La fraîcheur et la vitalité des Laudun
Dans cet article j’ai utilisé le terme Laudun afin de rendre sa lecture moins fastidieuse que si j’avais mentionné à chaque occurrence la désignation officielle Côtes du Rhône Villages Laudun. Dans un même souci, j’ai parfois employé le raccourci « Villages Laudun » pour rappeler qu’il ne s’agit pas encore du cru Laudun !
Le vignoble formant l’appellation Côtes du Rhône Villages Laudun peut se prévaloir de racines qui remontent à la romanité. L’oppidum du Camp Romain dominant le village de Laudun-l’Ardoise en est un indiscutable témoin. Et l’on cite volontiers, et à juste titre, combien ses vins blancs étaient appréciés du temps de l’agronome Olivier de Serres (1539 – 1609) qui en fit l’éloge dans un célèbre traité. Pour ce qui nous est plus contemporain, 1947 est une date à retenir comme le premier jalon de sa reconnaissance en « Villages », vocable sous-entendant les trois communes gardoises englobant son territoire : Laudun, Saint-Victor-la-Coste et Tresques. Cette continuité historique exceptionnelle prouve la valeur d’un terroir au sens complet du terme, et dont le symbole le plus marquant sont ces impressionnants galets roulés qui parsèment par endroits son vignoble. C’est cependant à des compositions sableuses omniprésentes sur son aire que Laudun doit ses vertus, celles que dévoilent des vins d’un indéniable équilibre sur la fraîcheur, d’autant plus appréciable dans un contexte méditerranéen.
C’est donc un fait remarquable que le creuset de Laudun soit doué pour les blancs, ses vignerons ayant perpétué un savoir-faire acquis au fil des générations, ainsi que le meilleur vecteur de leur expression, la clairette, un cépage ancré lui aussi dans une longue tradition. Les rouges ne sont pas en reste et restituent un terreau unique à travers des profils amples et caressants, et d’une générosité contenue.
L’AOC Côtes du Rhône Villages Laudun est en voie de s’émanciper de tous les épithètes qui la rattachent encore au collectif d’appellations qui incarnent la diversité de la partie méridionale de la vallée du Rhône. Le Cru Laudun est donc pour bientôt, puisqu’on parle de 2022 pour sa validation, qui verra alors, espérons-le, confirmation des règles déjà en vigueur pour affirmer l’exigence de qualité attendue à ce niveau. En cela, gageons que l’excellence qui caractérise déjà une majeure partie de sa production s’étende à son ensemble, la crédibilité de son statut n’en sera que gagnante.
Un terroir vieux comme le monde
Ce titre pourrait paraître comme une lapalissade, car tout terroir viticole (ou non) est l’émanation d’une histoire géologique, cependant, s’agissant de celui de Laudun, des géologues avancent son caractère remarquable en ce sens qu’il s’agit du seul secteur du Gard où la sédimentation calcaire originelle est la plus développée et la mieux conservée. Reposant sur un substrat calcaire et datés du Crétacé Supérieur, les terrains sédimentaires sont ici de natures très diverses et affleurent sous des formes sableuses recouvrant la majorité de l’aire d’appellation. Plus « récente » est la formation de la vallée du Rhône avec sa réminiscence en terrasses alluviales aux sols à dominante sablo-limoneuse mais toujours riche d’une couverture caillouteuse, dont les éléments peuvent atteindre la taille de gros galets, avec des argiles rouges au niveau du système racinaire.
L’aire d’appellation Laudun ayant hérité de ce passé antédiluvien, il est dès lors tentant d’essayer d’établir une corrélation entre le style des vins et leurs sols de naissance. Qualifiés de légers en raison de leur composition sableuse, ces derniers engendrent des blancs tendres, quel que soit leur assemblage, mais paradoxalement doués d’une matrice fraîche, celle qui forgé une réputation qui a traversé les siècles. En rouge, où le mode d’élaboration interfère davantage dans le « message » du terroir, le creuset de Laudun se traduit par des vins d’une belle expressivité, ni lourds ni généreux. Ces conjectures intègrent évidemment l’action d’autres facteurs, ne serait-ce que celui du fameux Mistral, un vent régional dont l’action influe nettement sur le climat local par sa force et sa grande fréquence.
Considérations sur un cru annoncé
La notion de terroir ne prenant son sens qu’à travers nos perceptions sensorielles, les vertus des sols de Laudun transparaissent de manière suffisamment éloquente dans ses vins pour que l’on puisse en dresser un portrait significatif. Voici quelques remarques fondées sur une évaluation soignée d’un large éventail d’expressions.
On attribue aux sols sableux des effets de finesse sur les vins, qui ne sont pas sans caractériser ceux de Laudun à des degrés divers. Il faut cependant nuancer cette remarque, car même en poussant sur des sables, une clairette bien mûre, ainsi que certains domaines la conduisent, sera volontiers onctueuse, mais tout en recélant d’une fraîcheur au cœur de sa constitution. Pour cette raison, ainsi que pour sa nature aromatique plutôt sage selon les critères actuels, on lui adjoint couramment des cépages plus flatteurs en jouant sur la palette des plants autorisés. La propension à la gourmandise et le caractère cossu du grenache et/ou de la roussanne lui apportent dès lors un côté plus charmeur. Pour sa part, le viognier est gage de supplément aromatique, tandis que le bourboulenc agit de même sur le plan de la fraîcheur.
