Escapades en Ventoux (3) … Découvertes
Pour cette troisième étape * avec l’ami Jean-Jacques Chevalier, nous avons choisi de nous écarter des routes bien balisées pour prendre à travers champs sur la commune de Mormoiron et découvrir deux domaines moins connus, mais qui méritent un détour. S’ils ont en commun une création récente, ils se distinguent par leur ascendance, l’un inscrit dans une longue tradition familiale, a contrario de l’autre, fondé ex-nihilo avec toutefois un héritage de vignes qui ont une histoire. Tous deux incarnent à leur manière l’heureuse diversité caractérisant les domaines vignerons de l’aire du Ventoux. Hormis une volonté de bien faire, on ne saurait trop rapprocher leur mode d’exploitation pour cette cause commune, aussi, nous vous invitons à apprécier parallèlement leur métier.
* Voir les articles sur nos précédentes escapades : Vigneronnes ➤ ici – Pionniers ➤ ici
Nos découvertes à l’honneur
❤️ Domaine Grands Puys
❤️ Moulin des Gypses > cliquer ici pour accéder directement à sa présentation
Domaine Grands Puys
Œuvrant dans un cadre coopératif depuis quatre générations, le domaine a pris la décision de s’en émanciper en 2019 en adoptant la forme d’une structure familiale pour le moins singulière. En effet, Cédric Constantin, son vigneron en titre, a entrepris sa conduite avec une équipe rassemblant deux tandems inattendus, s’agissant de celui qu’il forme avec Vanessa, son épouse, et de celui que forme son cousin, Thomas Constantin, avec sa femme Karine. Tout le mérite de cette création réside dans un esprit d’entraide et d’abnégation, puisque Karine et Vanessa ont quitté leurs emplois respectifs pour y apporter leur aide de la manière la plus concrète qui soit, puisqu’elles agissent à pied d’œuvre au cœur des vignes. Quant à Thomas, il est venu avec tout son savoir lié à une activité inhérente au monde du vin, celle de metteur en bouteilles. Les conseils d’un œnologue aidant, les toutes premières cuvées portant l’étiquette du domaine voient le jour en 2020. Produits avec les moyens du bord, ces vins ne représentent encore qu’une faible proportion d’un potentiel viticole d’une trentaine d’hectares, la vente de raisin frais au négoce subvenant à ses revenus. Issus d’inévitables tâtonnements, les premiers millésimes ne sortent pas de l’anonymat, cependant, dès l’année 2023, les expressions s’infléchissent vers une qualité plus satisfaisante, qui s’affirme nettement avec la récolte 2024. Avec ce jalon, les promesses de vins encore meilleurs s’esquissent dès lors que la viticulture qui s’y pratique va plus loin que les préconisations élémentaires du mode bio en adoptant des règles plus contraignantes visant à favoriser la biodiversité des sols et de leur environnement.
Son vignoble
Implanté majoritairement sur l’aire de Mormoiron, le vignoble possède des extensions sur presque toutes les communes environnantes. Emprunté à la terminologie désignant les massifs volcaniques d’Auvergne, le nom de « Grands Puys » laisse entendre une configuration de collines, avec ici des coteaux peu accidentés où les vignes sont majoritairement implantées. Parmi cette chaîne figure le Limon, qui pourtant n’est pas couverte de sols limoneux, mais de grès calcaires mêlés de gypse, très propices aux blancs par référence à l’expérience concluante du domaine sur ce secteur. D’autres reliefs collinaires s’identifient à un terroir donné, ainsi les Anges aux sols typiquement argilo-calcaires et les Briguières où l’on trouve des sols sableux dont la nature diffère en fonction de l’altitude. Bien identifiée, cette variété de sols est en adéquation avec un encépagement d’autant plus pertinent qu’il est régulièrement remanié depuis une vingtaine d’années, faisant que son vignoble ne comporte plus de vieilles vignes. La nécessité d’un tel remaniement a été dictée par le mauvais état d’anciennes plantations ou de leur inadéquation avec les exigences agronomiques actuelles.
