblement par leur mode de vieillissement, celui de « Quintessence » étant sensiblement plus recherché et jouant sur différents types de contenants : cuve et fûts de chêne, eux-mêmes variés (barriques bordelaises, pièces bourguignonnes et demi-muids, respectivement de 225, 228 et 600 litres). Relativement importante, la partie élevée sous bois (40 %) n’affecte pas l’expression à outrance et préserve la personnalité de la cuvée que l’on apprécie bien mieux dans un millésime épanoui comme le 2018. Celui-ci enchante par des arômes où se croisent ceux de ses constituants, ainsi un accent d’olive noire et un air de garrigue, puis fascine par son éclat en bouche, où ampleur et saveurs se conjuguent magistralement. Ce profil inspire indubitablement de la grandeur, une impression que vient renforcer le soyeux des tanins. Une incursion dans un passé un peu plus lointain révèle sa vocation à la garde, avec pour témoin un 2006 d’une fraîcheur de constitution saisissante. Les caractères aromatiques sont à l’unisson de cette fraîcheur et y abondent en distinguant un parfum de laurier ainsi qu’un fruit acidulé évoquant de la cerise, pour ne citer que leurs traits les plus marquants. Le fondu accompli de la structure indique par ailleurs une expression qui semble sur le palier de son épanouissement. Et quant à son petit léger bordelais, il est le signe d’une page, aujourd’hui tournée, où l’incidence du boisé était moins maîtrisée qu’aujourd’hui.
Hymne à la syrah
En 2004, Alexandre et Frédéric Chaudière ne se sont pas contentés de perpétuer les acquis déjà enviables du domaine et, cette année-là, ont conjugué leur audace pour créer une cuvée spécifique à une parcelle située à Flassans, une commune limitrophe à Mormoiron. Là, un terroir calcaire graveleux accueille de la plus belle des manières des syrahs exceptionnelles, puisqu’âgées de 60/65 ans, parmi les plus anciennes plantées dans le sud rhodanien. Baptisée « Artémia », cette cuvée sublime le cépage en s’appuyant sur une part minoritaire de grenache (environ un quart). Sur un jeune millésime comme 2022, on goûte déjà à une acuité de fruit sans pareil, sur des intonations de cerise griotte, qui n’est pas sans rappeler un cru du nord de la vallée du Rhône, et tout particulièrement Saint-Joseph. Réjouissante par sa vitalité, son expression l’est encore par une texture pulpeuse qui invite à le déguster sans attendre, a fortiori quand les tanins font corps avec la matière sans anicroche. Cela dit, on aurait peut-être tort de se laisser tenter de la sorte si l’on met en bouche un 2017 sans une ride et qui a conservé tout son nerf. Et en poussant plus loin dans le temps, le 2004 inaugural de la cuvée laisse sans voix par l’alliance accomplie d’une maturité superlative et d’une fraîcheur de texture qui ne l’est pas moins. Ce n’est pas tout, puisqu’une brassée d’épices assure le plaisir du palais, tandis qu’une structure encore alerte en fait autant pour sa longévité, s’il le fallait…
Odes au grenache
Au même titre qu’ils affectionnent la clairette en blanc, et le font savoir avec talent à travers la cuvée « Juliette », nos vignerons lui associent le grenache en rouge pour affirmer tout autant leur attachement aux fondamentaux du sud de la vallée du Rhône. Et c’est donc en l’honneur de ce dernier qu’ils élaborent avec maestria deux hautes expressions forgées par le grenache, l’une étant « Silica », un nom qui laisse entendre sa naissance sur un terroir sableux. C’est d’ailleurs ce type de sol que l’on retrouve sur des secteurs significatifs du vignoble de Châteauneuf-du-Pape, là où le grenache délivre les vins que l’on sait, et notamment le légendaire Château Rayas pour ne pas le nommer. Pour ne rien gâter, ce sont de très vieux ceps (85 ans aujourd’hui), qui tirent toute leur riche substance de cette terre bénie pour le cépage. Avec l’appoint d’une part marginale de cinsault (10 %), « Silica » 2022 en est un exemple saisissant et s’exprime par une profondeur de goût sensationnelle sur un ton gourmand de fraise mûre. En outre, le trait de fraîcheur qui le parcourt modèle son équilibre et l’inscrit dans un profil leste, dégagé de l’opulence caractérisant les expressions châteauneuvoises, tandis que des tanins sans histoire parachèvent son ensemble.