Cela dit, l’absence de stricte orthodoxie dans les règles de conception des blancs fait que des cuvées peuvent ne pas comporter de clairette et expriment ainsi une séduction immédiate, plus conforme aux attentes actuelles des consommateurs. On peut dès lors se poser la question de ce qui serait plus viable pour un cru, où l’expression d’une forte identité devrait en principe guider ses prétentions. En effet, le statut quo actuel fait globalement coexister deux catégories de blancs sensiblement différents et dont la ligne de partage correspond à la proportion de clairette lorsque celle-ci est présente et majoritaire dans un assemblage.
En rouge, on ne retrouve pas un tel contraste, le trio grenache-syrah-mourvèdre étant généralement adopté avec une égale réussite sur l’ensemble du vignoble, en dépit d’immanquables différences de terroir. Préconisé dans les termes du décret régissant le Villages Laudun, cet ensemble révèle ainsi son bien-fondé. Ce schéma d’encépagement n’est toutefois pas figé et se voit parfois complété de parts marginales de carignan, cinsault, counoise, qui agissent à l’instar de condiments. C’est dire leur importance. Pour autant, il est impossible de vanter la supériorité de telle ou telle composition, ce qui est plutôt heureux lorsqu’on est en quête de personnaliser son produit. Ainsi, un rouge qui se « contente » d’une composition réduite à un binôme a toute sa raison d’être qu’un autre dont l’expression est le fruit de pas moins de 5 cépages. Néanmoins, la complexité n’est tout de même pas un vain mot, car les synergies nées d’assemblages variés influent sensiblement sur les expressions, et pas seulement sur le plan des arômes. L’exemple d’un apport de counoise est significatif à ce titre. Connu pour son caractère acide, ce cépage a un rôle supplétif quand il s’agit d’accentuer l’expressivité d’un vin.
Cela étant, s’il y a bien une qualité qui réunit les rouges de Laudun, c’est un remarquable équilibre de constitution, qui se traduit par des vins délestés d’effets de corps, comme immatériels pour les plus accomplis d’entre eux. Gracieuse, leur silhouette se perçoit dès lors sous l’angle de son ampleur, tandis que les cuvées plus étoffées ne paraissent jamais comme tel, leur matière perlant agréablement sous l’action d’une dynamique de fraîcheur. L’autre don du terroir se perçoit dans la qualité des structures, car parmi les nombreux rouges évalués, je n’ai décelé qu’un nombre minime d’exemplaires aux tanins disgracieux, s’agissant de surcroît de vins jeunes pour la plupart. Dans les cuvées les plus abouties, cet aspect est magistralement rendu et vaut d’être rapporté.
Une évaluation exhaustive de blancs et de rouges en Villages Laudun s’est avérée dans l’ensemble très satisfaisante en considérant l’actuel statut de l’appellation. Cependant, dans la perspective du cru, un niveau d’exigence plus affirmé accréditerait mieux ce label. En effet, certaines cuvées donnent l’impression de manquer de manquer de format et de fond quand il s’agira d’honorer les promesses d’une AOC à part entière. A l’inverse, d’autres expressions méritant sans réserve l’estampille Laudun ont été conçues dans un esprit d’ostentation, un parti discutable quand on s’échine à faire valoir l’authenticité d’un terroir. Cette dernière remarque se limite heureusement à des blancs élaborés sans discernement en fût de chêne, somme toute très confidentiels.
Acteurs
Faite dans l’anonymat le plus strict concernant les vins dégustés, une dégustation exhaustive de blancs et rouges en Laudun a permis de distinguer les acteurs présentés ci-dessous. Chacun d’eux bénéficie d’une notice suivie du commentaire de la cuvée ou de celles qui ont eu ma préférence.
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Domaine Chantegrives
Ce domaine de taille moyenne se situe sur la commune de Tresques et comporte des vignes en coteaux, plus précisément sur des terrasses. Représentant environ la moitié de sa superficie, celles délimitées en Laudun se trouvent au lieu-dit Courac sur des sols argilo-sableux caractéristiques de ce terroir. Il s’agit d’une propriété familiale conduite en tandem par Sophie et Thierry Conrozier, fille et père, et dont les racines sont locales et remontent à… 1737. Si des documents le prouvent, rien ne dit que cette ascendance était vigneronne à l’époque ! Cependant, on sait avec certitude que 2004 a été son premier millésime concrétisé en bouteilles, une partie de la production d’ailleurs toujours très marginale et dédiée en priorité à un rouge en Villages Laudun. En effet, le domaine ne commercialise qu’une très petite quantité de son potentiel, à savoir guère plus d’un millier exemplaires en Côtes du Rhône dans chacune des couleurs, et le total équivalent en Laudun. Cela dit, la mise en bouteilles est appelée à se développer à la faveur de la venue de la jeune Sophie sur le domaine en 2017. C’est ce que l’on peut espérer de ce domaine sur la foi de son premier vin portant la fière étiquette de Côtes du Rhône Villages Laudun. Soignée dès les vignes, son élaboration ne cache pas une volonté de bien faire et même de briller. Il faut dire que notre vigneronne est ingénieure agronome, et à ma question sur la conduite du vignoble, elle répond : « on est un peu maniaque à la vigne », c’est dire…
Baptisé « L’Abuèle » par référence à un épisode de la mémoire familiale, le rouge 2018 est le produit d’une sélection parcellaire qui favorise très largement la syrah dans sa composition, tandis que le grenache influe bien plus dans son expression que ne laisserait supposer le quart qu’il y représente. Son allure gracieuse doublée d’une texture juteuse séduit le palais, tout comme des saveurs alternant la fraîcheur, comme du réglisse, et la gourmandise, comme celle de la cerise. Seul le boisé interfère à peine dans son rendu, une sensation minime d’artifice qui n’apparaît nullement dans une nouvelle cuvée en Laudun rouge, un 2020 qui ne sera à la vente qu’après un temps d’affinage en bouteille. Issu des mêmes bases que « L’Abuèle », il porte en toute logique les signes d’un vin jeune, et notamment une structure plus marquée, quoique bien appréhendée, et s’affirme sur un profil plus ample encore, tout en restituant la percée de ces vieux grenaches, sans doute plantés sur un terroir de prédilection. Les vicissitudes liées à l’épidémie que l’on sait ont perturbé ici le schéma de production, faisant qu’il n’y aura pas de 2019 dans les annales du domaine. Cependant, l’avenir semble bien étayé et s’étend même au projet d’un Laudun blanc, le temps que la clairette fasse vraiment partie du paysage, étant actuellement à l’état de plantier. On peut être confiant sur son futur accomplissement, le rare Côtes du Rhône blanc signé Chantegrives étant parfaitement réussi et d’une vocation inattendue dans la région, celle d’un vin de soif.