Dans ces conditions, le vignoble a dû être entièrement replanté. A ce sujet, le carignan, banni en d’autre temps, a retrouvé ici ses droits et participe activement au style des rouges et du rosé. Quant au handicap de disposer de vignes plutôt jeunes, il est en partie compensé par une implantation sur des sols jugés les plus appropriés à chaque cépage. Alliée au renouvellement du vignoble, une pratique viticole durable crée de surcroît un contexte favorable à l’épanouissement de la plante. L’adoption d’un enherbement semé entre les rangs de vignes fait partie de cette approche, constituant ce que l’on qualifie d’engrais vert, qui agit positivement à plusieurs titres. Ce sont ainsi des semis de légumineuses (féverolle, vesce) et de céréale (seigle) qui forment le couvert végétal dont la gestion régule les apports indispensables ou auxiliaires à une bonne croissance de la vigne. A l’examen des vins produits en 2024, on se dit que ce mode d’exploitation porte vraiment ses fruits et augure de la progression du domaine vers des expressions plus complètes.
Les jalons d’un nouveau départ
Ainsi que je l’ai exprimé précédemment, force est de constater que les vins issus de la récolte 2024 font du domaine un candidat probant aux bonnes adresses en Ventoux. Pour autant, ceux produits précédemment ne déméritent pas complètement, surtout en rouge. En effet, si les blanc et rosé 2023 qui constituent la gamme « Domaine Grands Puys » s’avèrent simplement de bon aloi, le rouge du millésime retient davantage l’attention. En effet, le processus d’élaboration dans cette couleur a laissé le temps à des retouches significatives lors de sa composition, tandis qu’un long élevage a également joué dans le bon sens.
Le blanc « Karine » rassemble trois cépages dont les sources sont principalement réparties sur la colline du Limon. Le grenache blanc domine sensiblement la composition du 2024, le rolle venant en second, tandis que la clairette, en plus faible part, joue de la personnalité que lui procure une situation en partie basse de cette éminence, davantage argileuse. Ce croisement judicieux de cépages et de sites distincts délivre une expression achevée, riche en matière, en goût et en nuances, et foncièrement fraîche.
Reprenant une même volonté d’adéquation sol-cépage, le rosé « Vanessa » puise la majeure partie de son expression de parcelles argilo-calcaires des Anges portant grenache, carignan et une partie de la syrah, l’autre partie provenant de sables des Briguières. Vinifiés pour donner cette couleur, ils délivrent tout le charme fruité de leur facette primesautière, auquel s’ajoute une portion de gourmandise. Le 2024 répond à cette description plutôt flatteuse.
La conception du rouge « Cédric » suit le schéma des autres couleurs, les terroirs sableux des Briguières étant dévolus au grenache ainsi qu’à la syrah, tandis que des sols spécifiques situées dans le hameau de Saint-Estève, qualifiés fièrement de bonnes terres par Cédric, façonnent l’indispensable carignan, bien qu’en minorité dans sa composition. Témoignant des progrès majeurs du domaine à cette période charnière de sa jeune histoire, le 2023 s’avère pétri de qualités au point de l’autoriser à rejoindre le club des rouges du Ventoux parmi les plus recommandables. On y apprécie en effet la fraîcheur et la précision du fruit, tout comme un profil des plus équilibrés qui soient, sans parler de ses flaveurs affriolantes.
Les premières pierres de l’ambition
Comme tout domaine vigneron qui se respecte, deux cuvées plus élaborées y sont été produites ces dernières années, ses hauts de gamme en quelque sorte, s’agissant d’un blanc et d’un rouge. A l’instar de la mutation qualitative des cuvées normales, les tous derniers millésimes produits scelleront désormais leur renaissance, avec une conception qui s’inscrit toutefois dans la continuité des précédentes. Cette rupture fait qu’elles seront rebaptisées en hommage aux grands-parents respectifs de Cédric et de Thomas, c’est-à-dire « Jean-Pierre » et « Claude », désignant dans cet ordre la cuvée en blanc et celle en rouge.
