Le vin: le mal aimé de la restauration
Tous ceux qui sont un peu attentifs à ce qu’ils boivent ont pu faire 100 fois cette malheureuse constatation de cartes de vins massacrées avec des appellations farfelues (comme ce « Saint-Emilion Premier Cru » – non classé ! – proposé à 70 euros, le plus cher de la carte), des glissements tectoniques (Brouilly dans la Loire ou Cornas dans le Languedoc, par exemple), des désignations approximatives où n’apparaissent ni le millésime ni le nom du propriétaire. Ce ne serait pas bien grave si le vin servi était bon, mais c’est justement là que le bât blesse. On ne parle pas des restaurants étoilés qui s’adressent à une marge de la population mais de tous les autres établissements, du restaurant chinois au bistrot de quartier, en passant par les brasseries, pizzerias et autres restaurants touristiques partout en France, qui servent des dizaines de millions de repas par an et qui sont, pour les autochtones comme pour les touristes, une vitrine essentielle de la production française. Et, disons-le, cette vitrine est pour le moins fissurée et souvent très sale. Le plus édifiant en la matière est le traditionnel « pichet », le premier prix d’une carte, de provenance incertaine, rarement bon et parfois franchement imbuvable. Les choses ne s’arrangent pas lorsque l’on grimpe dans l’échelle des cartes, même très modestes : beaucoup de vins d’AOC régionales mauvais ou médiocres vendus à des prix exorbitants (avec des coefficients[1] pouvant aller jusqu’à 6) qui deviennent carrément indécents dès que le nom de l’appellation est un peu ronflant. Un état de chose difficilement compréhensible dans un pays qui regorge de bons vins à tous les niveaux de prix. Certes le restaurateur n’a pas nécessairement le temps ni la compétence de faire lui-même ses sélections mais il reste, en revanche, maître de ses prix. Or, en France, et depuis longtemps, les vins (et plus généralement les boissons) sont chargés de faire tourner la boutique et contribuent largement à financer la partie solide et les charges d’un restaurant. Une étude de l’APV[2] parue en 2006 portant sur 650 établissements indiquait que le coefficient moyen était de 3,17 mais on sait que plus le prix d’achat est bas plus le coefficient est fort. Un rôle ingrat qui n’est pas remis en cause par la baisse de la consommation : la même étude indiquait que le prix est, après les contrôles d’alcoolémie, le deuxième frein à la consommation de vin dans les restaurants.
Une fatalité ? Bien sûr que non et il suffit de franchir les Alpes pour s’en persuader. En Italie, autre grand pays viticole au niveau de vie comparable au notre, on peut boire – sans pulsion suicidaire – le « vino de la casa », l’équivalent de notre « pichet », souvent délicieux et très bon marché, et se faire plaisir dans beaucoup de restaurants de milieu de gamme qui possèdent de belles cartes de vins aux coefficients très raisonnables. En France, des initiatives sont à saluer comme l’association Vin en Ville qui permet, moyennant une cotisation annuelle, d’apporter ses propres bouteilles dans les restaurants partenaires (parisiens uniquement) en réglant un droit de bouchon assez modique. Depuis une dizaine d’années, on assiste aussi au renouveau des bars à vins qui, à défaut de prix sages, offrent – au moins – de belles sélections de bouteilles. Certains restaurants/cavistes donnent même la possibilité de boire des vins au prix de la cave et d’autres établissements appliquent des politiques de coefficients très modestes comme Vinoe and Co à Avignon dont nous avons parlé récemment. Ecce Vino se fera l’écho, le plus souvent possible, de tous ces établissements qui mettent le vin à l’honneur en proposant de belles bouteilles à prix abordable. En attendant, la restauration – globalement – ne joue pas le rôle qui devrait être le sien, celui de promouvoir le (bon) vin et de donner une image positive de la viticulture française.
[1] Il s’agit du coefficient multiplicateur que l’on applique au prix d’achat d’un vin
[2] Association de la Presse du Vin
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