L’Abuèle – rouge 2018
Sensible, une expression torréfiée domine les arômes, laissant toutefois émerger des notes fraîches et fortes d’olive noire et de réglisse. Une plénitude saisissante caractérise l’impression en bouche, grâce à quoi la matière gagne un rare équilibre, à l’origine de la magnificence d’un profil délicat et raffiné. Une dimension du même ordre définit la teneur et la persistance du goût frais légèrement réglissé. Sapides et compacts, les tanins font encore valoir leur velours.
Château Courac
Situé sur la commune de Tresques, sur le lieu-dit éponyme, ce grand domaine est conduit consciencieusement par Joséphine et Frédéric Arnaud, leur fils Cyril les ayant rejoints récemment à ses commandes. Que ce soit en rouge ou en blanc, ses vins rendent toute l’harmonie que permet un terroir argilo-sableux, situé en coteaux sur l’un des secteurs les plus élevés de l’aire en Villages Laudun, soit à quelques 200 m d’altitude. Plus particulièrement, ce contexte profite aux clairettes centenaires à l’origine de blancs qui plaident entièrement pour un cépage faisant « la noblesse d’un blanc de cru », selon le vigneron. En effet, la haute qualité doublée de l’élégance qu’il procure aux vins lui font dire que la démarche d’accession au cru aurait dû mieux tenir compte du patrimoine qu’il représente. A l’aune des blancs dégustés, la maîtrise de la clairette semble en effet totale, surtout que ses baies sont récoltées au-delà même de leur maturité, lorsque le botrytis * commence à apparaître. Ordinairement redouté, ce phénomène est ici bien appréhendé pour être mis à profit et contribuer à des blancs aussi somptueux qu’un Laudun 2018 à l’apogée de son expressivité. Il faut souligner qu’un tel résultat ne serait pas tel sans un travail assidu dans les vignes, avec notamment une opération d’effeuillage **, et en cave, par des procédés destinés à exploiter au mieux le potentiel aromatique et la substance des raisins. Ce 2018 se caractérise encore par une fraîcheur propre à la nature de la clairette, celle qui fonde et préserve sa dynamique, même à haute maturité. Cela dit, sa complexité et ses qualités de fond sont moins apparentes dans des expressions plus jeunes, ainsi un 2019 entre deux âges, puissant et encore peu détaillé et a fortiori un 2020 qui détourne du schéma d’un blanc accompli pour séduire par son air de jeunesse, sur des arômes toniques, et sa moindre corpulence.
Conscient de l’épanouissement progressif de ses blancs, Château Courac prend soin de les commercialiser dans cette mesure. Cela vaut a fortiori pour ses rouges en Villages Laudun, où le 2017 est le millésime actuellement proposé pour le plaisir du palais. Dans cette couleur, la syrah est à son avantage sur ce terroir, marquant d’une nette empreinte les vins plus jeunes, ainsi les 2018 et 2019, puis cédant au grenache une part de l’expression. C’est du moins ce qu’il ressort de leur dégustation. Outre les vertus pédologiques des sols, le rôle éloquent de la syrah le doit à des vignes dépassant le demi-siècle, probablement parmi les premières plantées dans la région. L’autre cépage qui intervient avantageusement dans la composition des rouges est la rare counoise, laquelle apporte aux vins un supplément de fraîcheur, tout en participant à leur complexité organoleptique. Aux différences liées à leur millésime, les trois rouges précités reconduisent toutefois un style commun, ainsi que Joséphine l’exprime spontanément : « on essaie de garder la patte de Courac ». Cette « patte » se traduit par une silhouette remarquablement équilibrée, d’une corpulence impalpable qui accentue la sensation d’ampleur et de finesse, tandis que la structure joue toujours sur du velours, même quand l’année invite à la garde, ainsi 2017.
* Le botrytis, appelé plus couramment pourriture grise, est une maladie due au développement d’un champignon, le Botrytis cinerea. Il apparaît par temps humide et s’attaque aux rameaux, aux feuilles et enfin aux grappes, qui s’altèrent en conséquence. La clairette y résiste bien.
** L’effeuillage est une opération qui consiste à enlever les feuilles à l’endroit des grappes, de manière à les aérer au bénéfice de leur état sanitaire et d’autres facteurs influents sur la qualité des raisins.