Faute de disposer d’un espace suffisant en cave pour permettre des vinifications parcellaires, ces cuvées revisitées continueront de résulter de sélections strictes au sein de la production globale. L’autre vecteur de leur ambition réside dans le recours à des fûts de chêne, mais suivant un usage modéré du procédé. Le choix de grands contenants va dans le sens de cette modération, en l’occurrence et pour l’essentiel des fûts de 600 L, appelés demi-muids. Ainsi, pour la cuvée « Jean-Pierre », donc en blanc, seule la moitié du volume est vinifié et élevé en bois – à la bourguignonne – de manière à atténuer son influence dans une expression qui rassemble une majorité de rolle avec du grenache. En rouge, la cuvée « Claude » bénéficie elle aussi d’un mode d’élevage mixte, mais effectué très partiellement en cuve, pour environ moins d’un quart d’une composition similaire à celle du rouge « Domaine Grands Puys ». Grâce à cette méthode, l’acuité du fruit perdure dans le produit final, dont la majeure partie aura été patiemment affiné en fût, pendant au moins un an et demi.
Notre florilège …
« Domaine Grands Puys – Karine » blanc 2024 – AOC Ventoux
Nez ➤ Il dispense une sève fraîche et nette d’où s’échappent des notes aussi variées qu’agréables, florales, de zeste d’agrumes, d’aneth.
Bouche ➤ Ampleur et rondeur se conjuguent pour former un cadre de choix à une matière onctueuse d’un goût intense et extrêmement persistant, perçu comme un heureux condensé des arômes. La minéralité y fait office de fine structure.
« Domaine Grands Puys – Vanessa » rosé 2024 – AOC Ventoux
Nez ➤ Il séduit d’emblée sur l’air séduisant qu’en donne un fruit stimulant et friand ressenti comme framboisé et légèrement floral.
Bouche ➤ Ronde, charnue et juteuse, elle est en outre irriguée d’un goût vivifiant et salivant qui relaie le nerf des arômes sur un même registre. Un caractère minéral resserre sa finale et favorise sa tenue.
« Domaine Grands Puys – Cédric » rouge 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Bien expressif et pulpeux sur un ton épicé savoureux, il s’enrichit de notes réglissées et de fruits rouges (cerise).
Bouche ➤ Une rondeur harmonieuse va de pair avec une matière bien rendue, tout en équilibre et d’un toucher agréable. Très pur, généreux et pénétrant, son goût donne un écho fidèle au délice des arômes et s’accommode sans mal d’une structure ourlée de tanins tendres.

Prix à la propriété des vins cités :
Gamme « Domaine Grands Puys », blanc, rosé, rouge > 9,90 € – cuvées « Jean-Pierre » et « Claude » > 15 €
☛ 1646 chemin des Peyrollets, 84570 Mormoiron ☛ site internet
Le Moulin des Gypses
Unis dans la vie comme dans leur métier de vigneron, Yves Van Aert et José Texeira ont choisi pour cadre d’une retraite active un ancien moulin doté d’une oliveraie et de quelques vignes. Acquis en 2017 et situé non loin de Mormoiron, ce lieu reste le témoin d’activités ancestrales, toujours en éveil concernant ses plantations. Tout un chacun peut d’ailleurs goûter à son charme champêtre puisque les vignerons vous accueilleront dans des gîtes d’époque, mais avec tout le confort contemporain. Si le bâti en question ne date pas d’hier, ses fondements remontent à bien plus loin, carrément au Moyen Âge selon une datation attestée par une archéologue. En tout cas, ils se laissent admirer pour peu que l’on fasse l’effort de descendre au sous-sol, non pas pour trouver la roue du moulin, aujourd’hui démantelée, mais la chute d’une eau impétueuse qui l’a animé pendant des siècles. La partie viticole est modeste en superficie, mais recouvre des sols de choix, dont une parcelle unique par sa nature gypseuse, expliquant d’ailleurs le nom donné au domaine. Ses fruits portent la signature du domaine depuis 2017. Sommelier de formation et en exercice pendant une grande partie de sa carrière, puis caviste et animateur d’un bar à vins, Yves a revêtu le tablier de vigneron en emmenant José dans ses pas pour concrétiser avec brio ses compétences. Sans être un franc-tireur attitré, il a insufflé à ses vins sa propre conception où l’épicurisme est de règle.
