Rudy Ricciotti au Clos de Caille, l’architecte et le vin
Clos de Caille est un domaine des Côtes de Provence dont la famille propriétaire a fait appel à Rudy Ricciotti pour le projet de construction d’un nouveau chai. Acteur hautement singulier dans sa profession, l’architecte a conçu un édifice à la mesure de son talent et de ses principes, sans l’épate qui caractérise communément le genre, puisqu’il se fond entièrement dans un paysage dont la beauté n’a nul besoin de sémaphore signalant la fonction des lieux. Découvrons-le …
Repères
Le Mucem de Marseille – Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – est sans aucun doute la réalisation la plus emblématique et la plus populaire de l’architecte Rudy Ricciotti. Sa position pour le moins privilégiée, sinon unique, à l’entrée du Vieux Port, et sa vocation culturelle en font le manifeste d’une philosophie qui prône paradoxalement l’effacement de l’acte architectural face au paysage. En l’occurrence, c’est une forme ajourée à l’instar d’une silhouette qui côtoie humblement une Méditerranée souveraine et lui évite de se confronter aux édifices environnants massifs et opaques, vestiges d’un autre temps. A l’égal de cette œuvre dans leur principe, bien d’autres projets scandent le brillant parcours d’un architecte mû par un instinct de créativité dont le fruit dérange les tenants d’une modernité bienséante.
Autour du vin, l’architecte n’avait concrétisé qu’un seul projet au sein du vignoble renommé de Pic Saint-Loup, au nord de Montpellier. Pour ce héraut de l’usage du béton, l’emploi du bois pour l’enveloppe du chai du Mas de l’Oncle constituait un geste atypique, montrant en cela la plasticité de son art, son matériau de prédilection restant cependant le garant des structures. C’est dans un environnement qui suscite tout autant le respect, au cœur de la Provence, qu’il vient d’inscrire une nouvelle œuvre dédiée au vin d’une toute autre ambition, et dont la conception cristallise toutes les valeurs qui guident son métier de bâtisseur, ainsi qu’il aime à le qualifier.
Clos de Caille, le paysage
Le Clos de Caille est situé sur la commune d’Entrecasteaux, un village du centre Var surtout connu pour son château et l’ordonnancement à la française de son jardin, attribué à André Le Nôtre, jardinier du roi Louis XIV. Le cadre de cet édifice jure avec un paysage environnant typiquement provençal et relativement préservé, richement boisé de pinèdes entre lesquelles des champs de vignes et d’oliviers fraient leur espace. Rudy Ricciotti a été particulièrement sensible à cette nature, en faisant la raison d’être de son projet. En effet, l’un des fondements de son approche du métier est la contextualisation de chaque intervention. Et c’est bien la cas ici, où selon ses propres mots, il s’agit de « sanctifier la terre du Var », et en cela s’effacer face à un paysage mirifique dont la douceur du relief n’a nul besoin de marque architecturale. D’où son parti d’un édifice enterré, sans notion de façade, faisant en cela allusion à la perspective frontale du peintre Giotto pour s’émanciper d’une spatialité qui engendrerait de fait une forme émergente.
L’ouvrage
Chaque œuvre de Rudy Ricciotti porte l’empreinte d’une responsabilité, qu’elle soit physique ou formelle, depuis le choix du matériau de construction où prime le critère de pérennité, jusqu’à son impact aux yeux de tous, voulu comme une synthèse des principes de beauté et d’entendement. Il plaide ainsi pour l’usage du béton, arguant de son caractère durable et d’une fabrication de proximité à partir de composants aisément accessibles. Son emploi recouvre d’ailleurs ses propres choix esthétiques, avec par endroits l’expression même du travail qu’il a nécessité. Cela est d’ailleurs remarquable dans l’apparence de la toiture du chai, où il a volontairement préservé l’empreinte laissée par les banches en bois ayant servi à mouler le béton. Selon ses propres termes, ce façonnage apparent documente sur la nature et le détail des tâches à l’origine de la forme aboutie, à l’instar d’un hommage aux valeurs du travail et en l’occurrence au corps de métier qui escortent le sien. Ce principe est d’ailleurs indissociable des fondamentaux de son acte architectural.
Pour ce qui a trait à l’esthétique globale de la forme ainsi créée, la posture de l’architecte ne s’abstrait pas de son engagement à satisfaire, sinon à combler le regard, malgré le caractère clos de son espace. Ainsi, au lieu de s’en tenir au schéma d’un cadre fonctionnel et au statisme qui lui est inhérent, son « récit » se fait lyrique et joue une partition dynamique, celle suscitée par un revêtement des murs à l’instar d’un drapé. L’aspect torsadé des piliers de soutènement ajoute par ailleurs à la théâtralité d’une conception qui, outre son évidente efficience, se veut être perçue comme un noble creuset pour les vins qui en naîtront. Rudy Ricciotti utilise alors une allégorie pour qualifier la vocation d’un espace ainsi conçu, parlant alors d’un « coffre à bijoux », les différents vaisseaux vinaires constituant sa joaillerie. L’antre qu’il a ainsi créé se love dans l’univers où la mythologie chtonienne voit la source de la fécondité, en faisant un lieu de passage symbolique où l’alchimie du vin s’opère. L’abri d’un trésor en quelque sorte…
Cet article fait écho à un entretien que Rudy Ricciotti m’a accordé. Qu’il en soit grandement remercié.
Crédits photos : © Clos de Caille, © Mariotti – Chai du Clos de Caille – Architecte Rudy Ricciotti
Sur l’auteur de l’article :
Diplômé en histoire de l’art, Mohamed Boudellal est journaliste et consultant en vins. Il a écrit pour la presse spécialisée, principalement pour la Revue du Vin de France et d’autres titres comme L’Amateur de Bordeaux, Gault & Millau et Terre de Vins. Il est co-auteur dans l’édition 2016 du « Grand Larousse du Vin ». |
No Comments