Blanc 2020
Sa jeunesse se perçoit sous forme d’arômes encore peu développés mais foncièrement frais, sur un ton subtilement mentholé, et concentrés en une sève mûre, comme ligneuse. La bouche unit des qualités de corps garantes d’une expression élevée de la clairette, faisant surtout valoir une fraîcheur de constitution sans pareil, où la matière se palpe littéralement et retient par un registre gourmand et mentholé, remarquable de teneur. Pour ne rien gâter, la minéralité se fait délicate.
Blanc 2019
Dans un nez minéral et d’une riche distinction, le fruit s’exprime sur un registre profond d’herbes aromatiques, tandis que sa maturité perce à travers sa douceur de sève. En bouche, on ressent un profil accompli, celui d’une matière fraîche, toute en amplitude et dont le toucher révèle d’élégants reliefs ainsi que le goût d’une essence juteuse et saline, où l’expression conjugue intensité et grand raffinement. La minéralité ponctue tendrement la finale.
Rouge 2018
L’expression saisissante d’un parfum mentholé domine les arômes puis se mue en une intense senteur florale rappelant celle du lys. Ce registre singulier laisse cependant poindre des notes de fruits noirs et même d’olive verte ! En bouche, ampleur, volume et fraîcheur se conjuguent pour créer un équilibre fastueux où la matière se trouve déliée au point de se réduire à une pulpe que l’on savoure à travers une sève littéralement parfumé comme au nez. Des tanins de velours le structurent harmonieusement.
Domaine des Maravilhas
Exploité par Jean-Frédéric Bistagne, ce jeune domaine a posé ses premiers jalons en Laudun il y a dix ans, fondé sur un vignoble déjà conduit en biodynamie, un mode cultural que le vigneron a pris soin de perpétuer. Ses vignes agréés en Laudun ont l’insigne singularité de jouxter celles possédées en Lirac, où il est majoritairement implanté, tout en s’étendant marginalement sur Châteauneuf-du-Pape. Ici, Laudun et Lirac partagent donc le même terroir, que seules distinguent les limites administratives des communes respectives de Saint-Victor-la-Coste et de Saint-Laurent-des-Arbres. Ainsi, seul un chemin matérialise cette ligne de partage située sur une terrasse alluvionnaire datant du Villafranchien, une période géologique qui se caractérise à cet endroit par des sols de sables et de galets roulés sur une base argileuse. Ce contexte très particulier, ajouté à une exploitation en biodynamie, démarquent les vins que Jean-Frédéric Bistagne élabore dans un style conciliant naturel et raffinement d’une manière confondante. En cela, il fait en sorte de préserver le « message » du terroir aidé par un mode cultural entretenant la vie et l’équilibre des sols. Les vinifications et les élevages procèdent d’une même logique, opérées qu’elles sont sans technique outrancière ni artifice.
Reflet de l’encépagement du domaine où la syrah et le mourvèdre font part égale avec l’indispensable grenache, son rouge « Maestral » 2018 se démarque dans le concert laudunois par l’absence du moindre penchant généreux, procurant une expression qui laisse libre cours au gourmand du fruit et favorisant un rendu tout en nuances. Quant à son alter ego blanc, il est cultivé sur une bien moindre surface, et presque uniquement issu de clairette. « Maestral » 2020 donne de ce cépage une expression littéralement façonnée par la fraîcheur et montre ses caractères sous leur meilleur jour.
Maestral blanc 2020
On est d’emblée séduit par la sensation de fraîcheur que suggèrent des senteurs délicatement mentholées et anisées, qui disputent l’expression à un fruité subtil évoquant la poire, tandis que la minéralité apparaît en arrière-plan, évanescente. Conjuguant ampleur et volume, la bouche voit sa nature onctueuse se délier harmonieusement sur des saveurs intenses et raffinées, irradiant le registre anisé des arômes. Émergeant en finale, la minéralité la saupoudre de son grain fin.
Maestral – rouge 2018
Embaumant un bouquet vivace d’une essence florale apparenté à celle du lys, il étend l’olfaction à des notes subtilement framboisées. Dans une bouche que profile une sensation d’amplitude, la matière se montre finement pulpeuse en faisant apprécier d’interminables et délicieuses saveurs aux accents acidulés, à l’instar des fruits rouges perçus en arômes. Des tanins délicats le couronnent de leur agrément.
Château de Marjolet
Emancipé de la coopération en 1978, cet important domaine familial n’a été autorisé à produire en Villages Laudun que l’an dernier, depuis qu’une extension de l’aire d’appellation a inclus des vignes qu’il possède sur le secteur des Garrigues de Mayran. Cela étant, le cœur de son activité se situe sur la commune de Gaujac, non classée en Laudun, où il produit essentiellement des Côtes du Rhône. Vierges de toute culture jusque dans les années 1970, les Garrigues de Mayran ont été progressivement défrichées au profit de terres viticoles dont l’exploitation a été confiée à de jeunes vignerons. Partie de la commune de Laudun, frontalière de Lirac et riche de sols de galets roulés, cette zone a vu sa vocation confirmée au fil du temps au point d’être désormais incluse dans la délimitation du futur cru. En tout cas, Laurent Pontaud, le vigneron du domaine, honore dignement sa promotion en Villages Laudun par des rouges des plus accomplis qui soient dans leur catégorie. Il faut dire qu’il fait preuve d’un habile savoir-faire à l’échelle de toute sa production, à commencer par de « simples » Côtes du Rhône, dont la qualité convainc au point de leur mériter le qualificatif de « pépites », qui plus est dans les trois couleurs, et à prix d’ami pour ne rien gâter ! Par ailleurs, le Côtes du Rhône Villages générique qu’il produit sur Gaujac préfigure ses Laudun par son beau format, sa finesse de texture et sa structure veloutée, sur la foi d’un 2019 dont les grenaches qui le composent avouent 75 ans d’âge.
