Mais qu’est-ce donc que le vin «naturel» ?
Depuis quelques années, un certain nombre de bistrots à vins et caves, à Paris comme ailleurs malheureusement, ont trouvé une nouvelle version de la « potion magique » pour déterminer ce qu’il est « bon » de boire et ce qui ne l’est pas. Le mot magique, brandi à tout va comme un label, est vin « naturel », ou encore vin « sans soufre ». Le lecteur est bien en droit de se demander ce que ces termes signifient, lui qui pensait que tous les vins étaient « naturels », c’est à dire provenant d’un fruit transformé par la fermentation.
Je vais essayer de vous éclairer, tout en dénonçant ce qui est à la fois une double mystification (factuelle et philosophique) et une fausse bonne idée. Cette fausse bonne idée me semble être d’une naïveté déconcertante, souvant mêlée à une nouvelle forme d’arrogance tout aussi agaçante que celle des snobs qui ne jurent que par tel ou tel nom de producteur ou origine, à l’exclusion de tout autre.
La mystification factuelle vient du fait qu’aucun vin ne peut être « naturel ». Même le vinaigre n’est pas « naturel » ! Planter et tailler la vigne, récolter à un moment précis, fouler ou presser le raisin, vinifier, élever et mettre en bouteille, sont tous des actes calculés, où l’humain et la technologie interviennent. La mystification philosophique consiste à considérer que la nature est « bonne », donc, par implication, que tout ce qui est proche d’elle est « bon ». C’est un raisonnement absurde ! La plupart des poisons sont des produits « naturels ». Et tout produit, naturel ou pas, pris en excès par le corps humain, peut être un poison.
Le vin est un produit chimiquement complexe et relativement instable. Toutes sortes de dangers le guettent, capables de le transformer avec une rapidité déconcertante en vinaigre ou en vin pétillant (alors que ce n’était pas l’intention du producteur) avec des odeurs fort peu agréables. Je donnais récemment un cours de dégustation. Sur 8 vins dégustés trois étaient dits « naturels » : le premier (un mâcon blanc) pétillait, le second (un beaujolais rouge) sentait fortement l’écurie, et le troisième (un arbois blanc) était fortement oxydé avec des arômes évoquant un urinoir (et ce n’était pas un sauvignon blanc !). Les appellations en question ne sont nullement en cause, juste des mauvaises pratiques d’hygiène, de vinification et/ou de stockage.
Je ne suis pas en train de dire que tous les vins dits « naturels » présentent nécessairement un ou plusieurs défauts de ce type. Il en existe de très bons. Mais il faut bien avouer qu’il n’est pas acceptable de nos jours de compter autant de produits impropres à la consommation dans une catégorie. Et cela est paradoxal, car, pour l’essentiel, l’idée de départ est de défendre la « pureté » d’un vin et de ses saveurs en éliminant le soufre utilisé pour sa production.
Que se passe-t-il dans de pareils cas ? Il faut comprendre les fonctions du soufre et les implications de son absence sur un vin. Le soufre constitue environ 0,5% de la croûte terrestre. Il s’agit donc d’un produit « naturel ». On l’utilise depuis l’Antiquité comme agent de désinfection et de conservation. A partir du 15ème siècle, en Allemagne, on s’en sert pour désinfecter des tonneaux ou foudres en bois. Cette technique arrive dans le bordelais vers la fin du 17ème, grâce aux hollandais, et on peut dire qu’elle a largement participé à asseoir la qualité et la renommée des vins de Bordeaux. On se sert du soufre pour traiter une vigne contre des maladies (et je rappelle que l’agriculture biologique autorise son utilisation), au moment des vendanges pour retarder des départs précoces de fermentation et à la mise en bouteille pour assurer la stabilité bactériologique et une bonne protection contre l’oxygène. De petites quantités de soufre sont d’ailleurs générées « naturellement » au cours de la fermentation.
Le problème du soufre vient de son dosage excessif, chose très fréquente dans les vins blancs (plus fragiles à l’air) pendant les années 1960 à 1980. Trop de soufre donne mal à la tête et dénature les arômes, d’où la mauvaise réputation de certains blancs pas chers. Mais si on n’en ajoute pas du tout, le vin est fragilisé au point de ne plus pouvoir être stocké ni transporté à des températures dépassant les 14°, sous peine de le voir pétiller, sentir mauvais, ou s’oxyder très rapidement. Il m’est arrivé, dans certains bars à vin, de voir un vin blanc s’oxyder dans le verre devant moi ! Et quand j’ai fait la remarque à l’un des patrons, il m’a rétorqué « vous n’avez qu’à le boire plus vite » !!!
Ce genre de réflexion ne va pas encourager les gens à déguster avec discernement ni à boire avec modération ! Plus embêtant, cela peut aussi les détourner définitivement du vin. Et continuer à dire qu’un vin qui sent l’écurie à un « goût de terroir » relève de la mystification la plus totale ! Dans ce cas, il s’agit de la présence excessive d’un type de levure nocif appellé Brettanomyces, qui peut être retiré ou réduit par une bonne hygiène, une filtration raisonnable, et/ou un usage modéré du soufre, et qui se nourrit surtout de sucre résiduel dans le vin. La présence de ce sucre est généralement liée, à son tour, à l’usage exclusif de levures non sélectionnées (et dites « naturelles ») qui n’ont pas toujours la capacité de le fermenter au-delà de 12 ou 13% d’alcool.
