Le Sud-Ouest en 6 portraits (2 è partie)
Il en faudrait beaucoup plus (que 6) pour faire le tour de cette formidable région, attachante, gastronome et passionnante pour l’amateur de vins. Le Sud-Ouest c’est une trentaine d’appellations, 50 000 hectares de vignes, sur un petit quart du pays, entre l’Océan Atlantique, les Pyrénées et le Massif Central.
La plupart des vignobles, mais par tous, sont situés le long des rivières qui convergent vers l’estuaire de la Gironde et son port Bordeaux. Cette voie royale vers l’Atlantique aurait pu permettre à tous ces vins d’amont de partir à la conquête du monde. Las, les bourgeois de Bordeaux veillaient et ont longtemps bloqué leur accès à la mer, au nom d’un privilège qui a duré jusqu’en 1789. Puis ce furent les maladies du XIX è siècle, les crises et les guerres du XX è siècle. Bref, le Sud-Ouest n’a pas eu beaucoup de chances avec l’histoire mais son long enclavement a aussi eu des vertus : la conservation d’un beau patrimoine de cépages et des vins au caractère bien trempé, redécouverts depuis quelques décennies par des vignerons dynamiques qui n’ont qu’une envie, rattraper le temps perdu.
Alain Rotier et Francis Marre, Domaine Rotier, Gaillac
Plus vieux vignoble de France selon des historiens, Gaillac a pourtant bien eu du mal à se faire connaître. Longtemps sans caractère franchement affirmé, il a fallu attendre l’arrivée de quelques fortes personnalités, tels les Plageoles puis Patrice Lescarret (domaine Causse Marine), pour exciter la curiosité des amateurs. Cette région du Tarn aux paysages doux, entre plateau et coteaux arrondis, vignes et céréales, possède un atout : ses cépages originaux, certains réhabilités par Robert Plageoles qui fut une véritable bénédiction pour l’appellation. Les l’en de l’oeil, mauzac, ondenc, duras, braucol ou prunelart, parmi d’autres, font tout l’intérêt des vins locaux, pour peu qu’ils trouvent de bons interprètes. Et Gaillac en compte de plus en plus. Alain Rotier et Francis Marre, beaux-frères, sont de ceux-là. Leur domaine de 35 ha est situé dans la partie sud de l’appellation sur la rive gauche du Tarn. Après l’avoir acquis et réhabilité, les parents d’Alain Rotier l’ont transmis à leur fils en 1985 qui a vite fait le choix de quitter la coopérative. Depuis, avec la discrétion qui le caractérise, il a patiemment posé les pierres de son édifice : travail des sols, densité de plantation, passage au bio en 2005. Francis Marre a pris le relais dans le vignoble et Alain Rotier partage son temps entre la cave et le syndicat de Gaillac qu’il présidait jusqu’en 2013 avec la même philosophie : miser sur la qualité, les cépages autochtones, le naturel et le faire savoir ! Gaillac produit une palette impressionnante de vins, secs ou doux, tranquilles, perlants, ou effervescents : « on nous l’a reproché mais c’est une force ». Dans son domaine en tous cas, bien malin celui que lui en ferait le reproche. Sa gamme Renaissance, sélection des meilleures parcelles (mais très accessible en prix), est une belle évocation de la région : le Renaissance rouge 2009 ajoute au charme épicé de l’assemblage (duras, braucol et syrah) une matière ample aux tanins maîtrisés, le blanc sec est onctueux à souhait et le doux est un grand du Sud-Ouest.