Bien campé sur des grenaches des Garrigues de Meyran, son Laudun « Tradition » embaume un fruit précis et attrayant, et le reprend au cœur d’une bouche harmonieuse dont on savoure le jus et la caresse des tanins. Particulièrement réussi, le millésime 2019 invite à un plaisir immédiat. Plus ambitieuse, la cuvée « Excellence » met quant à elle la syrah à l’honneur, notamment la part provenant du lieu-dit Le Boulas, un terroir réputé frais, particulièrement propice au cépage. Elevée avec adresse en barriques de chêne plutôt anciennes, elle ne perd rien des arômes distinctifs de la syrah et séduit par un corps élégant d’une appréciable fluidité, qui confond sur sa réelle concentration. Abordable sans déplaisir, son 2019 gagnerait cependant à être gardé.
Cuvée Excellence – rouge 2019
D’un abord riche et frais, le nez présente un boisé attrayant et bien marié à une palette d’arômes tout aussi séduisants, évoquant du noyau de cerise, des épices douces et des senteurs de garrigue. En bouche, une rondeur parfaite atteste d’un grand équilibre et fait que la matière se palpe avec un plaisir d’autant plus accru que le fruit est de la partie. Très soyeuse, la structure participe à son achèvement.
Domaine Olibrius
Avec une superficie en hectares inférieure aux doigts que comptent une main, le domaine de Marc Daniélou relève plutôt de l’artisanat, les vignes étant réparties de surcroît sur plusieurs parcelles et presque autant de communes. Amateur averti et passionné dans l’âme, il choisit de devenir vigneron en 2009, avec pour atout majeur le fin palais d’un amateur averti et toute la ferveur d’un autodidacte. Aussi a-t-il acquis rapidement son nouveau métier, au point qu’aujourd’hui ses vins se mesurent aisément aux plus accomplis d’entre ceux produits dans la mouvance géographique de Laudun. Si la constitution de son vignoble a été faite de manière aléatoire, au gré des vignes acquises à mesure, il n’a pas pour autant joué la carte de la marginalité qu’aurait pu lui valoir la singularité de son statut. Ainsi, en se portant acquéreur d’une vigne de clairettes plus que cinquantenaires, il l’a affiliée à une production en Villages Laudun, et cela brillamment, grâce à une élaboration ambitieuse en fût chêne, avec le doigté qu’impose cette technique pour ne pas transparaître à outrance. Sa cuvée « Oristal Prestige » 2020 atteste amplement de cette maîtrise avec un profil où la fraîcheur est structurelle et pas seulement aromatique, un caractère propre à la clairette et mis ici superbement en valeur. Son action est ainsi à la source d’une ampleur remarquable, d’une onctuosité élégante, consécutive à sa belle maturité, tandis qu’une sève profonde ponctue la finale de son énergie avec en parallèle l’expression d’une noble amertume, toutes deux dans la nature du cépage.
En Villages Laudun rouge, Marc Daniélou a remis à l’honneur une variété qui rejoint la clairette dans l’encépagement historique du sud de la vallée du Rhône, s’agissant de la counoise. A une composition grenache-syrah, elle apporte ce qu’un condiment confère à un plat : l’indispensable pour parfaire son goût. Et c’est bien le cas pour son « Oristal » version rouge, car quel que soit le millésime, la counoise amène du nerf à chaque expression, avec la vertu d’être insoupçonnable, tant elle se fond dans l’expression d’ensemble. En dégustant les trois derniers millésimes de cette cuvée, on mesure par ailleurs la plasticité d’un style au gré de chaque millésime, avec un 2017 un peu « vieille école » par son allure riche et concentrée, mais très équilibrée et rendue savoureuse par une texture pulpeuse. A sa suite, le 2018 présente une fraîcheur de constitution supérieure, présageant l’allure d’un beau spécimen du cru. Encore en élevage et privilégiant le fruit, le 2019 s’inscrit dans une même lignée, car les quelques anicroches propres à sa jeunesse et à son état n’entravent pas la perception d’un profil gracieux et d’un velouté attrayant, né d’une alliance harmonieuse entre texture et structure.
Oristal Prestige – blanc 2020
Encore peu ouvert, le nez se distingue par sa concentration et la haute maturité d’un fruit abricoté où le boisé interfère à peine. Manifeste, l’ampleur en bouche est autrement sous la coupe d’une dynamique d’expression faisant « fondre » sa nature onctueuse pour gagner un équilibre hors pair. Par contraste, ses saveurs s’avèrent généreuses et en rendent compte à travers une sensation éthérée légèrement anisée. Subtilement astringence, la minéralité se perçoit comme une caresse.
Oristal Prestige – rouge 2018
Enjôleur, le nez le doit à des arômes enveloppants tirant leur essence du noyau de la cerise, tandis qu’un registre boisé y interfère non sans séduire. En bouche, l’impression de plénitude est l’heureux produit d’une matière concentrée qu’une ligne de fraîcheur allège opportunément, laissant alors libre cours à l’expression d’un goût riche et fin, pénétré de la vitalité qu’inspirent des fruits rouges. Des tanins d’un grand soyeux souligne la structure d’un trait raffiné.