Donc, si vous rencontrez cet été un vigneron dont le chai est sale, la connaissance scientifique approximative, et le discours imprégné de rousseauisme mal digéré (le « bon » sauvage), il y a des chances qu’il essaie de vous fourguer son vin « naturel », aux levures « naturelles » (je vous parlerai de cela en détail une autre fois) sans filtration, et sans soufre ; je vous conseille de l’écouter poliment mais de ne pas remplir le coffre de votre voiture de ses vins. Vous risquez de fortes déceptions en rentrant chez vous. La nature n’est ni bonne, ni mauvaise. Le feu brûle et la glace congèle. Les deux sont « naturels » et nécessaires, en dose modérée, à notre survie. Ce qu’il faut c’est une bonne compréhension des interactions entre les substances et phénomènes et des dosages adéquats qui ne nuisent ni à la santé, ni à la planète. Un peu de soufre est nécessaire au bon vin et à son vieillissement !
Je suis surpris de vos Je suis surpris de vos commentaires globalisés. En effet vous dites les banalités que l’on entend sur le sujet des vins naturels par les gens qui ne prennent pas la peine d’étudier le sujet aussi bien sur les vins dits « naturels » que sur le soufre.
Si, un jour, vous souhaitez en savoir plus sur ces sujets, je suis à votre disposition. Et si Emile Pénaud s’était trompé sur le sujet du soufre?
La terre était bien plate pour tous les beaux penseurs et donneurs de leçons avant qu’elle ne devienne ronde.
Cher Amoreau,
Désolé de Cher Amoreau,
Désolé de vous répondre un peu tardivement, car je suis un peu en vacances.
En effet, mes commentaires sur les vins dits « naturels » sont d’ordre générale (mais pas encore « globalisés ») quant aux conclusions, mais elles sont basés sur une longue série d’expériences bien précises en ce qui concerne les constats, ce qui est le propre de tout argumentaire à la fois raisonné et soutenue.
Vous remarquerez que, par exemple, je fais allusion dans mon article à une expérience récente dans un cours donné à des élévès amateurs. Si vous voulez plus de précisions, je dois me souvenir de deux des vins « naturels » qui avaient des défauts rédhibitoires (au palais de mes élèves, et sans commentaire de ma part) : un Macon Villages 2000 qui pétillait franchement et dont les saveurs étaient très curieuses, et un cru du Beaujolais d’un millésimé récent qui sentait nettement l’écurie. Il y avait un troisième qui avait un autre défaut et que j’ai oublié. Vous me pardonnerez, j’espère, de ne pas fournir les noms des vignerons en cause, car ce n’est pas le sens de mon propos. Sachez que les trois producteurs se réclament de la « chapelle » des vins dits « naturels », et qu’ils font souvent, par ailleurs, de bons vins.
Ce que je voulais souligner par cet exemple, et par mon article, était que les chances pour un consommateur de tomber sur une bouteille de vin « naturel » en parfait état est trop faible pour être acceptable, et que tout cela part d’une fausse bonne idée. Sans parler des conditions d’hygiène inacceptables dans certaines caves qui pratiquent cette approche au vin (et pas seulement ces caves-là, malheureusement). Mon collègue Michel Bettane les a stigmatisé dans une excellente (même si un peu sévère) formule : les « bio-cons ». Pour bien le comprendre, il faut pratiquer un peu le second degré, je vous l’accorde, mais je ne nie pas que ce mouvement « naturel » part d’une bonne intention.
J’ai lu, comme vous j’imagine, les écrits de Jules Chauvet. Malheureusement tous les vinificateurs qui essaient de mettre en pratique une partie de ses préceptes ne possèdent pas sa rigueur scientifique (il était chimiste, ne l’oublions pas !). Et le problème du transport et du stockage intermédiaire a été très sous-estimé dans cette affaire.
En tant qu’amateur de vin j’ai acheté, il y a quelques années, des bouteilles d’un producteur assez connu (du moins dans ce petit milieu des vins « naturels ») de la vallée du Rhône. Les vins étaient délicieux dans leur jeunesse : plein de fruit et de caractère. Puis ils ont pris une pente descendente avec le temps, devenants parfois pétillants, parfois nettement teintés d’odeurs et saveurs de type animale. Cela n’est pas acceptable pour des vins qui se vendent nettement au dessus du prix moyen de leur appellations respectives. Une fois de plus, je ne nommerai pas le producteur en cause, et pour les raisons citées ci-dessus.
Alors vous voyez bien que mon raisonnement ne s’appuie pas que sur des généralisations (que vous appelez, je crois à tort, « globalisations »). Je pense aussi, pour faire référence à une autre article récent (et qui peut paraître polémique à certains) sur ce même site, que tous ces adeptes de vins « naturels » feraient probablement mieux de mettre leurs vins en bouteille sous capsule à vis. Ils auraient bien moins de problèmes par la suite, à condition tout de même que leur travail de vinification soit impeccable (pas de brettanomyces, par exemple).
Enfin, admettez tout de même qu’aucun vin n’est « naturel » et que ce terme est donc absurde. Il faut une série d’actes extrêmement volontaires pour produire ne serait-ce qu’une infame piquette, alors un bon vin…..
cordialement
David Cobbold