Vignobles du Loir, ses cépages, ses vignerons et nos coups de cœur
A une quarantaine de km au nord de la vallée de la Loire s’écoule le Loir, brève rivière qui prend sa source à Saint-Eman dans l’Eure-et-Loir pour se jeter dans la Sarthe au nord d’Angers, à 200 km en aval. Sur ses rives a prospéré un vignoble qui a failli disparaître avant de renaître sous la forme de trois petites appellations qui méritent le détour.
Le Vendômois, le pays du pineau d‘aunis
Ville paisible et pleine de charme, Vendôme a donné son nom au vignoble qui s’étend jusqu’à Montoire, le long de la vallée du Loir. Au XIX è siècle, sur les quais de la gare, on pouvait y croiser des négociants Angevins, Saumurois ou Champenois venant s’approvisionner ici en vins capables de « prendre la mousse ». C’était avant le phylloxéra et la création des appellations. Après la guerre, la plupart des vignerons ont abandonné la vigne pour les céréales mais une poignée a persévéré, conservant intact un patrimoine de vieilles vignes très utiles aujourd’hui. Le destin viticole d’une région tient parfois à un fil, celui d’un tracé de TGV par exemple. Depuis les années 1990, Vendôme n’est plus qu’à 40 minutes de la capitale. Les parisiens s’y sont installés et sont devenus une clientèle providentielle pour les vignerons locaux. Dix ans plus tard, les Coteaux du Vendômois passaient en AOC. Loin des 4000 ha du XIX è siècle, la vigne ne couvre plus que 350 ha dont 150 en AOC mais la roue semble tourner dans le bon sens. Dans les décrets de l’Aoc, les vignerons ont eu la bonne idée de faire valoir les deux cépages traditionnels de la région, le chenin blanc et surtout le pineau d’aunis, vieux cépage local. Patrice Colin (voir encadré), ancien président du syndicat, a lutté pour en faire l’emblème de la jeune AOC et la doter d’une vraie originalité. Objectif atteint avec ce cépage capricieux mais pas sans charme et très polyvalent, capable de produire des vins rosés, des rouges et quelques rares effervescents. En fait de rosé, il s’agit de « gris », avec un pressurage direct qui extrait peu de couleur mais qui restitue les parfums originaux et la fraîcheur naturelle du pineau d’aunis. « C’est un cépage résistant mais caractériel et prolifique.» explique Benoît Brazilier, à la tête d’un des vieux domaines de l’appellation. Son gris est chaque année une réussite : pâle, parfumé, vif, aux accents d’agrume et de poivre, à la fois désaltérant et plein de caractère. Si les rosés digèrent bien les rendements confortables, conservant le charme poivré du cépage, il en va autrement des rouges. « A 60 hl par hectare, on ne peut pas faire de bons rouges ici » explique Emile Heredia (Domaine de Montrieux) qui ne jure que par les « terroirs d’origine », c’est à dire les coteaux orientés plein sud de la rive droite. Mal cultivé, le cépage peut devenir redoutablement végétal rustique. Rien de tel chez Emile Heredia, ancien photographe reconverti par passion dans la vigne en 1999, qui a acquis quelques parcelles de très vieilles vignes, travaillées en biodynamie et vendangées à maturité optimale. Partisan des macérations très longues, il produit des cuvées de rouges savoureuses, profondes, charnues, épicées, aux tanins mûrs.
Patrice Colin, l’âme du vendômois
« La vigne, ça a toujours été une idée fixe. Quand je me suis fait virer du CM2, j’avais déjà dans l’idée de faire du vin, comme mon grand-père ». Issu d’une vieille lignée de viticulteurs (1735), Patrice Colin n’a jamais dévié de sa trajectoire : à 16 ans il est en stage dans les vignobles du Palatinat puis, diplôme en poche, vinifie ses premiers vins en 1980 sur le domaine familial. Il reprend alors les 13 ha de vignes de son père, mais pas les céréales. « Je voulais me concentrer sur la vigne, et dans les années 1980 tout était à faire, les vins, la mise en bouteille, et surtout aller les vendre à Paris. Personne ne connaissait le Vendômois. Les vins d’ici étaient surtout des vins de labeur, bus dans les champs ou en famille. J’ai mis 10 ans à m’en sortir ». Avec la même énergie, Fabrice Colin a présidé le syndicat jusqu’à l’obtention de l’AOC en 2001 et milité en faveur du pineau d’aunis. « On en a qu’ici, il fallait absolument le valoriser dans l’appellation, même si d’autres auraient préféré mettre en avant le gamay, le pinot noir ou le cabernet franc ». Depuis, il a travaillé à agrandir le domaine qui couvre 25 ha, fidèle à quelques principes qui ont fait de lui un vigneron bio bien avant la mode. Les Colin ont le sens de l’accueil et proposent une série d’ateliers et d’activités autour des vins et du vignoble. Leur cave située sur la commune de Thoré la Rochette est donc une excellente halte pour partir à la découverte du pineau d’aunis, vinifié en vins effervescents, gris et rouges, sans oublier de solides chenin, le tout à prix plus que raisonnables.