Domaine Pélaquié
L’épicentre du domaine se trouve au cœur du village de Saint-Victor-la-Coste, d’où son vignoble rayonne sur l’aire en Villages Laudun et s’étend bien au-delà de ce périmètre pour gagner les terres des crus Lirac et Tavel. Son vigneron, Luc Pélaquié, peut se prévaloir d’une très lointaine filiation paysanne, identifiée au XVIème siècle, du temps où ses ancêtres expédiait du vin en fût. Et c’est en 1976, année de la disparition de son grand-père, qu’il reprend la propriété avec son frère Emmanuel pour en finir ainsi avec une période de déshérence. Luc Pélaquié est une figure de l’appellation, s’étant largement impliqué dans la démarche d’accession au cru, bien qu’il déclare modestement que ça n’était pas « une idée nouvelle » mais comme « une continuité dans les esprits », ajoutant dans ce sens qu’il s’est agi « d’une bonne conclusion d’une histoire de 70-75 ans ». Il se plaît à citer le blanc comme un atout majeur du futur cru, couleur où le domaine s’est investi plus que tout autre, et en en produisant deux cuvées. Celle signée « Luc Pélaquié » incarne sa part ambitieuse, élaborée quasi entièrement en fût de chêne à partir de clairette et de roussanne provenant de parcelles exposées avantageusement au nord. Le 2020 témoigne de la maestria de son auteur, car malgré l’usage de fûts neufs, la sensation de boisé reste pondérée et laisse s’exprimer la joliesse du fruit et n’entache pas le trait de distinction qui s’en dégage. Quant à son Villages « normal », pratiquement tous les cépages autorisés dans la couleur concourent à un profil remarquablement façonné par de la fraîcheur, cela sans manquer de fond, à l’image de ce que devrait être un cru. Toujours en blanc, le savoir-faire du domaine s’élargit à un vin hors norme, car mettant en valeur des cépages proscrits du cahier des charges de l’appellation, en l’occurrence le muscat et le vermentino. Leur alliance avec le viognier délivre un produit raffiné, nommé avec sagacité « Entre Parenthèses », il témoigne d’une conception non rigoriste plutôt inattendue de la part du domaine phare de Laudun.
La production de rouge en Laudun se concentre sur un seul vin, car la cuvée « Luc Pélaquié », le pendant du blanc de même statut, est élaboré les seules années dignes de son ambition. Ce fut le cas en 2019, avec un succès tel que ce millésime est maintenant épuisé. Dans cette couleur, notre vigneron déclare affectionner le mourvèdre en appuyant ses arguments sur Lirac, un cru où lui-même exerce et où ce cépage a été adopté parmi les principaux constituants. Il insiste sur le bien-fondé de son usage, arguant de sa personnalité unique, propice à accroître la diversité expressive des vins. Par ailleurs, il souligne les bienfaits de son effet structurant, surtout que son action sur ce plan est reconnue pour faire dans la finesse. Il déplore dès lors que le mourvèdre n’ait pas obtenu une même considération dans la perspective du cru Laudun, puisque les règles de l’encépagement ne l’imposeraient plus. Aussi ne se prive-t-il pas de lui donner le second rôle après le grenache dans la composition de son Laudun rouge, la syrah étant reléguée au troisième rang. Dans un 2019 ainsi conçu, le mourvèdre n’est pas pour rien dans la sensation de délié qui s’en dégage et le garde de toute propension à de la corpulence.
Blanc 2020
D’une approche élégante, le nez diffuse de fines notes mentholées doublés de subtiles émanations minérales, au cœur desquels un fruit d’agrume se fait jour. Harmonieusement agencés, son volume et son étoffe forme une bouche fraîche et rayonnante qui s’écoule en une texture juteuse d’un goût profond et raffiné, qui prolonge indéfiniment sa vivacité jusqu’à céder à une structure minérale tendre.
Rouge 2019
Il dispense une sève fraîche, légèrement mentholée, et veloutée sur des notes énergiques de fruits noirs (myrtille) et d’olive noire. D’une rondeur élégante, la bouche s’écoule en une matière juteuse d’un goût en correspondance avec les arômes, davantage versé vers le réglisse, procurant une finale fraîche et parée de tanins très fins.
Maison Sinnae
Connue jusqu’en 2019 sous le nom de Laudun & Chusclan Vignerons, cette imposante et vénérable coopérative (fondée en 1925 à Laudun) est de loin le plus important opérateur en Villages Laudun, une position qu’elle honore amplement par une production loin d’être monocorde. En effet, le produit de ses vignes est judicieusement réparti entre des marques emblématiques, dont certaines communes à plusieurs appellations, des labels qualitatifs, bio, de domaines adhérents ou de sélections parcellaires. Comme toute structure coopérative qui se respecte, son entier vignoble est identifié en unités parcellaires dont la culture est soumise à un cahier des charges idoine et bénéficie d’un suivi agronomique durant tout le cycle végétatif. Ces mesures collectives déterminent ou confirment la vocation de chaque parcelle, une étape cruciale à l’heure des vendanges.
