Le mystérieux « goût des Riceys »

Le mystérieux « goût des Riceys »

Il n’est certes « de champagne que de Champagne » mais la région produit autre chose que des bulles, et même toute la palette des vins secs tranquilles : des coteaux champenois blancs et rouges sur toute l’étendue de l’AOC et un rare rosé, privilège exclusif d’un village du Sud de l’Aube, Les Riceys. « Les » car cette belle commune se décline en trois bourgs, Ricey-Bas, Ricey-Haute-Rive et Ricey-Haut, chacune nantie de sa propre église aux dimensions imposantes. Château, chapelles, vieille halle, maisons de maîtres cossues, bâtisses vigneronnes plus modestes bâties avec cette même pierre blanche, tout témoigne d’un passé prospère lié peu ou prou à la vigne. Les noms de parcelles (Côte Brûlée, La Misère, Montrecul…) nous rappellent la vieille tradition viticole de cette commune aux paysages vallonnés dont les coteaux donnaient au XIX ème siècle des vins tranquilles réputés « fort bons…vifs, très spiritueux, pourvus d’un joli bouquet et de beaucoup de sève[1] » et dont, dit-on, Louis XIV se serait abreuvé grâce à l’entremise de maçons des Riceys employés à Versailles.

Depuis, l’Aube a intégré l’AOC Champagne et destine l’essentiel de ses raisins aux vins effervescents mais, aux Riceys, on a eu la bonne idée de conserver bien vivante cette vieille tradition de vins tranquilles dont le Rosé des Riceys, AOC depuis 1947. Avec 60 000 bouteilles en moyenne par an, la production reste confidentielle et la rareté fait aussi partie du mythe. Si l’année le permet, une vingtaine de producteurs sacrifient à l’exercice, « essentiellement des passionnés de vins parce que si on ne l’est pas on ne le fait pas » avoue Pascal Morel, président de l’appellation et premier producteur de rosé des Riceys qui rappelle « qu’un rosé des Riceys reste moins valorisé qu’un champagne ». Il leur consacre trois hectares, toujours les mêmes, c’est à dire des vieilles vignes de pinot noir (50 ans) bien exposées. Suit en cave une courte macération, entre 3 et 6 jours, puis un décuvage au « bon moment, ça peut se jouer à l’heure près, quand le vin se démarque d’un blanc par ses arômes et commence à prendre aux maxillaires ». Comme nombre de ses pairs, il reste fidèle aux longs vieillissements : « une dizaine de mois en vieux fûts de 5 à 10 ans et le reste en bouteille, nous commercialisons 4 à 5 ans après la récolte ».

Certains préfèrent la cuve et une mise en marché précoce, d’autres encore comme Olivier Horiot poussent l’exercice jusqu’à un traitement « bourguignon » de ses rosés avec des cuvées parcellaires vinifiées en fûts, élevées sur lies et longuement vieillies en bouteille. Dernière pierre à l’édifice, le prix : 10 euros (souvent plus), c’est le minimum à consentir pour accéder au fameux « goût des Riceys », « difficile à définir mais que l’on a tous bien en tête » reprennent en cœur les vignerons, entre fraîcheur, amertume légère et complexité des arômes. Le temps y participe : « les arômes d’abord marqués par la réglisse et l’amande pinotent franchement après 6 ou 7 ans » précise Olivier Horiot qui commercialise aujourd’hui ses 2003 et 2005. Pascal Morel déguste toujours avec plaisir les 1947 produits par son grand-père.

 

[1] André Jullien, Topographie de tous les vignobles connus, 1866

 

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