Domaine du Cros, Marcillac
De Gaillac à Goutrens dans l’Aveyron, il n’y a qu’une centaine de kilomètres. En s’éloignant de la vallée du Tarn vers le nord, on entre de plein pied dans le Massif Central. Le paysage ondule plus nettement, le climat y est plus rude mais l’Aveyron conserve du Sud-Ouest le goût des bonnes choses : l’aligo, le tripou, le roquefort, les charcuteries, le bœuf de l’Aubrac… que l’on boit avec un vin rouge local et confidentiel, le Marcillac. Ce vignoble de semi-montagne qui laisse entrer par le sud des influences océaniques est niché dans un vallon et réparti sur des terrasses étroites qui toutes regardent le sud. S’il fait aujourd’hui la fierté de la douzaine de producteurs que compte l’appellation, ça n’a pas toujours été le cas. Philippe Teulier, propriétaire du domaine Le Cros, se souvient que jusqu’aux années 1980, le marcillac « c’était rien, sa réputation était désastreuse. Pour les gens, ça restait le vin des mineurs ». Vingt ans plus tôt les mines de charbon de Decazeville avaient fermé, privant d’un seul coup le vignoble de sa clientèle traditionnelle. Certains ont quand même cru à un avenir. Pour Philippe Teulier, c’était une évidence : « on fait du vin ici depuis plus de 1000 ans. Et on avait la chance d’avoir un cépage unique, le fer servadou, bien adapté à notre terroir. Quand j’ai rejoint mon père en 1982 on avait un hectare. On a replanté petit à petit sur les bons coteaux et loué d’autres terres ». Avec 30 ha aujourd’hui, il s’est taillé un petit empire à l’échelle de Marcillac, et ne cache pas sa fierté de voir ses vins voyager aux quatre coins du monde. Les bons marcillac sont ceux qui savent tirer le fruit du fer servadou, dénommé ici mansois, cépage à fort caractère qui supporte mal la médiocrité. « C’est un cépage compliqué, tardif qui doit mûrir. Il lui faut des coteaux bien exposés ». Bien conduit et bien vinifié, il offre de la couleur, du fruit (cassis), des épices, une pointe parfois végétale, une bonne acidité et des tanins qu’il faut savoir extraire. Philippe Teulier en donne plusieurs versions : un Sang des Païs », tout en cuve, friand, fruité et poivré et une Vieilles Vignes, plus intense, au nez épicé et mentholé, aux tanins fermes dont on aime le croquant, la fraîcheur et l’impeccable digestibilité.
Famille Laplace, Château d’Aydie – Madiran
Madiran est situé au nord-est de Pau, sur le piémont des Pyrénées. Son vignoble est niché sur et au creux des coteaux, planté au milieu d’autres cultures et entouré de forêts de chênes et de châtaigniers. C’est la patrie d’un vin rouge à fort caractère et d’un cépage non moins caractériel, le tannat, qui illustre bien les dilemmes qui se posent à beaucoup de vignobles du Sud-Ouest : produire des vins au goût du jour mais sans rien sacrifier de son âme. Madiran est dans ce dilemme et a collectivement entrepris de moderniser son image avec des vins moins tanniques, plus fruités et plus accessibles. Si on sait que les cuvées d’hier, hyper rugueuses et au fruit fané, n’avaient plus beaucoup de défenseurs jusqu’où faut-il mettre le curseur de cette « modernisation » ? Avec quelques autres, la famille Laplace a sans doute déjà une partie de la réponse. Propriétaire depuis trois générations du Château d’Aydie, elle gère avec talent l’un des plus vastes domaines de l’appellation. Bernard, Jean-Luc, Marie et François Laplace ont hérité d’un domaine qui avait déjà une histoire, écrite par leur père Pierre, mais ils y ont ajouté une pincée de modernité et une bonne dose de créativité. Le tannat est ainsi capable d’exceller à condition de le pousser dans ses retranchements. « Il est sujet à tous les excès et peut conjuguer tous les défauts ou combiner toutes les qualités » avoue François Laplace. Avec des vendanges à maturité maximale, des vinifications en douceur et de longs élevages, les madirans maison se déclinent en vin plutôt tendres (O
de d’Aydie) et cuvées bien structurées (Château d’Aydie), qui ont toute l’accent du pays et beaucoup de fruit. En 1995 naissait le Maydie, un étonnant et délicieux tannat liquoreux muté, issu de raisins cueillis en surmaturité. On y ajoutera les blancs produits en appellation Pacherenc-du-Vic-Bihl (qui partage la même aire d’appellation que Madiran), dont un beau moelleux, confit, exotique et tonique, qui est plus qu’une introduction aux jurançons voisins.
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