Son vignoble
Formant un ensemble d’à peine plus de 4 hectares, les vignes sont majoritairement situées dans le périmètre de la propriété, s’agissant des grenache, syrah et cinsault, tandis que les blancs proviennent d’un site excentré, tout comme une parcelle de grenache, sise à Ville-sur-Auzon, une commune attenante à celle de Mormoiron. S’affiliant au schéma commun en matière de blancs dans le Ventoux, nos vignerons ont profité de vieilles vignes de clairette et planté du viognier pour choyer leur seule cuvée dans la couleur. Cependant, le fait de lui adjoindre de la marsanne pour en accentuer la fraîcheur est pour le moins atypique, avec pour seul inconvénient son déclassement de l’AOC Ventoux, un pari s’avérant au final pour le moins bien fondé. Vecteur majeur des rouges, le grenache est gâté par ses sols, puisque planté d’une part à l’orée d’une ancienne carrière de gypse, faisant que des excroissances de ce minéral rejaillissent au sein de cette parcelle en lui donnant une rare spécificité. Ce cépage se retrouve d’autre part sur des sables ocres, autre insigne qualité de terroir puisque partagée avec le vignoble de Châteauneuf-du-Pape sous son meilleur jour. De ce fait, leur conjugaison s’avère des plus heureuses, puisqu’elle est à la source de la « Grande Cuvée », qui porte ainsi bien son nom. La grandeur de cette cuvée le doit également à un apport substantiel de syrah, laquelle apporte le fruit de vignes dans la force de l’âge, dont les racines plongent depuis une trentaine d’années dans un complexe argileux, gypseux et calcaire.
La viticulture bio ayant été adoptée dès l’acquisition du domaine, sa certification est aujourd’hui largement acquise sur l’ensemble des vignes.
Son icône … 2017 > 2024 …
Nos vignerons n’ont pas perdu de temps non seulement pour exploiter un domaine à peine acquis, mais encore pour concrétiser d’emblée sa production sur un mode ambitieux. La « Grand Cuvée » est née effectivement en 2017, année de leur installation, où les vignes étaient encore dans leur jus, pour ainsi dire. Au-delà de ce que son qualificatif sous-entend, c’est moins la seule idée de grandeur qui a inspiré sa conception, mais la recherche d’un style particulier, porteur de réminiscences bourguignonnes. Affectionnant particulièrement le pinot noir, qu’il a « fréquenté » durant toute sa carrière, Yves avoue trouver dans le grenache une parenté aromatique avec le plant bourguignon. Il faut dire qu’il a été comblé dans ce sens par l’union providentielle des fruits des deux parcelles précédemment citées. Yves et José ne sont d’ailleurs pas peu fier de leur produit, cela à juste titre, ainsi que nous avons pu le constater par une dégustation probante des millésimes 2017 à 2024.
