Le retour du vin médecin

Le retour du vin médecin

22 décembre 2025, comme chaque semaine, je pousse la porte de l’Eprouvette et la Bouteille, dernier caviste indépendant de mon quartier.

« Bonjour, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? »

« Il me faudrait une belle bouteille de rouge, je reçois ! ».

« On va vous trouver ça. Vous avez votre certificat ? »

« Bien sûr, tout neuf, délivré avant-hier.»

« Voyons ça…cholestérol stationnaire, transaminase stable, diabète quasi-nul, très bien ! Et ces invités, quel âge à peu près ? »

«Tous au dessus de 68 avec un pic à 90, mais en pleine forme ! »

« Des fumeurs ? »

« Un ou deux, petits fumeurs mais fumeurs quand même»

« De la goutte, des cancers, diabète, cholestérol ? »

« Je sais pas, je crois pas.»

« C’est embêtant. Vous savez, le choix d’un vin c’est une subtile alchimie. Mais je crois savoir ce qu’il vous faut. Un rouge riche en polyphénol, avec une bonne dose de tartrique, un sucre résiduel à 0 et un SO2 autour de 60 mg».

« Pourriez-me rajouter un peu d’anthocyane, j’ai lu que c’était bon pour le colon »

« J’allais vous le proposer ». Satisfait de sa déduction, le caviste tire avec assurance un beau magnum d’une caisse plastique. « Vous êtes combien ? Plus de 6 ? »

J’acquiesce.

« Un magnum, ça vous irait ? Mais rassurez-vous, on a descendu le degré d’alcool à 2.5° ».

« Pas plus surtout, parce que votre petit rosé il tapait avec ses 3,5°. Et côté mercure, pesticide, cuivre ? ».

« Vous connaissez mes principes, rien au-delà des doses, que du sain ! Et puis avec les correcteurs et les nouveaux hybrides génétiquement modifiés, même les sols sales font des vins propres. Et la dernière étude montre que quelques microgrammes de cuivre c’est plutôt bon pour la tension ».

« Vous êtes vraiment une perle ! Au fait, ça a du goût ? »

« Du quoi ? Qu’est-ce que c’est que ces vieilleries ! Buvez moderne mon vieux ! »

« J’aime bien vous taquiner».

Et si c’était de cette manière que demain on choisissait son vin, un peu comme on l’a fait pendant près de 2000 ans, quand le bon vin était celui qui « fortifie l’estomac… aide à la digestion… excite l’appétit et rallume la chaleur naturelle» (Le Traité du vin et du cidre, 1588) ? On pensait être sorti de cette forme d’obscurantisme, on pensait que le vin avait définitivement conquis le champ du plaisir, mais il faut bien se rendre à l’évidence : on boit à nouveau, et de plus en plus, médecin. Difficile aujourd’hui de lire un article sur le vin sans se faire alpaguer par le discours médical et scientifique, par une étude prouvant ceci, cela ou son contraire, par une polémique sur l’alcoolisme, les pollutions et résidus chimiques en tout genre, et leur conséquences sur notre santé, ou à l’inverse par la magie des polyphénols ou des anthocyanes. Et quand on pense qu’il existe plus de 500 composés chimiques dans le vin et bien plus dans le vignoble et en cave, on voit que le potentiel d’investigation est quasiment infini. A un lobby répond l’autre, enfermant le vin dans un discours médical où il n’a strictement rien à gagner. Disons-le une bonne fois pour toute, l’alcool ne sera jamais un bienfait pour la santé. D’ailleurs, qui l’ignore ? En la matière, tout est affaire de mesure et de responsabilité individuelle. Ne sommes-nous pas assez grands pour décider seuls de ce qui est bon pour nous, étant bien entendu que le vin s’adresse peu aux adolescents et essentiellement à une population mature ? En désertant le champ du plaisir et du goût, on donne le bâton pour se faire battre. Encore un effort, et le vin sera ravalé au rang de poison ou de médicament, et demain, on en viendra à imiter cette japonaise qui, tous les matins, à jeun, avalait cul-sec son verre de Bordeaux adouci avec une cuillerée de sucre, persuadée de boire une potion d’immortalité.

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