Faut-il protéger les mots « château » et « clos »
J’apprends que les bordelais (le CIVB pour être exact) veulent « protéger » l’usage du mot « château » en essayant (ce n’est pas gagné comme nous allons le voir) d’empêcher tout autre pays d’utiliser ce terme pour désigner une production vinicole. Les bourguignons, pour ne pas être en reste, veulent faire de même pour le terme « clos ».Lorsqu’il est question d’étymologie, je cours vers un bon dictionnaire, en l’occurrence le Nouveau Littré. Voilà ce qu’on y trouve, en premiers sens, sous le mot « château » :
« Château : Demeure féodale fortifiée qui était défendue par un fossé, de hautes murailles et des tours. Aujourd’hui, forteresse environnée de fossés, de gros murs et de bastions, qui est dans une ville pour la défendre ou pour la commander. Habitation royale ou seigneuriale. Habitation du maître d’une grande propriété. Grande et belle maison de plaisance à la campagne avec ou sans propriété… » Mais cette définition exclut : les citadelles et les domaines viticoles qui n’ont de château que le nom, en l’absence d’édifice répondant à la définition de château.
Je doute fort que plus de 20% des domaines viticoles bordelais correspondent à ces acceptions du mot château. Bien sûr, on peut l’appliquer à la plupart des crus classés et consorts, mais même pas tous. Rares d’ailleurs sont ceux qui ont l’honnêteté de transposer cette réalité en nom de marque. Je pense notamment au Domaine de Chevalier, ou même à Petrus. La plupart des autres, hormis ceux qui justifient pleinement leur dénomination, ne sont que de modestes maisons, voire, dans certains cas, des villas de banlieue. Je ne dis pas que seuls les châtelains doivent produire du vin à Bordeaux, ni ailleurs. Simplement que le terme « château » à Bordeaux n’a plus son vrai sens. Ni ailleurs en France du reste, car Bordeaux n’a pas le monopole de l’usage, justifié ou abusif, de ce terme qui n’est, après tout, qu’un mot générique.
Personnellement, je ne vois pas sur quelles bases on peut justifier la « protection » d’un mot générique. On ne peut pas protéger un cépage. On peut, et on doit, protéger une appellation ou désignation géographique, car celle-ci est intimement liée à son lieu ou à sa zone de production et donc à son identité. On doit aussi, mais cela est une responsabilité individuelle, protéger une marque. L’idée même de vouloir se réserver un mot commun me paraît aussi farfelue que paradoxale. On s’est plaint en France pendant des années (loi Toubon) qu’il y avait trop de mots d’anglais qui faisaient leur entrée dans les usages dans ce pays : maintenant que quelques estrangers veulent utiliser deux malheureux mots de français, on devrait plutôt les encourager ! Le meilleur des hommages n’est-il pas l’imitation ? Quant à l’argument brandi par le CIVB de la protection du consommateur, celui-ci me parait être une fausse barbe derrière laquelle se cache du bon vieux protectionnisme. Mais regardons un peu plus loin que le bout de quelques nez bordelais…
La vaste majorité des domaines Californiens, comme ceux d’autres pays du nouveau monde, n’utilisent pas le terme « château » pour désigner leurs vins ou la propriété. Les quelques-uns qui le font existent depuis fort longtemps, comme le Château Montelena, dans la vallée de Napa. Cela ne me choquerait pas de voir ce bâtiment (voir photo ci-dessus) affublé du terme « château » s’il était situé près de Bordeaux. Et il date de 1882, c’est-à-dire qu’il est plus ancien que la constitution de bon nombre de domaines bordelais. On peut aussi rappeler que c’est un des vins de ce domaine qui a gagné, dans la dégustation tenue en Paris avec des dégustateurs français, en 1976, le concours de blancs issus du chardonnay, face aux meilleurs de la Bourgogne (Lafon et Leflaive compris). Quelques autres domaines nord-américains portent, depuis longtemps, le terme « château » dans leur désignation : Souverain, St. Jean, Potelle, Ste Michelle, etc. Mais cela reste exceptionnel et, pour les américains, un peu désuet, car le mot « Estate » est beaucoup plus actuel et inclut une part de fierté locale.
Voyons un peu le mot « Clos ». Ce mot est plus facile à définir, et voici ce que le Littré en dit :
« Clos : Terrain cultivé et clos de haies ou de murs. Un clos de vigne. »
Ce n’est donc ni spécifique au vin, ni exclusif à la Bourgogne. Il signifie simplement qu’un terrain agricole a été clôturé. D’ailleurs la racine du mot est passé dans la langue anglaise : « close, enclose, enclosure, etc ». Dans ce cas, je ne vois pas non plus comment les bourguignons pourront prétendre empêcher quiconque de l’utiliser en anglais. Et est-ce que tous les terrains viticoles en France qui utilisent le terme « clos » sur l’étiquette du vin qui en est issu (on le suppose en tout cas) sont réellement clos par des murs ou des haies ? Je ne le pense pas ! Encore un illustration de la nécessité de bien balayer devant sa porte avant de jeter l’opprobre.
Pour conclure, tout cela m’attriste. Les vins de France ont tellement d’atouts. Pourquoi se réfugier derrière des petits combats protectionnistes quand on pourrait mettre cette énergie dans des opérations de séduction bien plus offensives, et, pour finir, beaucoup plus productives ?
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