Si le grenache est la raison d’être de la « Grande Cuvée », la syrah ne joue pas le second rôle dans sa composition. Nous avons eu la chance de pouvoir mesurer son importance en assemblant les deux cépages pour préfigurer ce que sera sa version 2024. Éprouvette en main, les vignerons nous ont donc invité à cet exercice en faisant varier la part respective à chaque cépage à partir de la « recette » qui a fait sa réussite. Il en est ressorti qu’une variation d’à peine 5 % des composants modifiait sensiblement le profil du vin. Dans l’occurrence de ce millésime, c’est la formule 60 % grenache + 40 % syrah qui a emporté l’adhésion de l’assemblée que nous formions. Dans l’historique de cette cuvée, c’est toujours l’assemblage type, 2/3 grenache – 1/3 syrah, qui a prévalu au bénéfice d’une expression où prime une séduisante partition aromatique due au premier, tandis que les qualités de corps sont plutôt à attribuer au second. Ce schéma des flaveurs est récurrent d’une année sur l’autre, avec les différences inhérentes à la nature de chaque récolte.
Résultant d’une élaboration habile où l’élevage se fait strictement en cuve, de manière à préserver l’intégrité de son fruit, la « Grande Cuvée » possède les qualités d’un vin de garde tout en étant accessible au palais sans trop patienter. En effet, seul le millésime 2017 trahit un peu son âge, mais il a en cela l’excuse d’être le tout premier vin réalisé lors de la reprise du domaine, sans le recul ni l’expérience acquises depuis. Aujourd’hui épanoui, le 2018 situe bien mieux le style de la cuvée avec des arômes veloutés irrésistibles, nettement épicés et parcourus d’un air de garrigue où l’on peut déceler l’odeur du genévrier. L’équilibre en bouche n’appelle que des éloges, la générosité y étant bien contenue, tandis que les tanins présentent le juste profil pour structurer harmonieusement l’ensemble.
A la faveur d’une excellente année, le millésime 2019 présente quant à lui une large tessiture aromatique, dotée plus particulièrement d’une essence fruitée bien affirmée sur des notes de fruits rouges, évoquant le parfum subtil de la fraise des bois. D’un goût exquis, la bouche présente de surcroît un toucher raffiné doublé d’une texture fine, couronnée de tanins à sa mesure. Autre millésime de choix, 2020 a engendré une expression à la fois riche et équilibrée, faisant qu’on y respire un état de plénitude tout autant qu’une bienfaisante fraîcheur de constitution. Ses senteurs ne sont pas en reste sur un registre où rivalisent d’attrayantes notes torréfiées et un fruit non moins charmeur à l’instar d’une liqueur de cerise. Des tanins caressants le structurent sans contrainte. Insatisfaits de sa récolte, les vignerons ont fait l’impasse sur le 2021 et repris sa production en 2022, qui a vu une « Grande Cuvée » renouer avec les qualités qui font toute sa personnalité, décrites en détail ci-dessous …
Autres œuvres, même brio
Soucieux de proposer un vin plus convivial, un « vin de copains », ainsi qu’Yves le désigne, 2019 voit naître les « Caresses du Vent ». Bien distincte de celle de son aîné, sa composition privilégie très nettement la syrah (80 %), laissant une part congrue au grenache pour satisfaire sa vocation. Sa version en 2022 l’accomplit en jouant sur une gourmandise du fruit et une chair souple, quoique consistance, propre à élargir son univers d’appréciation.
Même si elle n’a vécu que le temps d’un millésime, la cuvée « Enosis » ne démérite pas d’une citation. Emprunté au grec ancien énosi – ένωση – signifiant union, son titre résume parfaitement la seule cuvée élaborée en 2023 à cause d’un incident. Sa conception reflète d’ailleurs l’idée d’une dualité, grenache et syrah étant assemblés à parité au bénéfice d’une expression qui emprunte aux deux cuvées auxquelles elle se substitue. On retrouve ainsi des traits de chacune d’elle dans son registre aromatique, tandis que l’impression au palais est inédite, caractérisée par une fougue qui s’explique aussi par sa jeunesse. Au final, plutôt qu’un compromis, « Enosis » apparaît comme un vin à part entière, un entre-deux bien trouvé.