Si « Silica » convainc indubitablement de leur choix du grenache pour distinguer le plus haut potentiel de ses terroirs, « Ascencio » porte ce parti à son paroxysme. Plantées sur une parcelle de Ville-sur-Auzon, spécifique par son caractère très caillouteux sur des argiles, de très vieilles vignes de grenache produisent en effet une essence rare qui fait la grandeur et la noblesse de cette cuvée. Ce fruit est pourtant et paradoxalement obtenu en rupture avec la tradition du domaine pour des élevages complexes, puisque ce sont de simples cuves en béton qui l’ont admirablement peaufiné. Le témoin de telles impressions est un 2020 où seule une pincée de syrah (5 %) apporte son sel à une expression dont l’écrin voluptueux le doit à des raisins cueillis sans concession sur leur maturité. Le plus remarquable est que cette sensation de générosité ne se fait pas au détriment des qualités d’équilibre et de raffinement sans lesquelles on ne saurait parler de grand vin. C’est alors une texture délicate saupoudrée de tanins fins qui profile le palais, tandis que des saveurs pénétrantes l’agrémentent d’un registre stimulant par contraste à la nature riche du vin. On s’y délecte ainsi des réminiscences de fruits rouges, et plus particulièrement de cerise, en se laissant autrement conquérir par de suprêmes flaveurs d’épices.
Notre florilège…
« Terrasses » blanc 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Une expression intense et prenante distingue une alliance réussie de fruits à chair blanche avec des nuances d’agrumes, que viennent surmonter des notes florales voilées par une sensation minérale.
Bouche ➤ Une rondeur bien esquissée signe son équilibre, tandis que sa matière se ressent en souplesse et sous l’emprise de saveurs énergiques avantageant le côté tonique des arômes et ressenties sous l’aspect de nobles amers d’agrumes et de sucs acidulés. Un saupoudrage minéral forme la toile de fond de l’ensemble.
« Cuvée Juliette » blanc 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Il séduit d’emblée par une nature suave et charmeuse, à laquelle participe de discrètes touches boisées du meilleur effet. Par ailleurs, son expression se détaille en senteurs diffuses, fruitées (poire williams), florales (jacinthe) et de citron confit.
Bouche ➤ Enveloppée de fraîcheur, sa riche matière se détend avec grâce puis s’écoule en un filet juteux, pénétré de saveurs persistantes, formant une brillante synthèse des arômes, en plus affirmés. Sensible, sa composante minérale se perçoit sous forme d’une fine astringence et d’un soupçon de salinité.
« Terrasses » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ D’aspect velouté et foncièrement épicé, il revêt également un trait de fraîcheur à laquelle contribue un complexe de senteurs revigorantes : fruits noirs, olive noire, réglisse, grain de café torréfié.
Bouche ➤ Sous la coupe d’une rondeur manifeste, la matière est comme projetée sur ses pourtours et signe là un bel équilibre. L’expression des saveurs est, par contraste, généreuse et fougueuse sur un ton réglissé dominant qui fait respirer l’ensemble, tandis que la structure est bien sentie, faite d’une assise de tanins tendres.
« Quintessence » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ D’allure chatoyante, il fait briller le fruit avec distinction et de concert avec un boisé mesuré qui apporte une séduisante note torréfiée à un complexe épicé-réglissé.
Bouche ➤ Son ampleur conjuguée à une texture fine lui confère un profil élancé où l’on apprécie d’autant mieux les ondulations de la matière ainsi que le raffinement de son toucher. Portant l’empreinte du boisé, les saveurs préservent cependant la verve des arômes en les prolongeant longuement d’un délice qui fait une pause le temps du passage des tanins qui serrent les papilles sans les contraindre, soulignant logiquement la jeunesse d’une expression prometteuse.
« Artemia » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ Il en émane une irrésistible suavité et le fruit fascinant qui lui est inhérent, lequel s’exprime sans entrave au sein d’une enveloppe boisée par des notes intenses de fruits noirs et leurs alliés aromatiques tels l’olive noire et le réglisse, le tout agrémenté d’un parfum de violette.
Bouche ➤ Elle en impose par le volume conséquent à une grande fraîcheur qui agit avec d’heureuses incidences sur la nature d’une matière rendue ainsi glissante sur ses contours et juteuse dans son cœur. Cette dynamique infiltre ses saveurs d’un goût nerveux et pénétrant rappelant celui de la cerise, lequel coiffe celui transposé des senteurs. D’un soyeux magistral, les tanins sont appropriés à la classe qui caractérise l’ensemble.
« Silica » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ Particulièrement attrayante, sa palette aromatique laisse échapper des notes d’épices douces, de fruits compotés, tout comme de subtils effluves floraux et de fruits rouges, et notamment de cerise.
Bouche ➤ Ampleur et onctuosité soulignent son équilibre sur la richesse, ce que confirme un goût dont l’insigne générosité est filtrée bien à propos par un fruit captivant, corollaire de celui des arômes. Ce caractère sapide persiste en propageant sa succulence bien au-delà du grain délicat de sa structure.
Prix à la propriété des vins cités :
« Chardonnay » > 9 € – « Terrasses » blanc et rouge > 12,50 € – « Quintessence » blanc et rouge > 19,90 € – « Juliette », « Artemia », « Silica » > 35 € – « Ascencio » > 60 €
☛ 1365 Route de Flassan, 84570 Mormoiron ☛ site internet
A suivre …
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
Aucun Commentaire