Avec 25 à 30 % des volumes au gré de chaque millésime, les blancs en Villages Laudun sont bien valorisés, ce qui tout à l’honneur de la cave. Ils se déclinent en pas moins de 5 cuvées, la dénommée « Luna » faisant office de générique. Faisant la part belle au grenache blanc et à la clairette, celle-ci se présente en 2020 comme un vin-plaisir, frais en arômes, étoffé comme l’exigerait un Villages prétendant à un Cru, et d’un penchant gourmand. La dimension d’un Cru est d’ailleurs plus sensible dans « Camp Romain », marque-fétiche de la cave par son ancienneté, le classicisme de sa composition – exclusive aux deux cépages précités, piliers de l’appellation – et son style « confortable ». « Terra Vitae », certifié en bio, offre une autre alternative du blanc de Laudun par son caractère proprement épicurien avec ses senteurs stimulantes et son goût charmeur, inspirant la douceur née de raisins très mûrs de l’année généreuse que fut 2019. Reflétant ostensiblement une élaboration en fût de chêne, les cuvées « Excellence » et « Villa Sinnae » n’ont pas l’éclat de leurs homologues qui ne voient pas le bois. Plus particulièrement, cette dernière porte encore les stigmates d’un élevage prolongé, bien que s’agissant un 2017. A mon sens, elles s’éloignent de l’identité censée définir un cru.
A contrario des blancs, la gamme des Laudun rouges n’appelle aucune réserve sur ce plan, exprimant tous l’évidence d’un fruit sans artifice. On y retrouve la version rouge de « Luna », avec un 2019 séduisant par son croquant et son naturel, sur des tons fruités inspirant de la fraîcheur, comme le réglisse ou des fruits noirs. A l’instar de son alter ego en blanc, il ferait un excellent représentant du Cru lorsque ce statut sera effectif. Parmi les rouges issus de domaines travaillant sous sa tutelle, le plus accompli me paraît être celui du Domaine du Boulas, dont les vignes sont implantées sur un terroir spécifique au piémont d’une falaise et riche de galets roulés. Son 2019 « Les Mûriers » constituerait un bel étalon de Laudun, avec sa richesse aromatique, sa précision de fruit et des tanins aimables qui le rendent déjà abordable. Il supplante en charme et surtout en format la cuvée « Aurélien » du Domaine Combe Ferréol. Desservi à ce stade par son austérité, ce dernier rejoint par cette impression le 2019 du « Clos de Taman », une unité originale exploitée avec exigence par 9 adhérents. Elaboré sans sulfites ajoutés, il rend compte des expérimentations effectuées sur cette parcelle au sol homogène et plantée sur un secteur élevé de l’appellation. A l’aune de ce millésime, cette vin n’a rien de démonstratif et laisse subodorer des raisins bien mûrs, fruits de petits rendements, d’où sa nature riche, quoique bien rendue, et d’autre part une assise tannique mordillante, celle d’une expression requérant un temps de garde pour être pleinement appréciée.
Dans un autre registre, « Les Dolia » est un rouge conçu comme un haut de gamme non pas tant par son mode de vinification et d’élevage mais à partir de l’essence de vieilles vignes de grenache et de syrah essentiellement, conduites sous une discipline culturale poussée. Peu emphatique du fait de sa jeunesse, le 2019 dévoile cependant des arômes frais très mentholés et réglissés, et lève le voile sur un caractère puissant. Comme son nom le laisserait supposer, il n’est pas élevé en dolia (*), mais plus prosaïquement en cuves, pour un résultat pourtant épique !
Éléments – Luna – blanc 2020
Franc et sans excès d’expression, il fait valoir un registre aromatique sur des senteurs discrètes et plaisantes d’abricot sec et de citron confit, le tout surmonté d’un voile minéral fumé. La bouche est d’une agréable rondeur d’où ressort une matière glissante au goût riche et stimulant par son caractère tonique et salivant, rappelant de la pulpe d’agrume. La minéralité se matérialise en finale par un très léger grain.
Terra Vitae – blanc 2020 – bio
Tout en nuances, le nez embaume une odeur fraîche et gourmande de pomme pink lady, auquel se mêle un trait d’agrume et par ailleurs une note crayeuse d’essence minérale. L’ampleur et la fraicheur en bouche lui procure un bel équilibre, propre à alléger sa nature onctueuse. Ses saveurs ne sont pas en reste, généreuses et pénétrantes, en écho aux arômes. D’un grain fin, la minéralité resserre les papilles d’une noble astringence.
Éléments – Luna – rouge 2019
On perçoit une succession d’arômes bien expressifs – cerise mûre/burlat, épices douces, olive noire – joliment définis et d’un penchant croquant. Ronde, ample, souple et bien équilibrée, la bouche fait encore valoir sa fine étoffe, un goût en correspondance avec le gourmand des senteurs, et enfin des tanins légers et soyeux, bien ajustés à l’ensemble.
Domaine du Boulas – rouge 2019
Sur un accent mentholé, le nez dévoile avec élégance des notes encore discrètes oscillant entre fruits noirs et cerise très mûre. D’un profil ample et franc, la bouche voit son étoffe scintiller de fraîcheur et contenir un goût puissant bien conduit, pour finir sur l’agrément de tanins souples.