L’unique blanc du domaine, la « Cuvée Martina », est aussi son seul vin hors appellation d’origine, puisque qu’il contient de la marsanne, un cépage non autorisé en AOC Ventoux. C’est donc dans la catégorie IGP Vaucluse qu’il a été revendiqué. Qu’à cela ne tienne, son niveau de qualité n’étant pas en défaut, on le retient pour son style attrayant, celui d’un blanc léger et facile à boire, ainsi que ses vignerons le définissent modestement. Outre de la marsanne, du viognier et de vieilles vignes de clairette concourent à parts égales à son style. Enracinée depuis un demi-siècle, de surcroit dans un terroir frais, la clairette garantit sa profondeur de sève tout comme un capital de fraîcheur auquel les autres composants contribuent grâce à une date de vendange relativement précoce. Encore jeunes, puisque plantées en 2018, marsanne et viognier apportent cependant leur lot de nuances au profit d’une expressivité qui n’exclue par une touche d’élégance. C’est ainsi que se présente un 2023 au parfum subtil et tonique, et dont la matière ondule et s’anime sous l’effet d’une vague de fraîcheur.
Notre florilège …
« Cuvée Martina » blanc 2023 – IGP Vaucluse
Nez ➤ Dans une phase d’évolution, il dévoile une sève fraîche, patiné d’un trait minéral et faisant subodorer des senteurs anisées, de graines de fenouil, de pulpe d’agrumes (pomelos) et de fruits blancs (poire).
Bouche ➤ Elle fait valoir le volume inhérent à sa nature fraîche, au bénéficie de la dynamique d’une matière palpable à souhait et littéralement imprégnée des saveurs distinguant la tonicité des arômes, tandis qu’une note saline s’y affirme nettement et répand son effet jusqu’au cœur de l’empreinte minérale tapissant la finale.
« Caresses du Vent » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ D’aspect velouté, il rend l’attrait de senteurs où se marient épices, olive noire et comme une compotée de fruits.
Bouche ➤ Une ampleur remarquable fonde un équilibre qui ne l’est pas moins, rendu à travers une matière délicate qu’anime un goût bien en verve, perçu comme un coulis de fruits et composant avec justesse avec des tanins tendres pour former un tout aussi alerte que sapide.
« Enosis » rouge 2023 – AOC Ventoux
Nez ➤ Sa riche palette distingue avant tout un air épicé et gourmand, puis exhale tour à tour des senteurs de baies noires (myrtille), de réglisse, de fleurs (violette) et d’olive noire.
Bouche ➤ Une matière abondante épouse sa rondeur, puis se voit infiltrée par de la fraîcheur pour laisser sur l’impression d’un jus. Ce caractère généreux rejaillit sur un goût du même ordre, en écho aux arômes dont il souligne l’aspect réglissé. D’un toucher soyeux, les tanins couronnent la finale sans dissonance.
« La Grande Cuvée » rouge 2022 – AOC Ventoux
Nez ➤ S’ouvrant sur un trait d’opulence, sa voluptueuse maturité respecte cependant l’acuité d’un registre profond et captivant par ses notes épicées, de cerise burlat ou évoquant de la mouture de café arabica.
Bouche ➤ sa nature svelte dénote un style en finesse, où une texture déliée accueille des saveurs délectables sur le tempo des arômes. Celles-ci perdurent jusqu’à s’immiscer dans l’intervalle où s’affirme le relief de tanins veloutés.

Prix à la propriété des vins cités :
« Caresses du Vent » > 12 € – « Enosis » > 13 € – « Cuvée Martina » > 13 € – « La Grande Cuvée » 2022 > 15 € – « La Grande Cuvée » 2020 > 17 €
☛ Le Paradou, 1340 route de Carpentras, 84570 Mormoiron ☛ site internet
A suivre …
L’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ».
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