Jasnières et Coteaux du Loir
Le pineau d’aunis est aussi le principal cépage de l’appellation Coteaux du Loir qui prolonge vers l’ouest les coteaux du Vendômois de part et d’autre du Loir, dans les départements de la Sarthe et de l’Indre-et-Loire. Elle inclut les 65 ha de l’appellation Jasnières, un coteau argileux d’un seul tenant, sur la rive droite, orienté au sud, fief exclusif du chenin blanc. Elle tire son nom d’un ancien Clos qui couvrait au XIX è siècle 25 ha, sur la commune de L’Homme, déjà planté de chenin blanc, et dont les vins étaient tenus en haute estime. Longtemps en déclin, le vignoble a été sauvé par les familles locales mais aussi par quelques étrangers venus assouvir ici leur envie de changement. C’est le cas de Christine et Eric Nicolas du Domaine de Bellivière (voir encadré) et d’Elisabeth et Benoît Jardin (Domaine Les Maisons Rouges), deux des meilleurs représentants de ces appellations. « Dans les années 70, ce sont les enfants des paysans qui ont relancé le vignoble mais les vins étaient bus en famille, très peu étaient commercialisés » explique Benoît Jardin. Le renouveau des vins est venu plus tard, souvent de l’extérieur. « En venant d’ailleurs, on n’a pas les parents derrière, pas d’héritage, c’est plus facile, on est entièrement libre de travailler comme on l’entend ». En 1994, les Jardin ont fait le pari d’une nouvelle vie qui les a mené un peu par hasard dans la région, et parce que la terre y était accessible. Ils ont progressivement racheté des parcelles qui forment le vignoble actuel de 7 ha, dont 5 en chenin banc, et 2 en pineau d’aunis. En fonction des années, et des poussées du botrytis, les vins blancs de Jasnières se déclinent en sec et demi-sec, parfois en moelleux, « avec un côté minéral qu’apporte le terroir et que l’on se retrouve pas dans les coteaux du Loir ». Les Jardin travaillent au plus près du fruit (vendanges manuelles, vinification sans levurage, sulfitage uniquement à la mise en bouteille, sans collage ni filtration), en agriculture biologique et biodynamique depuis 2009 qui « a apporté un vrai plus même si on ne l’explique pas. Les vins possèdent une fraîcheur plus marquée, davantage de complexité avec un côté vibrant ». Vinifiée et élevée en fûts, la gamme des blancs est une belle illustration du potentiel de Jasnières avec des vins intenses, élégants, aux textures raffinées avec de belles acidités cristallines qui leur donnent présence et éclat. Les vins rouges sont au diapason avec une mention pour la cuvée
Garance, agréable expression du pineau d’aunis, poivrée, fumée, fraîche et croquante.
Domaine de Bellivière, l’orfèvre du chenin
Bien que méconnues, les appellations Jasnières et Coteaux du Loir ont la chance de compter dans leurs rangs un ambassadeur de choix, le Domaine de Bellivière mené par Christine et Eric Nicolas, qui a largement contribué à la reconnaissance des terroirs oubliés de la Sarthe. Venus d’autres horizons, Eric Nicolas a suivi une formation à Montpellier avant de diriger une cave coopérative puis de s’installer dans la Sarthe en 1995, rejoint à plein temps par son épouse en 2006. Depuis leur installation, ils ont vu la région évoluer avec l’arrivée d’une nouvelle génération de vignerons mais qui peine encore à valoriser une production très tournée vers la grande distribution. Sur ses 55 parcelles disséminées sur 5 communes, Eric Nicolas a fait le pari inverse avec une viticulture exigeante, biologique puis biodynamique, et des vinifications aussi dépouillées que possible. Il en ressort aujourd’hui une gamme fascinante de vins blancs, dans les deux appellations, entre secs et demi-secs, d’une pureté et d’une précision sans beaucoup d’équivalents dans la Loire. Il faut aussi goûter les rouges (100% pineau d’aunis) dont la cuvée Hommage à Louis Derré, complexe, profonde, qui pinote franchement au nez et possède un vrai potentiel de vieillissement.
Les domaines
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