Vignerons des 4 Chemins
Le nom de cette coopérative contient son originalité, à savoir un emplacement à l’angle d’un carrefour éloigné de surcroît de toute agglomération. Sa création en 1960 est également singulière, puisque motivée pour valoriser en bouteille les meilleurs fruits d’un petit noyau d’adhérents fondateurs, visionnaires avant l’heure du principe de sélection parcellaire, si répandu de nos jours comme synonyme d’une noble origine. Depuis, la cave a bien élargi son périmètre d’approvisionnement, produisant sur les appellations environnant Laudun, en Lirac et Villages Chusclan. L’ambition qui a été le ferment de sa création est reconduit aujourd’hui dans son esprit par l’action de David Risoul, son directeur, qui met en œuvre ses compétences d’œnologue avec brio et perspicacité au profit d’une ligne de vins où l’expressivité règne en maître. Une constante fraîcheur de fruit et de constitution alliées à une structure bien ajustée caractérise l’entière production des rouges, depuis les Côtes du Rhône génériques jusqu’à une rare cuvée en Villages Laudun qui fait la fierté de la cave, à juste titre. En blanc, de mêmes critères distinguent une gamme de vins à l’accent minéral, sapides sans jouer la facilité de l’exubérance. En amont de ces louables résultats, il faut voir une démarche incitative auprès des coopérateurs afin qu’ils s’engagent pour le respect de l’environnement. Et si David Risoul apprécie à leur valeur l’application et les retombées des normes HVE (*), il ne cache pas le caractère incontournable du bio dans cette voie. D’ailleurs, la cave a commencé à s’y investir à travers trois cuvées en Côtes du Rhône, ainsi un blanc « Echologique » minéral à souhait, parfumé et d’un fruit charmeur, jouant les bons côtés du grenache blanc et de la roussanne dans sa version 2020. Cultivant la notion de marque immanquable à une structure coopérative, la production des 4 Chemins laisse toutefois libre cours à des expressions plus individualisées, représentées par des noms de domaines bien réels, comme le Domaine Les Matassières, représentatif du terroir sableux de Tresques, l’une des communes classées en Laudun.
Relativement importante, sa production en Villages Laudun n’exploite pas pour autant tout son potentiel en surface, son débouché commercial n’étant pas entièrement assuré. Et c’est sous la signature « Sols et Sens » qu’elle diffuse le plus largement son savoir-faire. Son représentant en blanc convainc par un 2020 qu’une dynamique de fraîcheur profile à merveille, les qualités de fond ne lui faisant pas défaut. Dans cette couleur, « Les Matassières » possède un caractère plus chatoyant et joue davantage une carte épicurienne. Quant à la grandeur en blanc, elle se loge dans une cuvée résolument confidentielle, son volume se résumant au contenu de deux demi-muids. Baptisée « Eloge », elle ne mérite effectivement que des éloges du fait qu’elle drape d’un grand raffinement un duo grenache-roussanne puisé dans les meilleurs fruits de la cave.
En Laudun rouge, grenache et syrah sont quasiment les seuls ingrédients, le premier toujours dominant dans les assemblages. On y retrouve le même crescendo qu’en blanc avec la cuvée « Sols et Sens » initiant la gamme. Sa conception répond à une « notion de plaisir », selon les termes de Daniel Risou. Le 2019 en atteste et laisse apprécier son allure franche et gorgée de fruit, agréablement soulignée par le soyeux des tanins. Le 2018 du Domaine Les Matassières ne manque pas de fruit non plus et se distingue par une nature plus structurée sous l’aspect d’un joli grain, ce qui permet de l’apprécier en l’état. Différemment conçu de son alter ego en blanc en ce sens qu’il provient de parcelles sélectionnées, « Eloge » rouge est également moins rare, quoique d’un tirage limité. Son édition 2018 respire d’emblée la plénitude d’un grand vin et se laisse aborder sans déplaisir, une structure tendre et savoureuse y invite tout en augurant un bel avenir.
* HVE sont les initiales pour Haute Valeur Environnementale, une certification réservée aux exploitations agricoles, qui garantit des pratiques respectueuses de l’écosystème naturel. Louable dans ses intentions, elle ne fait pas l’unanimité chez les acteurs de la filière, notamment à cause de la confusion qu’elle entretient avec le label bio, dont elle ne reprend pas le code d’exigence.
Sols et Sens – blanc 2020
D’un abord velouté, le nez exhale un courant frais, définissable comme une senteur de poire conférence, avec un rehaut citronné. En bouche, on apprécie le grand volume qui équilibre et modèle l’élégance d’une matière onctueuse au goût fin et séveux, parcouru de légers amers d’agrumes dont les sucs s’amalgament à un fond minéral.
Domaine des Matassières – blanc 2020
D’un abord charmeur sur un ton floral, le nez prend ensuite l’accent d’un fruit frais et succulent, oscillant entre l’abricot et la pêche blanche, tandis qu’une pointe mentholée joue de son effet. La boucle séduit par un volume qui déleste d’autant la sensation de matière pour la réduire à son aspect tactile. Dans l’ordre des arômes, un goût bien fruité et foncièrement sapide renforce son appréciation, tout comme l’aspect salin d’une minéralité au toucher soyeux.
Domaine des Matassières – rouge 2018
Il embaume une sève très séduisante et complexe, qui peut se détailler en notes de liqueur de cerise, d’épices douces, d’olive noire, de garrigue. En bouche, une grande ampleur engendre un équilibre sur la fraîcheur qui mue sa matière en un jus raffinée dans sa consistance et d’un goût riche et délicieux comme une liqueur. A peine sensible, la structure ne dépare pas son appréciation, tant sa finesse est patente.
Je remercie le Syndicat des Vins de Laudun, et tout particulièrement son animatrice, Caroline Lefièvre, d’avoir prêté son concours et apporté son soutien à cette publication.
Crédit photo : Les Échos
L’auteur de l’article : Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
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